20.11.2024
A quels enjeux internationaux le marché agroalimentaire français est-il confronté ?
Interview
28 février 2014
Ces performances de 2013 ne sont en rien exceptionnelles. Cela fait depuis le milieu de la décennie 1970 que la France dégage des excédents commerciaux dans ce domaine, alors que sa balance globale est devenue parallèlement déficitaire. Enregistrer 11,5 milliards d’euros de solde commercial agricole et agro-alimentaire (dont plus de la moitié provient des échanges avec les pays tiers, c’est-à-dire non communautaires) contraste nettement avec une balance commerciale française déficitaire de 61 milliards d’euros environ. À l’heure où il n’est question que de l’érosion de sa compétitivité, il importe de constater que, dans le registre de l’agriculture, l’économie française détient des atouts. Les produits agricoles et agro-alimentaires français sont capables de conquérir des marchés étrangers, proches et lointains, avec des débouchés préférentiels en Europe, dans le bassin méditerranéen et en Asie. Céréales, vins et spiritueux constituent la majorité des ventes, mais il faut aussi mentionner que beaucoup de produits français de terroir, avec appellations d’origine, sont achetés à l’étranger. On peut par exemple citer le cas du Cognac et de la marque Hennessy, qui est sans doute la branche la plus dynamique du groupe de luxe LVMH. Il est important de prendre conscience que dans cette France dont on ne cesse de dire qu’elle décline et n’est plus compétitive, il demeure des secteurs d’activités économiques et productifs où c’est tout le contraire. On parle beaucoup de l’aéronautique, mais l’agro-alimentaire, c’est stratégique pour le commerce de la France et pour l’emploi. 500 000 personnes travaillent dans l’industrie agro-alimentaire dans le pays. En équivalent emplois à temps complet, ce sont environ 740 000 personnes en agriculture. Alors que se tient en ce moment le 51ème salon international de l’agriculture à Paris et que furent organisés le 21 février dernier les Etats généraux de l’agriculture sous l’impulsion des syndicats, il est nécessaire de véhiculer ce type d’informations : le secteur agricole et agro-alimentaire français n’est pas un vestige du passé, mais bien un pilier de notre société, de nos territoires et de notre économie. Et ce, quand bien même seuls 3,5% du PIB de la France proviennent de l’agriculture et de l’agro-alimentaire. Mais en 2013, plus de 10% des exportations françaises sont des biens agricoles et agro-alimentaires, soit le second poste de performance après l’aéronautique. On pourrait y ajouter aussi les machines agricoles made in France qui se vendent très bien par ailleurs.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste exactement la stratégie dite de “diplomatie économique” déployée auprès des pays émergents ?
Le redressement économique fait partie des priorités du gouvernement français. Une croissance en berne depuis plusieurs années, une dette publique qui s’amplifie et une dégradation inquiétante de la balance commerciale globale du pays, poussent les autorités à mettre en place une batterie d’instruments dédiés à la compétitivité économique et à l’amélioration des performances à l’export. Dès 2012, le gouvernement français s’est mobilisé dans cette perspective fixée par le Président de la République. Au Quai d’Orsay, à l’été 2012, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a placé la diplomatie économique comme une composante majeure de son action. Elle poursuit les objectifs principaux suivants : soutenir les entreprises sur les marchés extérieurs, attirer des investissements étrangers créateurs d’emplois, adapter le cadre de régulation européen et international aux intérêts économiques défensifs et offensifs de la France. Si Arnaud Montebourg est en charge du redressement productif, et donc en première ligne dans cette mission de relance économique de la France, Nicole Bricq est pour sa part en charge du commerce extérieur. Faire gagner les entreprises françaises sur les marchés à l’étranger, tel est l’objectif affiché par la ministre. La pierre angulaire du dispositif qu’elle développe s’intitule les « Quatre familles prioritaires ». Celles-ci correspondent aux quatre domaines d’activités dans lesquels la France est à la fois compétitive et attendue dans le monde: l’alimentation, la santé, l’urbanisme durable et les technologies de l’information et de la communication. Cette diplomatie économique est donc présente dans l’ensemble de l’action gouvernementale. Il n’est pas nouveau de faire valoir les intérêts économiques du pays et de promouvoir les produits hexagonaux à l’étranger. Mais ce qui est peut-être différent, c’est la priorité affichée d’une telle démarche, y compris au Quai d’Orsay, où l’on demande clairement au réseau diplomatique et consulaire français (le second de la planète !) d’avoir le « réflexe économique ». En creux, cela montre aussi que le pays évolue vis-à-vis de la globalisation. L’enjeu est bien d’agir dans la mondialisation et d’en saisir les opportunités, et non plus de se demander que faire face à la mondialisation ou de diaboliser celle-ci. La France a besoin de doper son commerce extérieur pour rester compétitive et dans certaines branches d’activités, comme l’agro-alimentaire, elle peut assumer un statut de puissance sans rougir. Elle met des produits vitaux sur les marchés, dont une partie croissante de la planète a besoin. Il apparaît donc essentiel de pouvoir adapter la posture géopolitique de la France en fonction des atouts réels du pays afin qu’ils soient en synergie avec les besoins de la planète.
A quels enjeux internationaux le marché agroalimentaire français est-il confronté ?
La France dispose de plusieurs avantages comparatifs en agriculture et a construit au fil des années une puissance commerciale dans ce domaine. L’entrée dans la mondialisation se concrétise toutefois par une mutation de la hiérarchie des nations exportatrices de produits agricoles. L’affirmation de nouveaux concurrents comme le Brésil est porteuse d’une érosion relative des performances françaises à l’exportation. Deuxième exportateur mondial en 1990, elle figure désormais au cinquième rang, derrière les Etats-Unis, les Pays-Bas, l’Allemagne et désormais le Brésil. Si l’érosion des parts de marché est réelle, elle est en réalité contrebalancée par la solidité et la durabilité de l’excédent commercial agroalimentaire. Il faut y voir le signe que la France est en mesure, dans le contexte actuel de tensions économiques et géopolitiques, de répondre à une demande mondiale en plein essor, que celle-ci émane des pays émergents dont le niveau de vie augmente, ou de zones dont la dépendance vis-à-vis de l’extérieur pour l’approvisionnement alimentaire apparaît de plus en plus élevée. En céréales, véritable « pétrole doré » du pays, la France est le premier producteur et exportateur européen et le 2ème exportateur mondial. Si la concurrence s’amplifie et si la France est confrontée à des difficultés au niveau de certaines filières agricoles, notamment celle de l’élevage, il reste essentiel de maintenir l’outil productif national. Il en va de l’économie de la France mais aussi de son rôle à l’international. Compte tenu des enjeux alimentaires mondiaux (130 nouvelles bouches à nourrir chaque minute dans le monde…), et parce que dans le domaine agricole et agro-alimentaire la France reste compétitive, il serait irresponsable d’abandonner toute ambition stratégique sur ces questions. Le pays n’a pas vocation à nourrir le monde, mais il se doit de contribuer aux équilibres alimentaires mondiaux, avec ici une priorité à donner aux régions voisines que sont la Méditerranée et l’Afrique. Il est logique de faire du commerce agricole avec la Chine et les pays asiatiques où la consommation augmente et où les produits de terroir français sont très prisés. Mais c’est bien en Méditerranée et en Afrique qu’il faut déployer la diplomatie agricole et alimentaire, combinant performances économiques, politiques de développement et devoirs géostratégiques.