04.11.2024
Fabius à Cuba : notre politique étrangère ne peut se résumer aux droits de l’homme
Édito
24 avril 2014
À l’occasion de la visite à Cuba du ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, la question a été posée : avons-nous abandonné la politique des droits de l’homme en envoyant le chef de notre diplomatie dans un pays qui ne les respecte pas ? Et l’avons-nous fait pour des considérations bassement commerciales ?
Cette opposition entre commerce et droits de l’homme est récurrente. Il n’est pas certain qu’elle soit posée de façon pertinente, car étant trop souvent présente en termes binaires et manichéens. Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, les relations internationales ne se résument pas à une opposition entre le bien et le mal. La France, pas plus qu’aucun autre pays, ne peut avoir des relations avec les seules démocraties. Demande-t-on par ailleurs aux autres pays d’en faire de même ? Y’en a-t-il un seul qui ne commerce qu’avec les États certifiés 100% démocratiques ? D’ailleurs, où situer de façon précise la frontière ? Les rapports annuels d’Amnesty International ou de Human Rights Watch n’épargnent aucune nation.
Devons-nous limiter nos relations aux pays où les élections sont libres et ouvertes, où le peuple choisit librement ses représentants ? On voit certes à peu près ceux qui sont réellement démocratiques et ceux qui sont réellement dictatoriaux. Mais entre les deux, il y a une zone grise. Qui par ailleurs serait légitime pour fixer les critères ? La politique étrangère d’un pays comme la France doit comporter un volet droits de l’homme mais ne peut se résumer à cela. Un État n’est pas une ONG. Le 50e anniversaire de la reconnaissance diplomatique de la Chine par la France a été commémoré il y a peu, chacun y a salué la clairvoyance de De Gaulle et son courage politique de le faire en s’opposant aux États-Unis, mais le régime politique intérieur chinois était certainement bien plus répressif et désagréable pour ses citoyens que ne l’est l’actuel.
Plus personne ne nourrit d’illusions sur un socialisme tropical qui aurait fleuri à Cuba. En même temps, est-il normal qu’il n’y ait pas eu de visite ministérielle depuis 1983 ? La France a depuis envoyé ses différents ministres, y compris des Affaires étrangères, dans des pays certainement bien plus répressifs que le régime cubain. On peut noter également que si Cuba n’est toujours pas une démocratie, si les droits de l’homme n’y sont pas totalement respectés, il y a néanmoins depuis peu une ouverture qu’il n’est pas anormal d’accompagner.
On voit surtout la place que Cuba occupe toujours dans nos représentations. Cuba est une cible facile parce que c’est un pays visible, connu de tous, facilement identifiable dans l’imaginaire collectif et qu’il n’y a pas de groupes de pressions économiques ou autres pour le défendre. Parler de la violation des droits de l’homme à Cuba, c’est vaincre sans péril, tout en estimant pouvoir triompher avec gloire. Ceux qui évoquent les droits de l’homme avec plus d’insistance à Cuba qu’ailleurs, baignent toujours dans une atmosphère de Guerre froide, 25 ans après la fin de cette période. Cuba subit toujours l’opprobre du pays qui s’est dressé contre les États-Unis. Il y a nettement moins de campagnes sur, par exemple, la violation des droits de l’homme au Kazakhstan ou en Ouzbékistan, pays où pourtant elles sont bien plus lourdes qu’à Cuba, mais "pro-occidentaux". Et on pourrait multiplier ce type d’exemples. Il convient donc de raison garder. Il ne s’agit pas d’ériger Cuba en modèle, ni de nier les immenses progrès qui restent à accomplir en matière de droits de l’homme. Mais boycotter ce pays ne contribuera pas à le faire progresser en cette direction. Et la France doit être présente "tous azimuts".