13.12.2024
Défier le récit des puissants – 3 questions à Frank Barat
Édito
10 juillet 2014
Les éditions Indigènes – rendues célèbres pour avoir publié le succès mondial de Stéphane Hessel Indignez-vous – viennent d’offrir au public Défier le récit des puissants de Ken Loach. Le réalisateur se livre sur ses combats, sa conception de l’engagement et ses méthodes de travail, au moment où sort en salle son dernier film « Jimmy’s hall ». Frank Barat, qui a collaboré à l’écriture du livre répond aux questions de Pascal Boniface.
1/ Selon Ken Loach, le cinéma est le moyen de « briser le récit des élites ». Pourtant, les productions politiques et contestataires sont peu nombreuses.
En fait, Ken Loach ne dit pas tout a fait cela. Il dit que le cinéma, peut être un détonateur, qui permet ensuite, grâce à la prise de conscience des gens et à leurs actions, de briser le récit des élites, ou en tout cas, le remettre fortement en cause. Je pense aussi qu’il y a plus de productions politiques et contestataires qu’on ne le pense. C’est juste qu’on ne les voit pas et qu’elles sont très mal distribuées. Par exemple, un film visionnaire comme « Punishment Park » de Peter Watkins, n’est pas connu du tout. Réalisé en 1971, il est pourtant incroyablement d’actualité encore aujourd’hui. Les médias aussi jouent un rôle néfaste. J’ai récemment contacté un média dit « indépendant » ou « alternatif » pour voir s’il voulait faire un papier sur un film palestinien qui allait sortir. On m’a répondu très franchement. « Personne ne connait ce film, c’est un petit film. Donc on ne fera rien dessus. »
Ensuite, disons qu’à une plus grande échelle, le fait qu’il n’y ait pas plus de productions comme les films de Ken Loach, reflète une vision de notre société. Etre contestataire, n’est pas très bien vu, n’est-ce pas ? De l’école à l’âge adulte. Ken Loach lui-même le dit, malgré son « statut » il lui est pourtant aujourd’hui toujours très difficile de trouver de l’argent pour ses films. La néo-libéralisation du monde s’applique aussi directement au milieu du cinéma. Les grands studios produisent ce qui se vend. Une logique de marché avant tout.
2/ Pour Ken Loach, la lutte est une réalité quotidienne et le cinéma un moyen de rappeler qu’elle est universelle. Pourquoi ?
Ken Loach, qui, peu de gens le savent, est lui-même un militant, souvent présent dans des petites conférences sur la Palestine, sur les gens en grève, sur la situation en Angleterre même, utilise le cinema car c’est aussi ce qu’il sait faire de mieux. Souvent, quand on se bat tous les jours, 7 jours sur 7, on peut se sentir seul, isolé, déprimé même. Ken, avec ses films, tente de montrer que cela est faut. Que la lutte est universelle et que des gens, à des milliers de kilomètres d’où nous sommes, sont dans le même cas. La globalisation du monde est aussi la globalisation de la lutte. Le fait de comprendre que ce qui se passe en Palestine, par exemple, nous touche directement en Europe est clef. Une fois que les gens prennent conscience de cela, il est plus facile de les faire réagir, de les faire entrer en lutte, eux aussi. L’art, le cinema, les livres ou autres, peuvent être un moyen très puissant et rapide de réveiller les consciences. Encore une fois, les médias de masse, et les gouvernements, ont souvent pour but d’isoler le plus possible les gens qui militent. Ils critiquent les syndicats, les travailleurs en grève, (regarder le traitement médiatique de la grève des cheminots, des intermittents, qui « prennent les gens en otages », « détruisent le théâtre »), les gens qui manifestent. La vieille tactique du « diviser pour mieux régner » s’applique aussi dans ces cas-là. Heureusement, les gens, la population, y croit de moins en moins, en tout cas c’est ce que je pense, et a conscience qu’on nous ment, tous les jours. Cela va prendre du temps, mais les choses changent, à petite échelle, doucement, mais une révolution ne se fait pas en 2 jours !
3/ Comment expliquer que pour son film « Secret défense », il a été accusé de justifier le terrorisme ?
« Secret défense » est un film très critique du rôle des Anglais en Irlande. Et vu que c’est un film qui dit aussi la vérité, car il fut le produit d’un travail de recherche énorme, le gouvernement, comme d’habitude, attaque le messager, mais pas le message. Ken Loach critique son pays, il est donc terroriste. C’est un mot très fort, qui marque les gens. Comparez cela avec les gens qui critiquent la politique de l’État d’Israël, qui, au moment où j’écris, bombarde encore une fois la population civile de Gaza. Critiquez Israël et on vous traite d’antisémite. C’est un mot extrêmement fort, qui vous colle à la peau. Il faut ensuite prouver que l’on ne l’est pas ! Ce qui prend du temps, de l’énergie. Et comme disait Goebbels « répétez un mensonge assez souvent et il devient une vérité ». Donc, on répète encore et encore que les Palestiniens sont des terroristes, qu’Israël veut la paix… Les médias ont tendance à relayer cela…et les gens, qui n’ont pas le temps d’aller chercher leurs informations ailleurs…finissent par y croire. Du coup, les militants pro-justice, passent autant de temps à devoir contrer ces messages qu’à faire un vrai travail de sensibilisation, de mobilisation et d’éducation.
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