27.11.2024
Syrie : comment évolue la situation ?
Interview
25 avril 2014
Non seulement Genève II n’a pas porté ses fruits, mais Genève II est mort. Le processus difficilement initié à l’instigation et sous l’égide de l’ONU, qui avait permis de réunir différentes parties au conflit, n’a pas débouché sur des accords, sauf pour quelques aspects humanitaires qui ne sont certes pas à négliger, mais qui ont rapidement montré les limites de leur exercice. Les raisons du blocage sont multiples. Premièrement, en dépit des efforts de l’ONU, seulement une partie de l’opposition a accepté de rencontrer les représentants du pouvoir à Genève. Des factions de l’opposition ont en effet systématiquement refusé d’y participer, mettant comme préalable le départ de Bachar Al-Assad, ce qui évidemment était inacceptable pour les partisans de ce dernier. Le deuxième facteur de blocage est le fait que les présupposés étaient trop radicalement opposés pour que l’on puisse escompter parvenir à un accord dans des délais raisonnables. La partie de l’opposition qui a accepté de se rendre à Genève considérait que le point principal n’était pas seulement la mise en place d’un gouvernement de transition, mais surtout le départ de Bachar Al-Assad. Alors que pour les partisans du pouvoir, le présupposé était inverse : ils acceptaient l’idée d’un gouvernement de transition, mais refusaient que celui-ci puisse se faire sans la présence d’Assad. Ils n’ont donc pas réussi à progresser malgré les efforts prodigués par le représentant de l’ONU. La dernière raison concerne la forme : nous n’avons même pas été à l’étape du dialogue et de la négociation. Les représentants ne se sont pas réunis dans la même salle, sauf une fois, et Lakhdar Brahimi faisait la navette entre les deux délégations pour tenter de faire progresser les points de vue. On comprend donc pourquoi les négociations n’ont pu aboutir, tant sur le fond que sur la forme. Quant à l’hypothèse d’un troisième round de négociations, il serait évidemment souhaitable dans les meilleurs délais, mais personne n’envisage de reprendre à court terme ce processus difficile pour de multiples raisons. La division de l’opposition et le fait que le pouvoir reprend militairement des parties du territoire qu’il avait perdues sont de celles-ci. Pourtant la responsabilité de ladite communauté internationale est de tout faire pour qu’il y ait un redémarrage d’un processus digne de ce nom.
L’opposition syrienne est hétérogène et constituée de groupes armés aux visions politiques différentes. Quelle est la nature des affrontements entre ces différentes factions ?
La nature des affrontements est à la fois politique, idéologique et militaire. On a constaté au cours des derniers mois des affrontements armés entre les groupes jihadistes, principalement organisés dans al-Nosra et l’Etat islamique en Irak et au Levant et l’opposition armée plutôt chapeautée par les Frères musulmans, sans oublier les groupes kurdes qui ont eux aussi participé à des combats contre les jihadistes. Même si on a tendance à les oublier, ces derniers constituent un paramètre important puisqu’ils contrôlent désormais une partie du nord-ouest et du nord-est du territoire syrien. Les divergences sont politiques, idéologiques, de projet, d’autant que l’Etat islamique en Irak et au Levant est visiblement composé de jihadistes internationaux affluant de diverses régions du monde : monde arabe ou Caucase par exemple. Ces éléments aboutissent à un maelström chaotique impossible à contrôler. Ainsi ces différents groupes d’opposition ne peuvent pas présenter un front uni contre Bachar Al-Assad et sont en train de perdre du terrain.
Le Parlement syrien a fixé au 3 juin la date de l’élection présidentielle qui autorisera, pour la première fois, plusieurs candidats à se présenter, même si la réélection de Bachar Al-Assad semble déjà acquise. La tenue de ce scrutin est-elle crédible ? Pourrait-elle avoir un impact sur la crise ?
Non, car on assiste à un cynique jeu de rôle de la part du pouvoir syrien. Même s’il y avait plusieurs candidats, et pour l’instant il n’y en a qu’un seul, comment peut-on imaginer sérieusement qu’un quelconque scrutin électoral présidentiel, ou autre, puisse se tenir au vu de la situation d’anarchie qui prévaut dans de larges parties du pays ? Il est vrai que dans certains quartiers de Damas, la vie est à peu près normale, mais le contexte général national du pays est totalement chaotique pour les raisons évoquées précédemment. Il est donc impossible d’organiser un quelconque scrutin dans un Etat en situation de guerre, dont de nombreuses villes subissent des bombardements quotidiens. Par ailleurs, trois millions de syriens sont maintenant à l’extérieur du pays, pratiquement autant sont des déplacés internes et les registres électoraux des différentes municipalités ont disparu lors des combats. Tout cela rend impossible l’organisation d’un scrutin digne de ce nom. C’est un leurre de la part du pouvoir qui fait preuve d’un cynisme difficilement acceptable. En réalité, même si seule une solution politique pouvait être mise en œuvre, il est clair que ce n’est pas celle qui ressortira. Dans l’hypothèse où cette pseudo-élection arriverait à son terme et que Bachar al Assad soit réélu, ce qui semble acquis, cela n’aurait en aucun cas un impact réel sur le dénouement de la crise, sinon de légitimer Assad, mais il ne convaincra que ceux qui sont déjà convaincus.
Bachar Al-Assad s’est rendu dans la ville de Maaloula à Pâques pour montrer son soutien aux chrétiens. Quelle est la situation de cette communauté en Syrie ?
Cette visite est importante, tout d’abord en terme de communication pour le régime car la ville avait été prise par les jihadistes, puis reprise donc par les forces fidèles à Bachar al-Assad. La reprise de la ville constitue une démonstration tangible du fait que l’armée était à l’offensive et en passe de reprendre des parties de territoire qu’elle avait perdues. Ensuite, la situation des chrétiens est tragique au même niveau que la situation du reste de la population. On ne peut dire qu’en tant que chrétiens ils sont plus assassinés ou réprimés que d’autres parties de la population. Bien qu’il soit difficile de l’apprécier précisément, une partie de ladite communauté chrétienne se retrouve probablement dans le camp de ceux qui contestent le pouvoir de Bachar Al-Assad, les armes à la main ou pas. Par contre les hiérarchies des nombreuses églises chrétiennes en Syrie ont continué à faire allégeance à Bachar Al-Assad, ce dernier prétendant les protéger d’exactions potentielles des jihadistes. Il existe un jeu traditionnel du pouvoir syrien qui maintient dans cette situation de chaos l’affirmation de protection des minorités religieuses. Au-delà de cette posture politique et idéologique, la réalité du terrain est telle que les chrétiens ne sont évidemment ni épargnés par la dureté et la barbarie des combats, ni ciblés plus que d’autres à ce stade. Dans certaines localités, les jihadistes ont voulu convertir de force un certain nombre d’entre eux, mais cela relève plutôt de l’événementiel que représentant une situation généralisée.