ANALYSES

Percée des partis europhobes et nationalistes aux élections européennes : quelles causes pour quelles conséquences ?

Interview
28 mai 2014
Le point de vue de
Comment expliquez-vous la forte percée des partis europhobes, en tête desquels se trouvent l’UKIP anglais, le FN français et le Parti du Peuple danois ?

Tout d’abord, rappelons quand même que les partis europhobes n’ont pas tous connu un succès électoral aux élections européennes 2014. Dans certains pays européens, ils ont en effet obtenu des scores plus faibles qu’en 2009 – en Roumanie ou en Slovaquie par exemple. Cette percée ne concerne pas toute l’Union européenne et reste donc à relativiser.
Deuxièmement, les raisons qui expliquent cette poussée sont, elles aussi, multiformes. Chaque pays a une histoire et un contexte qui jouent sur les résultats aux élections européennes de ces partis nationalistes.
Les raisons de la poussée des partis europhobes sont à la fois d’ordre national, européen et mondial. Au niveau national, ces résultats sont le reflet d’un discrédit que l’on observe dans de nombreux pays à l’égard des partis politiques traditionnels, des dirigeants politiques – notamment européens – qui n’ont pas réussi à convaincre ni à avoir un discours clair sur l’UE ; ils n’ont par ailleurs pas forcément réussi sur le plan de la politique nationale. C’est le cas en France, au Royaume Uni, au Danemark ou encore en Autriche où le vote en faveur des partis europhobes est venu sanctionner une politique nationale.
Il y a également des causes strictement européennes : on vote contre une Union européenne dont on ne perçoit pas l’efficacité, Union européenne qui durant cette campagne a été présentée comme un bouc émissaire, responsable de la situation actuelle. Cela peut expliquer pourquoi une partie des opinions publiques n’a pas souhaité voter en faveur de partis qui prônaient la poursuite de cette construction communautaire. Rendue responsable de la situation économique et sociale, il est reproché à l’UE sa non-décision par rapport à des enjeux de société tels l’immigration, la question des Roms, celle de l’élargissement ou encore des travailleurs détachés, sujets qui sont fondamentaux pour les citoyens européens. Ce sont des questions que les partis pro-européens n’ont pas véritablement discuté parce que ce sont des sujets très complexes, anxiogènes, qui suscitent la division et sur lesquels au contraire les partis europhobes ont su construire un discours et ont réussi à motiver les citoyens à voter en leur faveur.
Troisièmement, le contexte actuel porte les partis europhobes et a tendance à servir la cause anti-européenne : un contexte de crise économique et sociale, d’immigration de masse, d’une Union européenne qui n’est plus vue comme une organisation efficace pour protéger les nations européennes des effets de la mondialisation, etc.

Malgré leur score, ces partis semblent assez isolés en termes d’alliances et peu unis (le Parti du Peuple danois a récemment pris ses distances avec le FN par exemple). Quelles stratégies d’alliance s’offrent aux partis europhobes et nationalistes ? Peuvent-ils envisager de former un groupe au Parlement européen ?

Les europhobes sont plutôt les partis que l’on classe à l’extrême-droite, bien qu’il y ait également des europhobes à l’extrême-gauche. L’extrême-droite n’est pas une famille unie au plan idéologique. Il y en a deux aujourd’hui en Europe : une plutôt située en Europe orientale qui rassemble notamment l’Aube dorée en Grèce ou le Jobbik en Hongrie ; l’autre est une extrême-droite plus « modérée », qui n’est pas toujours issue de l’extrême droite historique (le Parti de la liberté de Geert Wilders, par exemple, est né d’une scission de la droite libérale, ce n’est pas un parti qui véhicule un héritage d’extrême-droite). Les partis plus « modérés » ne souhaitent pas s’allier avec ces partis radicaux, sulfureux, étant davantage dans une stratégie de dédiabolisation, de modération de leur discours, de crédibilisation de leur positionnement. Cela signifie que la stratégie d’alliance se restreint à quelques partis.
Il faut 25 députés issus de 7 pays différents pour constituer un groupe. Le Front National, le Parti pour la liberté, le FPÖ en Autriche, les Démocrates suédois, sont en cours de tractation pour essayer de constituer un groupe d’extrême-droite dite « modérée » au Parlement européen. Pour le moment, il n’y a rien de sûr mais l’on peut considérer qu’ils parviendront à rassembler les 25 députés requis, leur plus grande difficulté étant de parvenir à rassembler des députés provenant d’au moins 7 pays différents. Cela signifie qu’au niveau du Parlement européen, même en cas d’alliance entre les pré-cités – et dans la mesure où ils ne réussissent pas à s’entendre avec d’autres partis -, ils ne seront certainement que 40 ou 45 députés, donc avec une influence réelle relativement limitée au sein de l’hémicycle. Néanmoins ils vont pouvoir exercer de l’influence, faire parler d’eux, se faire entendre. D’autant plus que la constitution d’un groupe parlementaire signifie qu’ils bénéficieront d’un temps de parole dans l’hémicycle au moment des séances plénières, qu’ils pourront déposer des amendements ou décider des questions traitées en plénière. Ils obtiendront également une subvention annuelle, un secrétariat, un bureau, ce qui leur permettra de gagner en visibilité.

Au vu de ces éléments, dans quelle mesure ces partis pourront-ils peser sur la politique européenne, notamment en termes de politiques monétaire et migratoire ?

Dans le cas de la configuration évoquée précédemment, ils ne pourront pas à eux-seuls bloquer les décisions ou faire passer des votes, puisque sur les 751 députés que comptera le prochain Parlement, ils seront ultra-minoritaires. Cependant sur certains sujets, d’autant si ce sont eux qui les portent, ils pourront éventuellement faire des « émules ». Il n’est d’ailleurs pas impossible que d’autres partis, non membres de ce groupe, et non classés aux extrêmes, puissent se mobiliser sur des thèmes tels l’immigration notamment.
Ils sont donc susceptibles d’avoir une influence au sens où ils pourraient parvenir à imposer certains termes du débat, un peu comme ils l’ont fait pendant la campagne des élections européennes : imposer certains sujets et forcer les autres groupes à se déterminer dessus. D’autant que l’on a bien vu pendant la campagne que ce sont des thématiques qui intéressent et préoccupent les citoyens européens.
Mais tout cela sous-entend qu’ils soient présents et assidus pour faire régulièrement pression, ce qui n’est pas toujours le cas.
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