18.11.2024
Islamophobie : Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman »1 Questions à Marwan Mohammed
Édito
22 octobre 2013
Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed ne font pas que déplorer l’islamophobie ambiante en France. Ils analysent avec une démonstration implacable les rouages, ses manifestations et ses conséquences sur la société française. Un livre qui va à contre-courant de la production médiatique majoritaire.
1/ Vous estimez que l’islamophobie est un « fait social total ». Pourquoi ?
Marcel Mauss définit un fait social total un phénomène social qui implique toutes les institutions d’une société. C’est le cas de l’islamophobie entendue comme le processus de racialisation des (supposé-e-s) musulman-e-s qui subissent une assignation identitaire : tous leurs discours et leurs comportements sont interprétés à l’aune de leur supposée appartenance religieuse. L’islamophobie est la conséquence de la construction du « problème musulman », qui est lui-même le fruit d’un immense travail de connaissance, de mobilisation et de normalisation sur l’islam et les musulmans. Ce travail implique la participation non coordonnée d’acteurs multiples, évaluant dans plusieurs champs sociaux : journalistes, acteurs politiques, sondeurs d’opinion, experts sécuritaires, universitaires demi-savants, hauts fonctionnaires, etc. Ainsi l’islamophobie est un phénomène d’abord élitaire parce que le consensus national selon lequel « l’islam pose problème » s’est créé parmi les élites, qui n’étaient pas toutes d’accord entre elles avant le début des années 1980, avant que les thématiques qui structurent l’islamophobie ne se diffusent dans le reste de la société.
2/ Vous estimez que les organisations antiracistes traditionnelles comme la Licra et SOS Racisme dépensent davantage d’énergie à lutter contre l’usage du terme « islamophobie » qu’à combattre ce qu’ils appellent le racisme antimusulman. Quelles en sont les raisons ?
En analysant la manière dont l’islamophobie a été traitée par les organisations antiracistes dominantes, on observe de profondes divisions entre elles et au sein même de leurs effectifs. Certaines d’entre elles se sont mobilisées contre le concept d’islamophobie et contre les organisations qui combattent les actes antimusulmans, sans forcément se mobiliser activement en faveur des victimes de ce qu’elles appellent le « racisme antimusulman ». Contrairement au MRAP et à une partie de la LDH, la Licra et SOS Racisme ont considéré que le concept d’islamophobie était inadéquat, équivalait à empêcher toute critique de la religion musulmane et revenait à instaurer un délit de blasphème. Cette dernière définition de l’islamophobie, popularisée par des philosophes et des journalistes établis, s’est imposée dans la plupart des rangs antiracistes, alors que dans le même temps, certaines organisations anti-islamophobie ont été disqualifiées pour leur « intégrisme » ou leurs positions pro-palestiniennes. Ainsi, le clivage autour du conflit israélo-palestinien et la disqualification des musulmans engagés font partie des sources de la division des antiracistes sur la question de l’islamophobie.
3/ Dans un climat médiatique où le « muslim bashing » se porte bien, comment votre livre a-t-il été accueilli par les médias ?
Il est difficile de faire une analyse de la réception de notre livre compte tenu du manque de recul dont nous disposons. Cela mériterait de faire une sociologie des prises de position des uns et des autres, mises en rapport avec leur position dans le champ médiatique. Cela demande du temps. Par ailleurs, la parution de notre livre coïncide avec d’autres publications et des évènements (notamment le livre de Claude Askolovitch ou le lancement de la Ligue de Défense Judiciaire des Musulmans de Karim Achoui) sur des sujets très proches, impliquant des personnalités et des approches plus « grand médias » compatibles. C’est une autre hypothèse que nous étudierons au moment de faire le point sur la réception de notre livre.
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[1] Editions La Découverte, 2013, 302 p.
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[1] Editions La Découverte, 2013, 302 p.