27.11.2024
Afghanistan : pourquoi l’euphorie du 1er tour des présidentielles laisse-t-il place à l’inquiétude du 2nd tour ?
Interview
18 juin 2014
Il y a plusieurs incertitudes en ce qui concerne le déroulement de ce deuxième tour qui inquiète les Afghans.
Premièrement, la commission électorale indépendante, dès le premier jour, a annoncé une participation de plus de 7 millions d’électeurs. Or ce chiffre est supérieur à la participation au premier tour qui a été excellente et, au contraire, les observateurs sur le terrain ont constaté une moindre participation au deuxième tour. Cela s’explique par le fait que certains électeurs, qui ont voté pour des candidats qui ne sont plus présents au deuxième tour, ne sont pas allés voter. Dans certaines régions du Sud et de l’Est, un taux de participation plus élevé a été constaté, mais je ne pense pas, en l’absence d’éléments convaincants, que la participation au deuxième tour soit supérieure à celle du premier tour.
Le deuxième élément d’inquiétude est que, dès le premier jour de ce scrutin, le chef du secrétariat de la Commission électorale indépendante aurait voulu frauder en transportant des bulletins de vote vierges vers une destination dans l’est de Kaboul, supposée favorable à l’un des candidats. Il a été arrêté par les forces de l’ordre. Aujourd’hui, cet élément crée une certaine confusion car certains l’accusent d’être un soutien du candidat Ashraf Ghani. Le docteur Abdullah Abdullah a officiellement demandé sa suspension et une enquête approfondie. Mais, au-delà, la Commission indépendante a annoncé plusieurs milliers de cas de fraudes à différentes échelles.
Ces deux éléments ont été repris, le mercredi 18 juin, par le candidat favori, Dr Abdullah Abdullah pour accuser le président sortant Hamid Karzai qui a nommé le président de la Commission électorale, d’organiser ces irrégularités en faveur de son rival. Il a suspendu tout contact avec la Commission électorale demandant même la suspension du comptage du bulletin de vote tant que des réponses convaincantes sur les faits mentionnés ne lui ont pas été fournies.
Quel candidat a le plus de chances de remporter les élections et quelles conséquences cette victoire aura-t-elle ?
La situation telle que je viens de l’exposer crée une très grande inquiétude au sein de l’équipe et chez les partisans du docteur Abdullah Abdullah, qui était le candidat favori pour ce deuxième tour, parce qu’il ne lui manquait que 4 à 5% de voix pour être élu dès le premier tour. La différence entre le docteur Abdullah et le docteur Ashraf Ghani était de 16 points au premier tour ; or, le report de voix des autres candidats, notamment du candidat arrivé 3e, le Dr Rassul, et celui arrivé en 4e position, Abdurab Sayaf, était censé assurer au docteur Abdullah plus de 65% des voix du premier tour. Dans ces conditions, la plupart des observateurs pensaient l’élection du docteur Abdullah acquise. Or, on constate une ambiance assez lourde aujourd’hui à Kaboul, alors que le comptage des votes a à peine commencé. Les fraudes constatées, selon l’équipe de Dr Abdullah, auraient été commises pour assurer l’élection d’Ashraf Ghani qui, selon certains analystes, serait mieux placé pour discuter avec les Talibans étant favorable à des négociations avec eux. La question ethnique récurrente en Afghanistan, serait à l’arrière plan de cette crise. L’élection du Dr Abdullah aurait pu constituer, dans l’histoire de la fondation actuelle de ce pays, un transfert de pouvoir politique à un candidat qui est considéré, dans le jeu politique et ethnique en Afghanistan, comme le candidat des non pachtounes. Aussi, si le docteur Ashraf Ghani est proclamé vainqueur au deuxième tour dans ces conditions, il faut s’attendre à des réactions assez imprévisibles de la part du camp du Dr Abdullah.
Les tensions sont par ailleurs très vives au Pakistan voisin. Quelles seront les conséquences probables de l’intervention massive de l’armée pakistanaise contre le Mouvement des talibans du Pakistan (TTP) dans le Waziristan du Nord ?
L’intervention de l’armée pakistanaise semble cette fois-ci plus massive, plus déterminée. En effet, les tentatives de négociation entre le gouvernement d’Islamabad et les Talibans, qui ont commencé il y a plusieurs mois, ont échoué face à l’intransigeance des Talibans. La branche radicale du mouvement des Talibans pakistanais qui est majoritaire au sein du mouvement est très jusqu’au-boutiste et a posé comme condition d’un accord de paix avec Islamabad l’acceptation de l’application de la Charia partout au Pakistan. Or cette condition est inacceptable pour le Pakistan.
Face au refus du gouvernement pakistanais, et afin de le pressuriser davantage, les Talibans ont commis des attentats partout dans le pays, notamment contre l’aéroport international de Karachi, qui est le principal aéroport du pays. Cela a convaincu le gouvernement pakistanais que la poursuite des négociations avec les Talibans était sans issue. C’est pourquoi le gouvernement a cette fois-ci décidé de lancer une grande offensive militaire. La question est de savoir jusqu’où peut aller Islamabad car c’est la énième fois que le Pakistan lance des offensives dans les zones tribales. S’ils ont à chaque fois réussi à chasser les Talibans de certains districts, ils ne sont pas allés très loin. L’armée pakistanais est-elle cette fois décidée à ne pas occuper uniquement certains districts et à aller jusqu’au Waziristân du Nord, frontière avec l’Afghanistan ? L’autre interrogation qui demeure est celle concernant la porosité des frontières entre le Pakistan et l’Afghanistan, les Talibans pakistanais ayant des liens idéologiques, politiques et tribaux avec leurs homologues afghans. Or une offensive dans les zones tribales pakistanaises chassera davantage les Talibans vers le Waziristân du Nord, voire encore plus au nord soit vers les provinces afghanes de Kunar et de Nuristan, ou encore vers la province de Badakhshan au Nord-Est à la frontière du Tadjikistan, zones pachtounes et fiefs des Talibans afghans. Cette situation leur permettrait de se renforcer davantage.
C’est pour cette raison que, même si cette opération de l’armée pakistanaise réussissait dans un premier temps, elle ne pourrait remettre en cause l’existence des Talibans du fait de leur va-et-vient entre les deux pays mais aussi de la solidarité réelle entre les Talibans afghans et pakistanais. De grandes inquiétudes persistent néanmoins sur l’avenir et les conséquences de cette opération qui risque d’alimenter encore davantage les Talibans afghans.