13.12.2024
Trois questions à Toumi Djaïdja
Édito
30 décembre 2013
30 ans après la Marche pour l’égalité, Toumi Djaïdja, dans son livre (1) écrit avec le sociologue Adil Jazouli, revient sur cet évènement qui avait marqué les esprits. Il raconte son parcours, les motivations qui avaient conduit à cette marche et l’accueil reçu. Il constate lucidement que des progrès ont été effectués depuis, mais que beaucoup reste à faire. Un livre qui se lit d’une traite et qui suscite de nombreuses réflexions. L’auteur répond aux questions de Pascal Boniface.
1/ Vous parlez d’une OPA de SOS Racisme sur la Marche pour l’égalité, pourquoi ?
Le 3 décembre 1983, la France toutes origines confondues, toutes catégories sociales, était rassemblée à Montparnasse. Des mineurs, des cadres, des gens des villes et des campagnes. Tous unis pour porter ce message de paix et d’égalité, pour faire partie du cortège de « la Marche pour l’égalité» qui fut un idéal qui rassemble et non des slogans creux qui divisent. L’on découvre alors la capacité de mobilisation de cette jeunesse. C’est ainsi que naît SOS racisme, parachutée par une certaine gauche. Elle dispose alors de moyens colossaux, financiers et des plans de communications édifiants. C’est en cela qu’elle fît une OPA, elle a fait main basse sur cette mobilisation révélée par notre mouvement. Nous étions battus d’avance.
2/ Comment transcender aujourd’hui la mobilisation des jeunes des cités et passer d’un mouvement moral et désintéressé à une stratégie politique, ce qui n’a pu être fait en 1983 ?
En soi, le message de La Marche fut un message qui a transcendé les partis politiques. L’égalité doit être un chantier permanent de La République, c’est en cela que notre mouvement se voulait apolitique. Au-delà de la crainte d’être récupérés, c’était de dire "l’égalité est l’affaire de tous et doit dépasser les clivages politiques". Aujourd’hui, je considère qu’il y a deux paramètres à prendre en compte pour que, s’il y a mobilisation des jeunes et afin qu’elle soit porteuse d’une stratégie politique, celle-ci puisse se faire : il y a une véritable crise morale et politique qui frappe notre pays, l’intégrité de certains de nos élus doit être infaillible, leur mission et l’intérêt général doivent primer sur l’intérêt individuel. Une partie de nos dirigeants doit mesurer son degré de responsabilité et la complexité des relations humaines. Encore faudrait-il qu’ils se sentent français et légitimes dans leur pays. D’où à mon sens, la nécessité impérieuse de faire que l’histoire de cette marche, cette petite histoire s’inscrive dans l’histoire de France, car "Si on n’est pas légitime dans une histoire, on n’est pas légitime dans un pays".
3/ La mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie pèsent-elles toujours sur les perceptions nationales ?
C’est une évidence. La guerre d’Algérie est une guerre sans nom. Aujourd’hui encore, elle éveille des passions par tant de non-dits et de malentendus non dissipés. Pourtant "La mémoire c’est l’histoire", mais comment faire mémoire commune quand l’histoire se raconte différemment des deux rives de la Méditerranée ? Il faut mettre un terme à cette "concurrence des mémoires". Les perceptions nationales en sont d’autant plus imprégnées que c’est une histoire et par ricochet une mémoire qui sont fantasmées. La passion empêche toute objectivité.
L’histoire de la France est liée à son passé colonial.
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(1) Toumi Djaïdja, avec Adil Jazouli, La Marche pour l’Égalité, Editions de L’Aube, 2013, 160 p.