L'édito de Pascal Boniface

1914-2014, l’Europe sortie de l’histoire ? 3 questions à Jean-Pierre Chevènement

Édito
26 novembre 2013
Le point de vue de Pascal Boniface
Jean-Pierre Chevènement occupe une place tout à fait à part dans la vie politique française. Son rôle historique tout d’abord essentiel dans la reconstruction du Parti Socialiste et de l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, sa capacité rare d’allier une vision intellectuelle large, connaissances historiques profondes et action politique, la rigueur de son engagement, cohérent sur la longue distance, un cap fidèle sur les années, où les convictions l’ont toujours emporté sur les calculs et les arrangements et cela le distingue de beaucoup d’acteurs politiques. Pour tout cela, Jean-Pierre Chevènement parfois critiqué, fréquemment caricaturé, est respecté. Avec 1914-2014, l’Europe sortie de l’histoire ? publié aux éditions Fayard, il livre une réflexion sur les origines de la catastrophe de la Première guerre mondiale à l’État de l’Europe aujourd’hui. Avec toujours, la France pour préoccupation.
Vous préconisez le passage de la monnaie unique à une monnaie commune. Comment est-ce possible ? Quels sont les avantages ?


D’abord ce passage à la monnaie commune doit être préparé par tous les Etats européens concernés et bien entendu par la France et l’Allemagne qui ont porté la monnaie unique sur les fonts baptismaux. Celle-ci à long terme n’est pas viable. Elle impliquerait soit des transferts internes massifs inacceptables par les pays de l’Europe du Nord, soit une paupérisation durable des pays de l’Europe du Sud également inacceptable pour eux.
L’Allemagne ne soutiendra pas à perte de vue une monnaie unique frappée d’un vice congénital. Les pays qui la partagent sont trop hétérogènes. On ne peut pas fabriquer une nation à partir d’une monnaie mais seulement avec l’aval des citoyens. L’expérience montre que cela ne peut se faire que dans le temps long de l’Histoire.
L’objectif serait de faire de l’euro une monnaie commune, panier de devises nationales reconstituées sous un toit européen commun, afin de corriger les écarts de compétitivité entre les différents pays en laissant fluctuer l’euro mark, l’euro franc, l’euro lire dans des marges qui pourraient être rapidement stabilisées. Les pays européens du Sud pourraient renouer avec la croissance sans obérer les finances publiques des pays du Nord. La renationalisation des dettes, largement entamée depuis 2010, rend cette opération plus facile. Bien entendu un contrôle des capitaux provisoire devrait être instauré avant le lancement d’une telle opération dont je répète qu’elle ne peut être que concertée, et d’abord entre la France et l’Allemagne.  
Ce compromis « gagnant-gagnant » permettra seul de sauver le projet européen en intégrant à la monnaie commune la livre et un jour le rouble.
Vous écrivez que quiconque réfléchit à l’Europe sait que rien n’est possible sans une profonde entente franco-allemande et également que l’Allemagne devenue puissance économique dominante en Europe a encore besoin, pour ne pas être isolée, d’une France amicale et confiante. Comment renouer cette relation ?


La France a des atouts propres. L’Allemagne a besoin de la France pour reconstruire l’Europe sur des bases saines. Dans nos relations, l’amitié et la franchise doivent aller de pair. Nos intérêts communs à long terme l’emportent largement sur les divergences actuelles qui tiennent essentiellement à une surévaluation de l’euro pour l’économie française, comme pour toutes celles de l’Europe du Sud.
Vous croyez en l’émergence d’un monde multipolaire. Comment celle-ci peut-elle être gérable ?


Si on parvient à construire l’Europe comme une confédération de peuples libres, de la Méditerranée à la Russie, on évitera au XXIe siècle un tête-à-tête mortifère entre la puissance montante qu’est la Chine et la puissance lentement déclinante que constituent les Etats-Unis d’Amérique. L’Europe est l’alliée des Etats-Unis mais elle n’est pas leur caniche. Elle n’est pas non plus l’ennemie de la Chine. Nous avons besoin de temps pour inventer l’humanisme du XXIe siècle et j’ai la faiblesse de penser que l’Europe y peut quelque chose.
Tous les éditos