L'édito de Pascal Boniface

« Au nom du Temple Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif, 1967-2013 »

Édito
6 mai 2013
Le point de vue de Pascal Boniface
Charles Enderlin, correspondant permanent de France 2 à Jérusalem dépuis 1981, répond aux questions de Pascal Boniface, à l’occasion de la parution de son ouvrage « Au nom du Temple Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif, 1967-2013 » (Editions du Seuil, 2013).

Le titre de votre ouvrage signifie-t-il que pour vous les sionistes religieux et Jabotinsky, qui voulaient ériger un mur d’acier envers la population arabe ont gagné ?


Les faits sont là : depuis 1967, la guerre de Six jours et la conquête des territoires occupés, la droite nationaliste et le mouvement fondamentaliste messianique ont réussi à installer 360 000 colons en Cisjordanie avec un taux de croissance de 5%. Il est impossible d’en évacuer la plus grande partie. Souvenez-vous, il avait fallu 13000 militaires et policiers pour déménager les colons de Gaza. Or, aujourd’hui, rien que dans une colonie comme Beit El, près de Ramallah, on compte 8000 habitants… et il y a plus d’une centaine de colonies de ce genre au cœur de la Cisjordanie. Cela, sans parler des blocs urbains proches de la ligne verte. Il faut rappeler qu’actuellement plus de 40% des officiers d’infanterie sont des sionistes religieux dont un pourcentage important habite des colonies, certaines même « sauvages » non autorisées par le gouvernement israélien. Obéiront-ils à l’ordre d’évacuer leurs proches ?
Ce n’est pas tout, le problème qui a fait capoter les négociations de Camp David, en juillet 2000, est toujours là ! Jérusalem-Est, la vieille ville et le Haram Al Sharif, les saintes mosquées où se trouve aussi le mont du Temple, le lieu saint juif. Les Musulmans refusent d’accorder une forme quelconque de souveraineté à Israël et au Judaïsme dans ce qui est le troisième lieu saint de l’Islam… A Camp David, Ehoud Barak avait déclaré que c’était la pierre de fondation du sionisme et qu’aucun chef de gouvernement israélien ne saurait y renoncer. Selon tous les sondages, c’est également le point de vue de l’immense majorité des Israéliens. A priori, le sionisme religieux et Jabotinsky ont gagné. La solution à deux Etats a probablement vécu. 
 


Vous estimez en citant Zeev Sternhell que la défaite de la gauche israélienne remonte au fait que Rabin n’a pas osé évacuer la colonie d’Hébron après le massacre de Goldstein qui a tué 29 Palestiniens et blessé 125, le 25 février 1994.


Yitzhak Rabin craignait un affrontement sanglant avec les colons qui menaçaient de s’opposer physiquement à l’évacuation de la colonie extrémiste située au cœur de Hébron. Il s’agissait de quelques dizaines de fidèles du rabbin raciste Meir Kahana, une mouvance à laquelle appartenait Godstein. Leur évacuation devait constituer un message important aux Palestiniens, au moment où, selon le Shin Beth, le Hamas préparait des attentats suicides en représailles au massacre du caveau des Patriarches. Selon le professeur Zeev Sternhell, « Si Israël avait évacué Hébron après le meurtre de Goldstein, les choses auraient tourné d’une autre manière. La droite aurait compris qu’elle avait en face d’elle une gauche capable de résister, alors qu’elle pensait toujours être intellectuellement, moralement, idéologiquement, beaucoup plus forte que la gauche. Quand Rabin a cédé face aux gens d’Hébron, il a apporté la preuve qu’ils avaient raison. Ce fut là le grand malheur de l’époque ».
L’année suivante, Shimon Pérès, a décidé de limiter les travaux de la commission d’enquête judiciaire sur les circonstances de l’assassinat de Rabin. Elle ne devait pas s’intéresser aux rabbins qui avaient, religieusement, condamné à mort le Premier ministre, pas à l’incitation à la violence de la droite… Pérès espérait ainsi obtenir le soutien de la droite religieuse modérée et conférer ainsi une certaine légitimité au processus d’Oslo. On connaît le résultat ! 
 


Politiquement, où en est le fondamentalisme messianique que vous décrivez ?


Ses représentants – du parti « La maison juive » – occupent des postes clés au gouvernement et à la Knesset. Naftali Bennet, le ministre de l’Economie et de l’Industrie, est un ancien président du conseil des colonies de même que Nissan Slomiansky qui dirige la commission parlementaire des finances. Ouri Ariel, colon, un des fondateurs du mouvement Goush Emounim – Le bloc de la foi-, a le portefeuille de l’Habitat. Au sein du Likoud, au moins un tiers des membres du comité central viennent des colonies de Cisjordanie. Moshé Feiglin, qui milite pour la reconstruction du Temple juif est député et vice président de la Knesset, etc. Dans mon livre, je définis le fondamentalisme messianique comme un mouvement révolutionnaire pour qui la fin justifie les moyens. Ses partisans ont infiltré tous les niveaux de l’administration israélienne et constitue aujourd’hui, un des principaux courants au sein de la société israélienne. Selon la sociologue Tamar Hermann, 51 % des Israéliens juifs croient en la venue du Messie. Parmi eux, il y a les religieux mais aussi des traditionalistes et des séculiers. 67 % d’entre eux croient encore que le peuple juif est le peuple élu… C’est le résultat de développements démographiques, mais aussi le résultat de l’influence croissante du discours sioniste religieux dans l’ensemble du système éducatif. La gauche sioniste, libérale, n’a pas réussi à combattre ces tendances
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