ANALYSES

Argentine : quelle stratégie pour faire face au risque de faillite ?

Interview
10 juillet 2014
Le point de vue de Christophe Ventura
Comment l’Argentine a-t-elle pu se retrouver menacée à nouveau de faillite ?

L’Argentine s’est retrouvée menacée de faillite par une décision inattendue de la Cour suprême américaine, saisie par deux fonds spéculatifs, à savoir Elliott Management et Aurelius Capital Management (désormais appelés « fonds vautours » en Argentine et dans la plupart des médias internationaux), qui ont refusé les conditions de remboursement prévues dans le cadre de la restructuration de la dette argentine. En effet, entre 2005 et 2010, l’Argentine a posé les conditions d’une restructuration de sa dette, qui a abouti à ce que le gouvernement s’en acquitte envers ses créanciers à hauteur de 30% de la valeur des titres dont disposaient ces fonds. Donc les créanciers privés, les bailleurs de fonds, sont payés mais avec des titres décotés de 70%. Elle a ainsi renégocié 93% de sa dette. Cependant, les deux fonds en question refusent ces conditions et ont déposé une plainte devant la Cour suprême. L’Argentine, qui de son côté avait fait appel de la décision, s’est vue déboutée de sa demande par le juge Thomas Griesa, qui a décidé de ne pas l’entendre. Cette décision revient de facto à donner raison aux deux fonds spéculatifs et à exiger de l’Argentine qu’elle rembourse intégralement – et non à 30% – les titres qu’ils détiennent.
Précisons que ces deux fonds n’ont jamais prêté de l’argent directement à l’Argentine, étant spécialisés dans le rachat de titres de dette à d’autres détenteurs. Ainsi, l’un d’eux a acheté en 2007 pour 48 millions de dollars de titres et il revendique aujourd’hui 832 millions avec la décision qu’il espère obtenir de la Cour suprême. Le problème c’est qu’avec cette logique là, au nom du traitement égal entre tous les bailleurs, la boite de Pandore est ouverte et ce précédent judiciaire pourrait autoriser tous les bailleurs de fonds et tous les créanciers qui sont partie prenante dans cette restructuration de la dette argentine à revenir sur ce qui avait été conclu et à demander à leur tour le paiement rubis sur l’ongle de tout ce qui avait été négocié auparavant.
La décision de la Cour oblige dans un premier temps l’Argentine à donner 1,33 milliards de dollars aux deux fonds en question mais pourrait également l’obliger à rembourser 90 milliards de dollars aux autres fonds, ce qui la mettrait en situation de défaut de paiement. Cette situation ne concerne pas que l’Argentine car elle signifie que désormais d’autres fonds spéculatifs mondiaux qui détiennent des titres de dettes souveraines d’autres pays pourraient agir de la même manière et menacer la stabilité internationale.

Au vu de ces éléments, la stratégie du gouvernement Kirchner pour faire face à cette crise a-t-elle des chances d’aboutir ?

La stratégie du gouvernement Kirchner a en effet des chances d’aboutir. Depuis le début de cette crise avec la décision du juge Griesa, le 16 juin dernier, l’Argentine bénéficie d’un très large soutien au niveau international. Beaucoup d’organisations internationales se sont exprimées en faveur d’une solidarité avec le pays. Ainsi, tous les Etats d’Amérique latine se sont réunis au sein de la Communauté d’États latino-américains et caraïbes (CELAC) le 7 juillet à ce sujet, de même que l’Organisation des Etats américains (OEA) et le G77 + Chine (133 pays). Ces derniers se sont exprimés pour condamner la décision de la Cour suprême et ont appelé le juge Grieza à revenir sur cette décision pour permettre à l’Argentine de s’en sortir, mais aussi et surtout pour exiger que des normes internationales soient élaborées afin d’encadrer les négociations de restructuration des dettes souveraines. En effet, ce problème ne concerne pas que l’Argentine et chaque Etat comprend bien que ce qui arrive à ce pays pourrait lui arriver d’où une très large solidarité contre ces fonds « vautours ».

Quelle est la position états-unienne ?

Il y a également des contradictions aux Etats-Unis, puisque la décision de la Cour ne contente pas d’autres parties du secteur financier et bancaire américain et du gouvernement lui-même. Du point de vue du gouvernement, cette décision vient obscurcir les relations politiques et commerciales avec les pays sud-américains, alors même que le passif est déjà lourd. Cette affaire nuit à leur stratégie de normalisation des relations avec l’Amérique latine et donc à leurs intérêts économiques. De plus, le gouvernement américain et une partie des acteurs financiers états-uniens considèrent que cela peut affecter la compétitivité financière du pays. En effet, si les bailleurs privés américains utilisent le droit de leur pays comme une arme politique contre des Etats pour obtenir une rente plus importante, ces derniers pourraient à l’avenir se tourner vers d’autres fonds spéculatifs qui offriraient plus de garanties du point de vue du droit, notamment vers l’Angleterre et sa City de Londres, qui d’une certaine manière ne comporte pas ce risque de décision de non-respect des négociations sur la dette souveraine. Il y a donc un front hétéroclite, mais assez important, d’acteurs étatiques, financiers, médiatiques, qui ne sont pas convaincus par la justesse de la décision de la Cour Suprême. Par conséquent, le juge Griesa a nommé un médiateur entre l’Argentine et les deux fonds en question, Daniel Pollack. Les réunions ont commencé ce début de semaine, ce qui indique une volonté de trouver une solution qui ne soit pas celle qui découle du refus de l’appel argentin. On devrait donc se diriger vers une négociation entre les deux fonds et l’Argentine. Cela montre que le juge a pris la mesure du rapport de force qui est en train de s’établir et cherche à ce que les deux parties s’entendent. L’Argentine devait payer le 30 juin les 1,33 milliards de dollars mais lui a été accordé un délai supplémentaire d’un mois au terme duquel, soit elle devra payer la somme totale, soit un accord aura été conclu et modifiera les termes de la situation actuelle.
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