13.12.2024
Frédéric Encel : entre fausses idées reçues et vraie désinformation
Édito
26 septembre 2013
Un universitaire neutre et objectif ?
Il commence en insistant sur sa vocation universitaire. Je ne connais aucun autre auteur qui se croit obligé d’exciper à ce point ses titres et fonctions académiques. Il faut dire que l’enjeu est de taille. Encel tient à passer pour un universitaire neutre et objectif, uniquement guidé par le souci de qualité scientifique afin de mieux distiller – pensant être masqué – une propagande au service du gouvernement israélien.
Il est vrai qu’il a rédigé une thèse et qu’il a obtenu une habilitation à diriger des recherches malgré les plus vives réserves d’un membre du jury [1]. Il n’a pas dû encadrer beaucoup de thèses depuis, il n’a jamais obtenu la qualification du Conseil national des universités. Son enseignement principal est à l’École supérieure de gestion (ESG).
Il n’a donc jamais eu de poste de titulaire dans une université. Les différents titres de professeur qu’il met en avant ne concernent en fait que quelques heures complémentaires qu’il pouvait faire. Suffisant pour impressionner quelques crédules mais pas pour masquer que tout ceci ne fait pas un revenu fixe. Nul doute que Caroline Fourest, qui aime bien accuser l’IRIS d’être financé par des pays étrangers [2], nous éclaircira sur les financements d’Encel. Un vrai sujet d’étude.
Une étrange vision du conflit israélo-palestinien…
Dans le livre, le chapitre consacré au conflit israélo-palestinien est un monument de propagande. Il est inclus dans une partie intitulée « Obsession proche-orientale ». Il est amusant que ce titre soit utilisé par quelqu’un qui écrit uniquement sur la région. Si obsession il y a, elle est celle d’Encel. L’argument de l’obsession proche-orientale, opposé à ceux qui osent critiquer Israël, est classique chez ses défenseurs inconditionnels. Ce sont pourtant eux qui font du conflit israélo-palestinien la grille de lecture centrale de tout ce qui se passe dans le monde et le cœur de leurs préoccupations, et qui, curieusement, accusent d’obsession les autres.
Il s’étonne qu’il y avait au cours de la première Intifada, déclenchée en 1987, davantage de correspondants étrangers en Cisjordanie et à Gaza (soit l’équivalent d’un département français moyen de 2 millions d’âmes) que sur tout le continent africain où il y a 1 milliard d’habitants touchés par des guerres endémiques. Mais Frédéric Encel a « des éléments de réponse » : il recommande tout simplement à « certains obsédés du conflit de consulter les mannes de la psychanalyse ». C’est clair et net. Si vous vous inquiétez de la répression de l’armée israélienne c’est que vous êtes bon pour l’asile.
Il nous explique que pendant la Guerre froide, on pouvait légitimement parler de menace sur la paix du monde à propos des conflits armés de haute intensité entre Israël et ses voisins de 1948 à 1978. Mais, nous dit-il, après les Accords de Camp David, « la rivalité Jérusalem-Ramallah n’a jamais débordé de son cadre spatial fort réduit. » Une simple rivalité ! Donc rien de grave docteur. « La cause palestinienne est instrumentalisée par les dictatures nationalistes aux abois et les terroristes islamistes », poursuit-il.
C’est l’argument classique de la propagande likoudnik. On est bien sûr pour la paix (hélas les Palestiniens ne savent pas saisir l’occasion), mais si elle ne survenait pas, pas d’inquiétude. Le conflit est mineur et simplement surdimensionné médiatiquement. Mais mis à part les responsables de la droite et de l’extrême-droite israélienne, et leur relais d’opinion, tout le monde reconnait le caractère central du conflit en termes stratégiques. Nicolas Sarkozy, pourtant considéré comme un ami d’Israël, l’a affirmé à chaque fois qu’il évoquait le conflit.
… et de ses répercussions
Encel poursuit en affirmant que le printemps arabe a eu lieu sans lien avec la question palestinienne. Évidemment, chaque peuple fait sa révolution dans un cadre national. On ne veut pas renverser son gouvernement pour qu’Israël se désengage des territoires palestiniens. Mais tous les spécialistes du monde arabe – absolument tous – quelle que soit leur analyse du conflit israélo-palestinien, savent que le soutien à la cause palestinienne est partagé dans tout le monde arabe.
Reste « le problème délicat de l’importation du conflit dans les villes d’Europe », nous alerte notre sémillant universitaire. Elle n’est pas créée par les appels réguliers du CRIF à la solidarité inconditionnelle avec Israël. Non, la responsabilité repose sur « des militants d’extrême-gauche ou islamistes, la stigmatisation haineuse et parfois délictueuse d’Israël, ainsi de certaines campagnes de boycott à l’égard de produits israéliens et de ses prétendus soutiens (juifs) […] Une manœuvre irresponsable qui accroît la tentation du communautarisme et aggrave l’antisémitisme dans certaines banlieues défavorisées. »
Au fond, le conflit israélo-palestinien, c’est « un conflit, en définitive, ni plus original, complexe ou dangereux qu’un autre au regard de l’histoire et la géographie actuelle des relations internationales. »
Sur le Rwanda, du pro-Kagamé intégral
Encel, qui dénonce l’obsession proche-orientale, est pour sa part très concerné par le Rwanda, auquel il consacre deux chapitres. L’un d’entre eux, « Au Rwanda la France a fait tout ce qu’elle pouvait », semble avoir été directement écrit par le service de communication du président Kagamé, dont on connait les liens avec Israël.
Il écrit que la France a fourni dès 1990 un appui militaire important. « La présence active et constante de plusieurs centaines de soldats d’élite, trois années durant, permet à l’armée rwandaise de résister et aux régimes de se maintenir tout en mettant en place des mécanismes qui conduiront au génocide des Tutsies de l’intérieur du pays. »
L’armée française est donc accusée d’avoir aidé au génocide. Paris aurait agi pour empêcher une poussée anglo-saxonne et interdire le retour au pays d’ex Tutsies. « Des centaines de militaires français participent au strict quadrillage du pays et aidant aux vérifications d’identité sur les routes du barrage. Or, lorsque ces derniers sont tenus par les miliciens hutus fanatisés, des Tutsies sont régulièrement battus, violés, voire assassinés. » Si on comprend bien, sous les yeux des soldats français, complices silencieux.
« Enfin, lorsque 90% des civils tutsies victimes du génocide ont déjà été assassinés, l’Élysée considère soudain comme extrêmement urgent d’intervenir. L’opération turquoise se met alors en branle. » Frédéric Encel nous explique que la France « a soutenu trois années durant un pouvoir hutu raciste et despotique au sein duquel se construisait très manifestement la machine est génocidaire à venir ». Selon lui, évoquer le massacre des Hutus par les Tutsies après le premier génocide revient à du négationnisme.
Il n’est bien sûr pas non plus question de parler de la déstabilisation de la RDC et des millions de morts. Rappelons que la guerre en RDC, dont le Rwanda fut l’un des facteurs majeurs, a fait plus de 5 millions de morts et que, récemment, même les États-Unis ont fait pression sur Kagamé pour qu’il cesse d’alimenter la guerre en RDC. Mais Encel ne va pas critiquer Kagamé pour si peu.
Un vrai « battant »
C’est donc un magnifique exemple de désinformation que l’on pourra enseigner dans toutes les universités et écoles de guerre. Fini le temps où Encel affichait ses convictions likoudnik et se référait sans cesse à Jabotinsky. Il cache désormais toutes ses attaches communautaires, se présente comme un universitaire neutre et objectif, modéré et partisan de la paix, pour mieux servir la propagande de Netanyahou. Il est intéressant de voir qui se laisse prendre au piège.
Avec ce livre, il mérite bien le titre de « battant » de la communauté dans les médias, que lui avait décerné l’an dernier Edward Amiach, candidat dans la circonscription qui contient Israël aux élections législatives pour les Français de l’étranger.
Mais une fois n’est pas coutume, Encel se montre modeste vis-à-vis de cette distinction.
[1] Le professeur Jean-Paul Chagnollaud, voir « Les intellectuels faussaires ».
[2] Par exemple dans l’émission « Les grandes gueules » de RMC le 6 juin 2011