13.12.2024
Quelles sont les perspectives de la réconciliation politique en Côte d’Ivoire ?
Interview
5 juin 2014
Pour être tout à fait précis sur la situation actuelle du processus de reconstruction et de réconciliation nationale en Côte d’Ivoire, il est indispensable de rappeler que le pays a connu plus d’une décennie de crise politico-militaire couronnée de trois mille morts environ à l’issue des violences post-électorales en 2011.
Actuellement, le processus est en marche sur plusieurs points malgré des lenteurs dues à la mobilisation des fonds, aux réticences de certains acteurs politiques et à la finalisation des programmes de désarmement, démobilisation et réinsertion des anciens combattants (DDR). Je peux citer à ce propos les travaux de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation dirigée par l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny qui visent à sensibiliser les populations, les acteurs de la société civile et les autorités locales sur la nécessité de leur participation dans le processus de consolidation de la paix en Côte d’Ivoire.
En ce qui concerne le dialogue politique, qui constitue le centre névralgique du processus de réconciliation nationale, il est important de souligner que ce dernier est bloqué depuis plus deux mois. Comme éléments explicatifs de cet état de la situation, d’abord le retour sans être inquiété de certains caciques du gouvernement de l’ancien président Laurent Bagbo. Le retour de ces derniers, en lui-même, n’est pas problématique. Mais il est flagrant de constater le paradoxe qui alimente les revendications du principal parti de l’opposition le Front populaire ivoirien (FPI) qui demande d’un côté au pouvoir entre autre la libération des détenus et le retour des exilés et de l’autre côté conteste et considère ce retour comme une véritable défaite de leur parti. Certains cadres du FPI, qui souhaitaient un retour massif dans le cadre d’un accord formel entre l’opposition et le gouvernement, voient en ce retour « serein » des stratégies de fragilisation du parti qui peine de plus en plus à parler d’une seule et même voix.
La Côte d’Ivoire a amorcé la réforme de la sécurité du pays. Quels en sont les enjeux et les objectifs ?
En effet, depuis la fin des violences post-électorales en 2011 la Côte d’Ivoire a lancé le processus de réforme du secteur de la sécurité (RSS) avec l’assistance et l’appui technique de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Ce processus est progressivement mis en œuvre sous la direction stratégique et le contrôle politique du Conseil national de sécurité, un organe national placé sous la tutelle directe de la Présidence de la République.
En tant que pays sortant d’une crise politique aigue qui a littéralement désarticulé le paysage sécuritaire national, le processus de réforme du secteur de sécurité en Côte d’Ivoire vise principalement l’instauration d’un système de sécurité efficace et professionnel capable d’assurer, sans discrimination et dans l’absolu respect des droits de l’Homme, l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire national. Les objectifs poursuivis par cette réforme sont nombreux.
Premièrement, en référence à la stratégie nationale de RSS élaborée par le Conseil national de sécurité, il est question d’établir un environnement propice à la consolidation de la réconciliation nationale en renforçant les mécanismes capables de rétablir la confiance entre tous les acteurs et surtout entre les différentes composantes des appareils de sécurité et de défense nationale.
Deuxièmement, du point de vue géopolitique et géoéconomique la Côte d’Ivoire malgré la crise reste un pays central dans la région d’Afrique de l’Ouest. A ce titre, la RSS en Côte d’Ivoire a pour objectif de mettre en place les conditions indispensables à son émergence économique. Ce qui passe par la consolidation de l’Etat de droit, le renforcement de la légitimité des institutions, la sécurité des populations, l’intégrité territoriale et la participation des acteurs de la société civile à l’élaboration des politiques publiques.
Au regard de ces objectifs, il faut reconnaître que beaucoup a été fait sur le plan de la stabilisation du pays notamment à travers la mise en place d’un système doté de dispositifs de vidéo protection et de vidéo surveillance à Abidjan, la formation des unités militaires et de sécurité et des forces spéciales ou encore d’importantes acquisitions en terme de véhicules et de logistique qui ont permis de réduire le taux de criminalité dans la majeure partie du pays. Mais à ce constat relativement satisfaisant, il faut tout de même souligner qu’il existe encore de nombreux défis à relever. Je pourrais citer, dans cette perspective sans être exhaustif les problèmes liés à l’appropriation locale de la RSS, la faiblesse des échanges et du partage des informations entre les composantes essentielles de l’appareil de sécurité et de défense qui mettent sérieusement à mal la mise en œuvre effective des stratégies définies dans une approche intégrée au niveau politico-stratégique.
En 2015 se tiendront normalement les élections présidentielles. Comment la Côte d’Ivoire se prépare-t-elle à ce rendez-vous ? Quelles sont les difficultés ?
Effectivement, la prochaine élection présidentielle en Côte d’Ivoire est prévue en octobre 2015. Plusieurs acteurs de la vie politique ivoirienne se sont déjà prononcés sur la question. Au premier rang de ces derniers l’actuel président Alassane Ouattara et l’ex-président de l’Assemblée nationale sous le gouvernement de Laurent Bagbo, Mamadou Koulibaly se sont déclarés candidats. D’importantes mobilisations politiques se font observer dans le pays. Mais la préparation aux prochaines échéances électorales ne se fait pas sans obstacles.
Les principales difficultés se structurent autour de trois points essentiels : l’opération de recensement de la population, la poursuite du dialogue politique entre les forces de l’opposition et le gouvernement et le débat autour de la réforme la Commission électorale indépendante (CEI). En ce qui concerne le recensement général de la population, le Front populaire ivoirien maintient toujours le boycott de cette opération exigeant du gouvernement l’organisation d’une nouvelle campagne avant la fin novembre 2014. Or ce recensement est capital non seulement pour effectuer un diagnostic efficace sur la situation économique et sociale de la nation, mais aussi et surtout pour renforcer la transparence et la fiabilité du fichier électoral du pays.
Par ailleurs, la reprise du dialogue politique pourtant indispensable à la participation du FPI, principal parti de l’opposition, aux prochaine échéances électorales peine lourdement à être effective. Les querelles internes aux formations politiques de l’opposition, notamment au FPI, ne favorisent pas non plus la formalisation de la reprise du dialogue politique.
Enfin, la question de la réforme de la Commission électorale indépendante peine également à faire l’objet d’un consensus national. Sous la pression de l’opposition et des acteurs de la société civile, le gouvernement a adopté au mois de mai dernier un projet de loi sur la mise en place de la nouvelle CEI composée de 13 membres au lieu de 31 antérieurement. Ce texte qualifié d’initiative prise de façon solitaire par le gouvernement est dénoncé par la quasi-totalité des forces de l’opposition.