13.12.2024
Israël contre le Hamas : une possible victoire militaire, mais pas politique
Édito
6 août 2014
Israël et le Hamas ont accepté ce mardi une trêve de 72 heures, qui s’est accompagnée du retrait de l’armée israélienne de la bande de Gaza. Comme en 2009, après l’opération "Plomb durci", l’État hébreu dit avoir atteint son objectif. Un parallèle qui enjoint Pascal Boniface à publier à nouveau ce texte écrit il y a cinq ans.
"Israël, depuis 1948 jusqu’à ce jour, agit en fonction d’une doctrine de sécurité dont l’efficacité militaire, va en sens contraire de la finalité politique. Si les Israéliens renforcent leur sécurité militaire, ils réduisent leur chance de la reconnaissance politique". Ces lignes n’ont pas été écrites récemment, mais en 1976 par l’un des plus grands penseurs politiques français, Raymond Aron. Il publiait l’ouvrage de référence sur les questions stratégiques, "Penser la guerre Clausewitz", consacré au grand théoricien prussien. Raymond Aron ne pouvait pas être considéré comme hostile à Israël, lui qui s’était opposé en 1967 à la rupture des liens stratégiques entre la France et l’Etat hébreu, opérée par De Gaulle. Mais en 1976, il était frappé par la contradiction entre la puissance militaire d’Israël et l’absence de résultats politiques que cela lui permettait d’obtenir.
Raymond Aron écrivait qu’en 1956, comme en 1967, les Israéliens gagnèrent des batailles qui ne leur permettaient pas d’atteindre leur but politique et risquaient même de les en éloigner. On connaît la formule de Clausewitz : "La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens". Elle signifie que la guerre est un échec si la victoire militaire n’est pas accompagnée d’une victoire politique. On peut faire la même réflexion avec les combats actuels de Gaza. Au-delà de l’argument moral sur la responsabilité des bombardements sur les forces militaires du Hamas, qui obligatoirement atteignent également les populations civiles vivant à Gaza, on peut légitimement s’interroger sur les buts recherchés par Israël.
S’agit-il, comme cela est annoncé officiellement, d’affaiblir le Hamas et de renforcer le camp des Palestiniens modérés qui, autour de Mahmoud Abbas, veulent établir un accord de paix avec Israël ? Cet objectif pourrait être largement soutenu au-delà d’Israël, en Europe et dans les pays arabes. Mais hélas, les affrontements vont exactement produire l’inverse : Mahmoud Abbas, qui avec une obstination quasi touchante, poursuit depuis qu’il est élu à la tête de l’Autorité palestinienne, en janvier 2005, la voie des négociations avec Israël, n’a jamais rien obtenu en échange.
Sa modération ne lui a permis d’obtenir aucun résultat tangible sur aucun point (statut de Jérusalem, frontières, sort des réfugiés, sans parler de la poursuite de la colonisation, de la construction du mur, maintien des check points, etc.). Il ne peut se targuer devant les Palestiniens d’une quelconque amélioration de leur situation, du bien-être économique ou social des Palestiniens ou d’une quelconque avancée des perspectives politiques. Il est considéré comme un interlocuteur fréquentable par Israël, les Etats-Unis et l’Union européenne, mais ceci ne s’est traduit par aucune avancée concrète.
Le Hamas n’a non plus guère fait avancer les choses. Plutôt que de lancer des roquettes sur les villes israéliennes, la voie de la contestation pacifique, comme le démantèlement par des manifestants du mur qui permet le blocus autour de Gaza, aurait été plus efficace.
Mais ce n’est certainement pas en bombardant la population de Gaza que l’on rendra le Hamas impopulaire. Tout au contraire, en période de souffrance, ceux qui résistent le plus durement gagnent en crédit. L’espoir que la population palestinienne se retournera contre le Hamas en le rendant responsable des bombardements israéliens consiste à prendre ses désirs pour des réalités. Les populations bombardées en veulent généralement à ceux qui les bombardent, pas à ceux qui les dirigent, même s’ils peuvent émettre des critiques sur leur direction.
Même en Cisjordanie, le Fatah est déconsidéré et le Hamas gagne du terrain. Dans l’ensemble du monde arabe, ceux qui étaient les plus enclins à négocier avec Israël sont affaiblis, alors que ceux qui ont les positions les plus critiques sont renforcés. Il y a encore une contradiction entre l’objectif politique et l’objectif militaire.
Pour atteindre son objectif militaire de destruction du Hamas, Israël devra nécessairement augmenter les pertes dans la population civile palestinienne et augmenter la haine qu’il suscite dans le monde arabe et son impopularité dans le monde.
Certes, Israël n’a pas à craindre de sanctions de la part de l’Union européenne et encore moins de la part des Etats-Unis, mais son image va être fortement dégradée dans les pays européens et dans le monde, et l’animosité qu’il suscite dans le monde arabe va augmenter ce qui donnera plus d’impact à ceux qui tiennent les discours les plus radicaux. Israël s’enferme dans une posture de supériorité militaire qui éloigne toute perspective de règlement politique.
"Israël, depuis 1948 jusqu’à ce jour, agit en fonction d’une doctrine de sécurité dont l’efficacité militaire, va en sens contraire de la finalité politique. Si les Israéliens renforcent leur sécurité militaire, ils réduisent leur chance de la reconnaissance politique". Ces lignes n’ont pas été écrites récemment, mais en 1976 par l’un des plus grands penseurs politiques français, Raymond Aron. Il publiait l’ouvrage de référence sur les questions stratégiques, "Penser la guerre Clausewitz", consacré au grand théoricien prussien. Raymond Aron ne pouvait pas être considéré comme hostile à Israël, lui qui s’était opposé en 1967 à la rupture des liens stratégiques entre la France et l’Etat hébreu, opérée par De Gaulle. Mais en 1976, il était frappé par la contradiction entre la puissance militaire d’Israël et l’absence de résultats politiques que cela lui permettait d’obtenir.
Raymond Aron écrivait qu’en 1956, comme en 1967, les Israéliens gagnèrent des batailles qui ne leur permettaient pas d’atteindre leur but politique et risquaient même de les en éloigner. On connaît la formule de Clausewitz : "La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens". Elle signifie que la guerre est un échec si la victoire militaire n’est pas accompagnée d’une victoire politique. On peut faire la même réflexion avec les combats actuels de Gaza. Au-delà de l’argument moral sur la responsabilité des bombardements sur les forces militaires du Hamas, qui obligatoirement atteignent également les populations civiles vivant à Gaza, on peut légitimement s’interroger sur les buts recherchés par Israël.
S’agit-il, comme cela est annoncé officiellement, d’affaiblir le Hamas et de renforcer le camp des Palestiniens modérés qui, autour de Mahmoud Abbas, veulent établir un accord de paix avec Israël ? Cet objectif pourrait être largement soutenu au-delà d’Israël, en Europe et dans les pays arabes. Mais hélas, les affrontements vont exactement produire l’inverse : Mahmoud Abbas, qui avec une obstination quasi touchante, poursuit depuis qu’il est élu à la tête de l’Autorité palestinienne, en janvier 2005, la voie des négociations avec Israël, n’a jamais rien obtenu en échange.
Sa modération ne lui a permis d’obtenir aucun résultat tangible sur aucun point (statut de Jérusalem, frontières, sort des réfugiés, sans parler de la poursuite de la colonisation, de la construction du mur, maintien des check points, etc.). Il ne peut se targuer devant les Palestiniens d’une quelconque amélioration de leur situation, du bien-être économique ou social des Palestiniens ou d’une quelconque avancée des perspectives politiques. Il est considéré comme un interlocuteur fréquentable par Israël, les Etats-Unis et l’Union européenne, mais ceci ne s’est traduit par aucune avancée concrète.
Le Hamas n’a non plus guère fait avancer les choses. Plutôt que de lancer des roquettes sur les villes israéliennes, la voie de la contestation pacifique, comme le démantèlement par des manifestants du mur qui permet le blocus autour de Gaza, aurait été plus efficace.
Mais ce n’est certainement pas en bombardant la population de Gaza que l’on rendra le Hamas impopulaire. Tout au contraire, en période de souffrance, ceux qui résistent le plus durement gagnent en crédit. L’espoir que la population palestinienne se retournera contre le Hamas en le rendant responsable des bombardements israéliens consiste à prendre ses désirs pour des réalités. Les populations bombardées en veulent généralement à ceux qui les bombardent, pas à ceux qui les dirigent, même s’ils peuvent émettre des critiques sur leur direction.
Même en Cisjordanie, le Fatah est déconsidéré et le Hamas gagne du terrain. Dans l’ensemble du monde arabe, ceux qui étaient les plus enclins à négocier avec Israël sont affaiblis, alors que ceux qui ont les positions les plus critiques sont renforcés. Il y a encore une contradiction entre l’objectif politique et l’objectif militaire.
Pour atteindre son objectif militaire de destruction du Hamas, Israël devra nécessairement augmenter les pertes dans la population civile palestinienne et augmenter la haine qu’il suscite dans le monde arabe et son impopularité dans le monde.
Certes, Israël n’a pas à craindre de sanctions de la part de l’Union européenne et encore moins de la part des Etats-Unis, mais son image va être fortement dégradée dans les pays européens et dans le monde, et l’animosité qu’il suscite dans le monde arabe va augmenter ce qui donnera plus d’impact à ceux qui tiennent les discours les plus radicaux. Israël s’enferme dans une posture de supériorité militaire qui éloigne toute perspective de règlement politique.
Texte initialement publié le 19 janvier 2009.