19.11.2024
J.O. de Sotchi : un enjeu politique pour Vladimir Poutine ?
Interview
4 février 2014
Il y a une très forte attente par rapport aux J.O., non seulement du régime de Vladimir Poutine, mais également de la population russe. Même si l’on sait que cet événement sportif est un projet personnel et politique de M. Poutine, au-delà de cela, les Russes, dans leur très grande majorité selon les sondages, désirent ces jeux et estiment qu’ils seront bénéfiques pour leur pays en termes d’image et d’infrastructures. Le réveil risque peut-être d’être difficile par rapport au coût écologique et financier de ces J.O. mais, en tous les cas, il faut sortir de l’idée reçue selon laquelle ce sont les jeux de Poutine et non pas ceux des Russes. On peut effectivement émettre beaucoup de critiques sur le coût financier et écologique des J.O. ou sur la façon dont les expropriations ont été menées, mais il existe une sorte de consensus national qui correspond à un sentiment d’humiliation profond des Russes par rapport à ce qui s’était passé dans les années 80 durant les jeux de Moscou (boycottés par la plupart des pays occidentaux suite à l’invasion soviétique de l’Afghanistan).
On souligne souvent l’importance de ce type d’événements en termes de « soft power ». Quels sont les bénéfices, sur le plan politique, que pourrait retirer la Russie de ces J.O. ?
Naturellement, Vladimir Poutine en attend des bénéfices politiques internationaux et nationaux. En effet, lorsqu’il avait obtenu il y a sept ans l’organisation de ces jeux, M. Poutine avait déclaré que c’était une façon de montrer au monde entier que la Russie était de nouveau un pays respecté et avec lequel on devait compter. Il y a chez lui la volonté d’effacer un petit peu l’échec des jeux de Moscou, du temps de l’Union soviétique dont Poutine se plaît à dire que sa disparition a été le plus grave événement géopolitique du XXe siècle. Il veut également prouver à sa population que la Russie a retrouvé sa place sur la scène internationale. Il existe donc des enjeux de politique intérieure et extérieure très forts pour le président russe par rapport aux J.O. de Sotchi.
Comment interprétez-vous le refus de certains chefs d’Etat occidentaux de participer à la cérémonie d’ouverture de ces jeux ?
Disons que, traditionnellement, les jeux d’hiver n’ont pas l’impact des jeux d’été. En général, les chefs de gouvernement ne sont pas nombreux à assister à la cérémonie d’ouverture des éditions hivernales des J.O.. Mais il est certain que Poutine comptait faire un succès personnel de la présence d’une agora internationale et que l’absence de nombreux chefs d’Etat lui portera préjudice car il n’y aura pas la reconnaissance que recherche la Russie dans ces jeux.
Ensuite, il faut plutôt profiter de ces J.O. comme d’un levier. Quelque part, c’est déjà le cas car on n’a jamais autant parlé de la situation des droits de l’homme en Russie et des lois sur l’homosexualité qu’à l’occasion de ces jeux. Il faut donc se servir de ces J.O. qui, comme tous les événements sportifs mondialisés, sont un coup de projecteur important sur la Russie. Vladimir Poutine a dû faire quelques concessions, certes modestes, en anticipant la libération de Mikhaïl Khodorkovsky ou des Pussy Riot et il faut donc continuer sans pour autant se tromper.
En effet, alors qu’il existe pour l’instant une entente entre Poutine et la population russe par rapport aux jeux, il ne faudrait pas tomber dans l’erreur de donner des leçons à la Russie car ce serait ressenti de façon négative. La façon dont les Pussy Riot sont mises en avant dans le monde occidental, bien qu’elles recueillent une moindre audience dans la société russe, peut être une erreur tactique. Finalement, Poutine peut se servir de cela pour détourner l’attention des Occidentaux vis-à-vis des véritables forces d’opposition qui se trouvent ailleurs. Il ne faut pas confondre l’information spectacle et l’information stricto sensu . Je pense aussi que l’opposition un peu excessive et caricaturale des Pussy Riot est un atout pour Poutine au niveau interne dans son travail de propagande, bien qu’il soit critiqué en externe sur ce point-là.