L'édito de Pascal Boniface

Ukraine. Le pays a besoin de dirigeants qui ne pensent pas qu’à leur compte en banque

Édito
22 mai 2014
Le point de vue de Pascal Boniface
Les 25 mai, malgré un environnement instable, la situation chaotique dans l’est du pays et les pressions russes, les Ukrainiens devraient voter pour choisir celui qui sera leur chef d’État. La compétition oppose Petro Porochenko, Ioulia Timochenko et Serguiï Tiguipko.


Les deux premiers sont des oligarques à la fortune considérable, le troisième est un ancien ministre de l’économie déjà candidat en 2010 et qui propose de faire du russe la seconde langue officielle du pays. Les sondages donnent Porochenko gagnant. Il était l’un des principaux financeurs de la Révolution orange mais, selon certains observateurs, il serait capable de trouver les bases d’un accord avec la Russie. Timochenko, dans le passé, a alterné hostilité et coopération avec Moscou.
 

Si le vote confirme les sondages, que peut-il se passer ? Le nouveau président va-t-il jouer la carte de l’apaisement et de la réconciliation, cesser de qualifier de "terroristes" les pro-russes ? Ces derniers vont-ils également accepter un vrai dialogue avec Kiev ? Les Russes et les Occidentaux vont-ils se mettre d’accord pour faire baisser les tensions ? Au-delà de ces questions qui sont déjà des inconnues aux lourdes conséquences selon les réponses qui y seront apportées, il y en a une autre plus fondamentale qui concerne le rapport à l’État des dirigeants ukrainiens
 

Porochenko va-t-il se comporter en oligarque soucieux avant tout de défendre ses positions et celles de ses homologues, ou comme un chef d’État soucieux de l’intérêt national et du développement du pays ? S’il choisit la deuxième option, il devra nécessairement demander quelques sacrifices à ceux qui se sont bâti des fortunes colossales au détriment du développement économique du pays et, sur ce point, la responsabilité est avant tout ukrainienne.
 

Avant l’éclatement de l’Union soviétique et la chute du rideau de fer, la Pologne et l’Ukraine avait une richesse par habitant comparable, la Russie étant nettement plus opulente. Le PIB par habitant était de : 1694 dollars pour la Pologne, 1570 dollars pour l’Ukraine, 3485 dollars pour la Russie.

La privatisation au profit des oligarques en Ukraine et en Russie et la captation de la richesse nationale par une poignée de personnes, sur fond de désorganisation générale, va conduire à un appauvrissement de l’Ukraine et de la Russie. En 2000, le PIB par habitant en Ukraine est tombé à 636 dollars et à 1775 dollars en Russie. En revanche, la mise en place d’une véritable économie de marché et d’une démocratie ainsi que le rapprochement avec l’Union européenne ont conduit à un très fort enrichissement de la Pologne, dont le PIB annuel par habitant est passé à 4454 dollars en 2000.  

Depuis le début du siècle, la Pologne a continué son ascension et son PIB annuel par habitant a atteint 12.710 dollars en 2012. En Russie, l’augmentation du coût des matières premières énergétiques et la relative mise au pas des oligarques, priés de réinvestir dans l’économie nationale, ont également permis un fort taux de développement de la richesse par habitant, qui est passée à 14.037 dollars en 2012. Quant à l’Ukraine, elle a aussi connu une croissance mais celle-ci demeure bien moindre, son pays PIB par habitant atteignant 3.867 dollars en 2012.
 

L’Ukraine et la Pologne étaient donc à peu près sur la même ligne de départ en 1990 mais la Pologne a désormais un PIB par habitant plus de trois fois supérieur à celui de l’Ukraine. Les Russes, qui étaient deux fois plus riches par habitant que les Ukrainiens et les Polonais, ont presque été rattrapés par les Polonais mais restent toujours presque quatre fois plus riche par habitant que les Ukrainiens.

Les Ukrainiens méritent d’avoir des dirigeants qui ne s’occupent pas que de se bâtir des fortunes, mais s’occupent aussi de développer leur pays. Les différents présidents polonais, au gré des alternances politiques et dans le respect de la démocratie, ont, eux, développé leur pays. Quant à Poutine, il est brutal et autoritaire, mais il défend, à sa manière, l’intérêt national. Cela n’a jamais été le cas, jusqu’ici, des dirigeants ukrainiens.
Tous les éditos