ANALYSES

Où en sont les relations franco-marocaines ?

Interview
19 mars 2014
Le point de vue de Khadija Mohsen-Finan
Plusieurs événements récents, relatifs à la question sahraouie, sont venus entacher les relations franco-marocaines. Quel est l’état actuel de celles-ci ? Le soutien traditionnel de la France au Maroc ne devient-il pas embarrassant pour Paris ?
Evidemment, la présentation du documentaire de Javier Bardem – Les Enfants des nuages, la dernière colonie – a un lien direct puisqu’il s’agissait pour l’acteur de dénoncer aussi l’appui inconditionnel de la France au Maroc sur la question du Sahara occidental qui reste effectivement au cœur du dispositif politique et de la politique étrangère de Rabat. Mais, en ce qui concerne le second incident, les liens sont indirects puisqu’un Sahraoui a effectivement porté plainte en France contre le directeur des renseignements marocains.
Concernant le caractère possiblement embarrassant du soutien de la France au Maroc, j’ai le sentiment que les élites politiques françaises ne le vivent pas de cette manière. Elles pensent qu’il y a eu un couac et que celui-ci a été dépassé et que leur soutien, qu’elles qualifient ou non d’inconditionnel, reste inchangé. Les Français ont appuyé la politique marocaine sur le Sahara, c’est-à-dire le plan d’autonomie mis en place en 2007, mais ils ne se soucient pas du tout de savoir si le contenu de ce plan va dans le sens d’une autonomie réelle. Je pense que les incidents sont déjà oubliés et que sur le plan économique et stratégique, l’amitié traditionnelle reprend le dessus, une amitié qui a quand même un caractère exceptionnel dans les relations entre les deux pays.

Le « Printemps arabe » a-t-il modifié la donne dans les relations franco-marocaines, notamment en ce qui concerne la manière dont est perçue le Maroc en France ?
Encore une fois, l’impact fut indirect. Pour les Français, même si c’était de l’ordre de l’implicite, il existait un bon élève au sud de la Méditerranée et dans le monde arabe : c’était le Maroc qui évoluait à petits pas vers la démocratie, avait une politique d’ouverture et avait décidé de tourner le dos à une mauvaise gestion des droits de l’Homme. Tout cela a rapproché Rabat de Paris.
Le problème est que cette appréciation a servi d’écran et les Français ne sont pas allés regarder ce qu’il y avait derrière cette image donnée par le Maroc. Ils ne se sont pas posés la question d’un possible reflux de cette ouverture au niveau de la liberté accordée à la presse et aux médias en général, au niveau du contenu réel de l’instance « équité et réconciliation » et de son résultat ou au niveau de la modification de la Constitution et de sa supposée réorganisation des pouvoirs. Les Français se sont contentés de cette politique d’affichage sans creuser au-delà.
Dès lors, le Printemps arabe remet en question cette appréciation relative au bon élève marocain parce que, finalement, il fait voler en éclats toutes ces considérations et ces normes construites. Il montre qu’il n’y a pas d’exception arabe et que la volonté de changement peut être définie autrement et, surtout, par d’autres acteurs venant de la société civile ayant la volonté de rompre avec la dictature et l’autoritarisme. Le Printemps arabe montre aussi qu’il y a un souci de la part des sociétés civiles d’aller vers la citoyenneté et la démocratie. Ainsi, le chemin qui conduit à cette ouverture n’est plus le même et cela remet en question implicitement cette idée de bon élève marocain.
La simple comparaison qui peut être faite entre la rédaction de la Constitution tunisienne – qui n’est pas du tout idéale, pleine de contradictions et qui sera difficile à mettre en œuvre – et la Constitution marocaine permet de voir qu’il y a un monde entre les deux. C’est réellement en comparant qu’on s’aperçoit qu’il y a effectivement des pays qui sont dans une dynamique de changement réel même si cela reste difficile, et d’autres cas où l’on est un peu dans l’affichage et dans un changement construit.

Le Maroc est en concurrence avec certains de ses voisins, principalement l’Algérie, pour devenir le pivot de la région. Cette rivalité a-t-elle un impact dans la politique africaine de Rabat ?
Effectivement, il existe une concurrence réelle entre Alger et Rabat et face à la dynamique d’AQMI au Sahel, les deux pays pensent qu’il faut trouver une issue au Sahara occidental mais selon des modalités différentes. Maintenant, dans les deux cas, il y a une volonté de se rapprocher des capitales occidentales en mettant en avant une expertise, notamment sur le renseignement concernant les pays du Sahel, et notamment le Mali. La concurrence est évidente. Néanmoins, la politique africaine du Maroc va au-delà de cet aspect et s’appuie sur deux axes principaux.
Le premier axe est d’ordre économique et porte sur les investissements, l’installation d’Attijariwafa Bank dans les Etats de l’Afrique sub-saharienne par exemple, et les exportations, notamment celle de phosphate qui servira de fertilisant pour l’agriculture de certains pays.
Le second axe est un axe que les Marocains veulent religieux. En effet, ils renouent avec une tradition sultanesque du Maroc avec la confrérie de la Tijaniya notamment. Cette tradition renvoie à une période durant laquelle le Sultan était très considéré par certaines tribus africaines qui se déplaçaient dans la région. La prière du vendredi, dans certaines mosquées de l’Afrique sahélienne était faite au nom du Sultan marocain. Par ce biais-là, le Maroc pense pouvoir contrer l’Islam radical en faisant revivre un Islam modéré.
Au plan économique, il est très difficile d’apprécier les effets des investissements, ils seront mesurables sur le long terme. L’Afrique peut être un débouché pour le Maroc. Mais, pour le moment, quand on regarde les échanges en 2013, les exportations vers l’Afrique représentent 2 % du PIB marocain ce qui est extrêmement faible. On ne peut donc pas se baser là-dessus aujourd’hui.
Concernant les chances de succès du Maroc sur le second axe, cela reste aussi à vérifier. Aujourd’hui, je crois que le Maroc se trouve dans une illusion de grandeur. Aussi, je pense que ce pays avance également en profondeur et vers l’Afrique parce qu’il n’a pas pu s’étendre au niveau horizontal et au niveau maghrébin. Ces grands pays que sont l’Algérie et le Maroc ont évidemment besoin d’avoir des débouchés autres que leur propre pays.

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