04.11.2024
3 questions à Caroline Piquet
Édito
15 avril 2013
1/ Vous écrivez que les États du Golfe représentent un idéal type de la mondialisation. En quelle manière ?
Cela passe tout d’abord par l’image, avec ces gratte-ciels de verre et d’acier qui célèbrent l’architecture moderne commune aux grandes métropoles économiques. Cette image du dynamisme économique est entretenue par un marketing sportif et culturel qui les place au devant de la scène médiatique internationale. La région attire aussi une main-d’œuvre étrangère venue de tous les coins du monde. Par ailleurs, ces pays ont engagé une libéralisation offensive de leur économie. Leurs fonds souverains investissent massivement dans le capital des entreprises étrangères. Ils misent également sur les investissements directs des entreprises étrangères sur leur sol grâce à la constitution de zones franches. Ils cherchent aussi à tirer profit de leur position de carrefour commercial en développant les activités de réexportations entre l’Asie, l’Europe et les États-Unis. Enfin, l’intégration au système global associe les routes maritimes et aériennes aux réseaux numériques avec la commercialisation de l’immatériel : plates-formes boursières et pôles de communication. Le secteur aéronautique a d’ailleurs su tirer les meilleures opportunités de ces mutations ; le cas de Dubaï est le plus notable : son aéroport est pensé comme une plate-forme d’échanges internationaux, entretenant ainsi son image de cité globale placée au centre du monde. Pour autant, cette mondialisation revendiquée ne signifie pas homogénéisation ; face à une culture globalisée se constituent des identités de résistance qui valorisent l’héritage arabe et islamique et qui se traduisent dans l’espace par des zones distinctes pour les locaux ou les étrangers.
2/ L’idée que la rente pétrolière est défavorable au secteur productif est-elle dépassée ?
À la fin des années 1990, les pays du Golfe prennent conscience des dangers de l’économie rentière, avec des rapports très sévères sur l’indigence du secteur privé. Ils s’engagent alors une politique de substitution aux importations basée sur une diversification de l’économie. Celle-ci est financée par le secteur pétrolier dont les revenus ont explosé durant la décennie 2000 ; ceux-ci ont été redirigés vers les secteurs de pointe comme l’industrie et la recherche-développement. On assiste dans tous les États de la région à une baisse significative de la part du secteur pétrolier dans le PIB. Il convient toutefois de nuancer ce phénomène selon les pays : Bahreïn est le plus avancé car il a été le premier touché par la baisse des réserves ; à l’opposé le Koweït affiche un profil d’économie rentière peu innovante. Le Qatar et des Emirats arabes unis se distinguent quant à eux par une reconversion offensive de la rente dans les secteurs productifs ; Oman a initié la même politique, bien que plus modestement. Les revenus pétroliers/gaziers constituent une manne financière qui permet des investissements considérables dans les nouvelles technologies, ce qui pourrait devenir dans les années prochaines un avantage dans la compétition avec les autres puissances, à condition d’une formation efficace de cadres qualifiés et d’une réduction de la part du secteur public.
3/ Vous dites que l’État-providence protège les États du Golfe du spectre de la révolution. Quelles évolutions politiques voyez-vous ?
L’État-providence né de la rente pétrolière a assuré la paix sociale selon un système de clientélisation qui a permis d’associer au pouvoir les tribus et les familles marchandes. Ce processus perdurera sans doute quelques années encore dans pays où les ressources en hydrocarbures sont importantes. Toutefois, ce système est mis en péril par la baisse des réserves ; c’est déjà le cas à Bahreïn qui a connu depuis les années 1990 les contestations sociales les plus violentes. D’autre part, le processus de reconversion de la rente dans le secteur privé conduit à désengagement progressif de l’État dans l’économie. Les conséquences sont déjà observables avec une montée du chômage puisque l’État n’est plus le garant de l’emploi ; ensuite, le développement du secteur privé induit l’affirmation des classes moyennes d’investisseurs, de cadres ou d’ingénieurs. Enfin, l’essor des technologies de la communication et les efforts entrepris dans la formation accélèrent l’affirmation d’une société civile autonome de l’État. Nous sommes aujourd’hui à un moment de crispation comme l’ont montré les réactions des autorités lors du printemps arabe de 2011. La sortie de l’économie rentière conduit en effet à une reformulation du consensus social. Ces régimes devront composer avec la société civile en élargissant sa représentation politique, ce qui s’est déjà produit dans les années 2000. De plus, les structures traditionnelles de pouvoir seront amenées à reformuler les politiques de clientélisation, marginalisant les tribus pour les catégories nées de la libéralisation de l’économie.