12.11.2024
En pleine négociation sur son programme nucléaire, quel futur pour la relation entre les puissances occidentales et l’Iran ?
Interview
5 septembre 2014
On peut être vraisemblablement optimiste quant à la possibilité d’un accord avant le 24 novembre car il y a une volonté ferme des deux côtés d’aboutir à un accord, en témoigne la décision, décidée courant juillet, de renouveler la période de négociation. Cette prolongation des négociations a été convenue car les parties ont réalisé qu’il était possible d’aboutir à un accord. Ce qui est encourageant du côté iranien, c’est la volonté du gouvernement de faire repartir l’économie en faisant lever les sanctions tout en normalisant ses relations avec l’Occident. Cela s’explique notamment par la volonté affichée de l’Iran de (re)devenir une puissance régionale en raffermissant ses liens avec les Etats-Unis. Du côté américain, on a aujourd’hui le sentiment que les tensions avec l’Iran sont improductives et que l’Iran pourrait devenir à terme non pas un allié mais toutefois un pays sur lequel les Américains pourraient s’appuyer. Du côté européen, les chancelleries ont pris en compte que le gouvernement iranien a changé et que le gouvernement actuel est sérieux dans sa volonté de résoudre les problèmes actuels par la négociation.
Cela étant, certains obstacles perdurent encore. On peut ainsi penser au fait que les Iraniens ont investi énormément de ressources et de temps dans leur programme nucléaire. On ne peut donc pas s’attendre à ce que les Iraniens acceptent inconditionnellement toutes les revendications des Occidentaux. Il existe également une opposition politique forte hostile à tout accord et même contre le principe des négociations en lui-même en Iran. Du côté américain, on sait qu’il existe une opposition forte aux négociations au sein du Congrès et du Sénat. Enfin, en France, on peut observer un certain attentisme et une certaine méfiance vis-à-vis de l’Iran qui ne facilitent pas les négociations.
En dépit de tous ces éléments contraires, on peut cependant être optimiste car il n’existe en réalité pas d’alternative aux négociations chez les deux parties : les « durs » n’ont ainsi pas de stratégie alternative à la situation actuelle. Si les deux camps acceptent de faire des compromis, un accord semble donc toujours possible.
L’Iran entend renforcer ses liens avec l’Union européenne et a rencontré récemment plusieurs ministres européens. Quel est l’état des lieux des rapports avec les Etats de l’UE ? Peut-on s’attendre à un assouplissement des sanctions commerciales à court terme ?
Il est tout d’abord important de noter que plusieurs ministres de l’Union européenne se sont déplacés en Iran pour rencontrer le nouveau gouvernement : on peut donc affirmer que les relations se sont apaisées entre l’UE et l’Iran, en témoigne la visite récente du ministre iranien des Affaires étrangères au Luxembourg. Ce réchauffement peut s’expliquer par le rôle très actif qu’a pris l’Union européenne dans les négociations sur le nucléaire, notamment sous l’influence de Catherine Ashton. L’un des points de désaccord persistant repose dans les sanctions, décidées par l’UE, qui limitent les possibilités de commerce entre l’Iran et l’UE. Il existe cependant un énorme intérêt des entreprises de l’UE pour le marché iranien. Les gouvernements anglais et français sont ainsi très soucieux de soutenir leurs entreprises afin qu’elles développent leurs parts de marché en Iran ; on l’a bien vu avec la visite du Medef.
La levée des sanctions de l’UE dépendra quant-à-elle de l’issue des négociations sur le programme nucléaire iranien. Ce qui est cependant clair c’est que l’UE a la possibilité, plus que les Américains, de lever très rapidement ses sanctions. Il faut néanmoins que les Européens demeurent extrêmement attentifs au fait qu’une grande partie des sanctions bloquant le commerce entre l’Iran et le reste du monde sont des sanctions financières, notamment américaines. En cas d’accord sur le nucléaire, les Européens doivent donc veiller à ce que les Américains donnent des garanties que toutes les sanctions financières, notamment sur les banques européennes, vont disparaître, et que dans ce cas-là les banques européennes pourront financer les flux d’échange entre l’UE et l’Iran sans aucun risque, évitant de ce fait une nouvelle affaire BNP-Paribas
Les différentes crises qui se jouent aux portes de l’Iran ou dans sa zone d’influence, lui permettent-elles de redorer son blason et se de présenter comme un allié potentiel de l’Occident ? Quelle est la position et la stratégie de l’Iran notamment vis-à-vis de l’Irak ?
Lorsque l’Iran déclare aux gouvernements occidentaux qu’elle peut jouer un rôle utile dans les crises secouant actuellement son environnement régional, il est fondamental de voir qu’il ne s’agit pas d’opérations de communication. Pour l’Iran, toutes ces crises sont quasiment existentielles. Les autorités iraniennes n’ont de ce fait pas attendu les Occidentaux pour intervenir. Si l’on prend le cas irakien, on a l’impression que certains gouvernements ne découvrent que maintenant la nature de l’Etat Islamique. Or, pour l’Iran, ce groupe, depuis son apparition même, représente une menace existentielle vu qu’il ambitionne sur le long-terme d’exterminer tous les chiites. Les Iraniens ont ainsi justifié leur intervention en Syrie du fait de la présence de groupes djihadistes dans l’insurrection. L’Iran a également envoyé des conseillers militaires en Irak afin de lutter contre les éléments de l’Etat Islamique. L’Iran a un intérêt direct à la stabilisation de la région et dans la lutte contre l’EI.
La situation actuelle renforce de fait le discours iranien car l’Iran est le seul régime à avoir soutenu l’Irak dès les prémisses de sa lutte contre l’EI. Il est vrai que le gouvernement américain se rend aujourd’hui compte qu’ils ont le même ennemi que l’Iran dans la région : les groupes djihadistes. Les crises actuelles valident ainsi la stratégie iranienne : il est aujourd’hui difficile de voir une solution aux crises en Syrie et en Irak en écartant l’Iran sachant que l’Iran lutte contre l’EI depuis 3 ans déjà. Les Occidentaux se retrouvent aujourd’hui de facto dans le même camp que l’Iran, c’est encore difficile pour les Américains de reconnaître cette situation mais c’est la réalité.
Cela ne mènera cependant vraisemblablement pas à une redistribution totale des cartes dans la région – les Etats-Unis notamment ne pouvant en effet pas changer leur stratégie d’alliance du jour au lendemain –, ni n’aura un impact notable sur les négociations sur le nucléaire iranien, qui dépendent de facteurs très spécifiques au nucléaire.