Trois questions à Barthélémy Courmont sur son livre « Une guerre pacifique »
Le contexte et les acteurs ne sont pas comparables. La guerre froide était avant tout un combat idéologique. La relation Washington-Pékin ne semble pas aussi nettement opposer deux idéologies rivales que l’Est et l’Ouest pendant plus de quatre décennies, Pékin ayant depuis trente ans abandonné l’idéologie au profit d’un pragmatisme teinté d’opportunisme. La Chine a choisi une trajectoire totalement différente de Moscou, est intégrée dans les institutions, notamment économiques, ce qui n’était pas le cas de l’Union soviétique. De même, la guerre froide n’a pris fin que dès lors que l’un des deux belligérants – l’Union soviétique – s’est avoué vaincu. Or, dans la situation actuelle, on imagine difficilement les Etats-Unis (si nous entendons ici que Washington se retrouve à la place de Moscou) reconnaître une « défaite » et on imagine encore moins la puissance émergeante qu’est la Chine, promise au plus bel avenir, courber l’échine comme l’a fait Moscou à la fin des années 1980. Enfin, côté chinois, les dirigeants n’ont pas intérêt à reproduire les erreurs de Moscou, et cette donnée fut intégrée dès les rencontres avec les officiels américains au début des années 1970, sous l’impulsion de Zhou Enlai, puis de Deng Xiaoping. En fait, la relation Chine – Etats-Unis ne saurait être comparée à aucune autre dans l’histoire récente, son ampleur ne se limite pas aux deux pays, elles ne s’incère pas non plus dans une logique de blocs, elle est résolument globalisée et globalisante à la fois. Et c’est ce qui la rend dans le même temps plus solide et potentiellement plus fragile que la guerre froide.
Les Etats-Unis et la Chine présentent la particularité, malgré leur rivalité de moins en moins masquée, d’être des économies intégrées dans la mondialisation, au point d’en être les piliers. Les conséquences de la crise économique de 2008, partie des Etats-Unis, n’a fait que rappeler l’importance de ce pays dans l’économie internationale. Et chacun sait qu’un essoufflement profond et durable de la croissance chinoise aurait des effets désastreux dans le monde entier, faisant ainsi de la Chine un moteur de l’économie internationale. Membre de l’OMC depuis 2001, la Chine est aussi dans le G20, la principale plateforme des débats économiques entre grandes puissances. Sur un plan doctrinal, on relève ainsi que contrairement à l’Union soviétique en son temps, la Chine ne refuse pas le modèle néolibéral, elle en a même accepté depuis la fin des années 1970 les règles, ce qui est au cœur de son ascension exceptionnelle. Rappelons enfin que si le commerce chinois est en grande partie excédentaire grâce aux exportations vers les Etats-Unis, l’économie américaine est de son côté dépendante du rachat de sa dette par la croissance chinoise. On parle dès lors d’une interdépendance. Est-elle irrémédiable dans la durée ? Pas nécessairement. La Chine diversifie de plus en plus ses partenariats économiques et commerciaux, et la dépendance aux consommateurs américains s’en trouve réduite. Parallèlement, la tentation à terme de proposer de nouvelles règles pourrait devenir pressante dans les cercles du pouvoir à Pékin, mettant en péril la coopération. On ne saurait donc exclure dans la durée des évolutions majeures, voire une rupture avec des conséquences incertaines, ce qui nous amène à considérer que l’interdépendance est peut-être rassurante.
Les indicateurs économiques sont au vert pour la Chine. Même moins soutenue que dans la décennie écoulée, la croissance de son PIB reste supérieure à 7%, sa balance commerciale est largement excédentaire, et en parité de pouvoir d’achat, le PIB chinois sera très rapidement supérieur à celui des Etats-Unis. Les sceptiques répondront que c’est la force du nombre, mais c’est tout de même le signe que la Chine émergera très vite comme la première puissance économique mondiale. Cependant, Pékin fait face à une multitude de défis auxquels il conviendra de répondre pour faire de ce siècle celui de la Chine. D’abord, si la Chine est riche, les Chinois restent pauvres dans leur immense majorité. Le défi social est considérable, et le succès de la Chine se mesurera en grande partie dans sa capacité à faire évoluer la société chinoise, à renforcer les classes moyennes et réduire la pauvreté en réduisant les inégalités. Le défi politique est tout aussi immense, avec en toile de fond une question essentielle : la première puissance économique mondiale peut-elle être un régime autoritaire, et si oui, pendant combien de temps ? A terme, des réformes profondes sont aussi indispensables qu’inévitables. Autre enjeu majeur : la Chine veut-elle être la première puissance mondiale ? Non pas dans les chiffres de son économie, mais dans les multiples responsabilités sur la scène internationale que cela implique, notamment sur les questions diplomatiques et stratégiques. Là encore, un siècle chinois devra être marqué par une présence accrue, voire incontournable, de Pékin. L’Occident acceptera-t-il de partager avec Pékin ? Voilà sans doute la plus grosse interrogation dans l’avenir de la relation Washington-Pékin. Enfin, le reste du monde (les pays émergents) veut-il de la Chine ? Cette question suggère des réflexions sur le consensus de Pékin, le modèle de développement et de gouvernance chinois, et sa capacité à s’exporter. En clair, la Chine a le potentiel pour faire du XXIème siècle le sien, et nul ne doute qu’elle sera économiquement au sommet, mais il lui reste à agir comme une première puissance mondiale.