L'édito de Pascal Boniface

« Si vous avez le malheur de ne pas céder aux sirènes faciles du « Qatar-bashing », vous êtes ipso-facto considéré comme suspect et complaisant. »

Édito
7 mai 2013
Le point de vue de Pascal Boniface
Nabil Ennasri, auteur de « L’énigme du Qatar » (IRIS Editions), répond aux questions de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.
 
Vous venez de publier L’énigme du Qatar, comment expliquez-vous cette floraison de livres sur le Qatar ?


C’est d’abord le reflet d’une volonté de répondre aux grandes interrogations que suscite le sujet "Qatar" auprès de l’opinion. Depuis deux ans, l’implication de cet émirat, autant dans notre pays qu’à l’international, est devenu grandissant voire envahissant pour certains. De l’acquisition du PSG à celle du Printemps, du "fonds pour les banlieues" à l’engagement dans les révoltes arabes, l’activisme débordant du Qatar, de même que son ascension fulgurante, a légitimement suscité une envie d’en savoir plus. Après avoir fait la Une des journaux, le Qatar a donc pris place dans les librairies. Aujourd’hui, pas moins d’une demi-douzaine d’ouvrages sont sortis en l’espace de quelques semaines. Cette inflation livresque est salutaire car l’ignorance est grande à l’égard de ce micro-État qui était inconnu il y a encore une quinzaine d’années. Ceci dit, il faut savoir faire la part des choses. Certains essais sont l’expression d’une réflexion dépassionnée et le fruit d’une solide connaissance de ce pays ; d’autres ont opportunément saisi la balle au bond pour se positionner sur un secteur porteur, ce qui ne va pas sans une légèreté voire une superficialité dans la grille analytique.

Une rumeur vous présente comme un agent du Qatar, en mission pour influencer les jeunes musulmans français. Que répondez-vous ?


Vous avez raison d’évoquer le terme de "rumeur" car cette idée saugrenue ne se base sur aucun fait tangible. En réalité, ce fantasme traduit, pour ceux qui en font l’écho, un rapport biaisé avec l’islam et le monde arabe. Puisque le Qatar soutient les formations de l’islam politique au Moyen-Orient, il doit forcément être impliqué dans les affaires de l’islam français. Cette équation simpliste se base essentiellement sur ce mirage d’un Qatar présent partout et prêt, via ses pétrodollars, à financer tout le monde, notamment la communauté musulmane française considérée comme la plus importante d’Europe de l’Ouest. Pour apporter de l’eau à leur moulin, certains iront jusqu’à user de procédés mensongers en surfant sur l’image sulfureux du jeune musulman de banlieue. C’est un peu ce qui se passe aujourd’hui : si vous êtes jeune, musulman, chercheur sur le Qatar et militant associatif engagé pour redresser la condition des minorités et qu’en plus, vous avez le malheur de ne pas céder aux sirènes faciles du "Qatar-bashing", vous êtes ipso-facto considéré comme suspect et complaisant. On est ici dans le procès d’intention et la confusion et non dans l’analyse objective d’un sujet sensible. Car, en définitive, le Qatar n’a aucun intérêt à faire "main basse sur l’islam de France". D’abord parce que les premiers concernés ne souhaitent pas sortir de la tutelle des ambassades du Maroc et de l’Algérie pour tomber dans celle du Qatar. L’aspiration de beaucoup de jeunes musulmans français comme moi est l’établissement d’un islam français complètement indépendant, ce qui suscite peut-être l’ire de ceux qui souhaitent ne pas voir s’émanciper la communauté musulmane. Ensuite parce que le Qatar, extrêmement soucieux de son image et tirant les leçons de l’instrumentalisation de l’ancien fonds pour les banlieues, sait qu’il marche sur des œufs quand on évoque les sujets du financement de l’islam de France ou l’implication dans les banlieues. Hormis le financement de quelques grands projets qui sont toujours réalisés avec l’assentiment des pouvoirs publics (telle la contribution à la rénovation de l’Institut culturel de la mosquée de Paris à hauteur de 2 millions d’euros et ce, suite à la demande du gouvernement français il y a quelques années), le Qatar ne souhaite pas faire des jeunes musulmans la tête de pont de son influence en France. Son ambition est plutôt de densifier une relation stratégique avec notre pays sur les plans diplomatique, militaire et économique.

Comment voyez-vous l’avenir des relations France-Qatar ?


Après le rehaussement spectaculaire sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, la relation bilatérale est aujourd’hui moins effective même si elle reste solide, notamment dans le domaine du partenariat économique. Car c’est ici qu’il faut savoir profiter d’un échange mutuellement gagnant. Le Qatar a entrepris un colossal plan de développement de plus de 100 milliards de dollars pour la décennie à venir. Les secteurs visés sont le bâtiment, les travaux publics, les infrastructures, l’énergie, etc. Autant de domaines pour lesquels la France peut faire valoir son savoir-faire et son expertise, notamment via ses grandes entreprises qui sont considérées comme les meilleures au monde dans leur domaine respectif. Le Qatar est ainsi devenu un véritable eldorado où la croissance économique s’établit depuis plusieurs années à deux chiffres. Ceci dit, la mauvaise réputation qu’on lui colle ici et là auprès d’une partie de la presse française et des élites politiques pourrait nuire à ce partenariat stratégique. Dans un pays comme le nôtre qui s’installe dans une crise économique sévère, on devrait saisir l’opportunité de renforcer nos parts de marché. Même si cette volonté ne doit pas se faire sans rappeler l’exigence du respect des droits de l’homme (notamment vis-à-vis de la main d’œuvre asiatique), il y a urgence à rétablir des relations normales et décrispées car d’autres pays (en particulier nos voisins européens) ne se privent pas d’avancer leurs intérêts. Il serait dommage de leur céder la place.
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