ANALYSES

Forum économique mondial de Davos 2014 : quels enjeux ?

Interview
21 janvier 2014
Le point de vue de Sylvie Matelly
La 44ème édition du FEM sera placée sous le signe de la pluralité et de l’innovation. Quels en seront les principaux enjeux ?
Il n’y a pas vraiment d’enjeu dans ce type de forum. Le but est de permettre aux grands acteurs de l’économie de se rencontrer et, en particulier, ceux du secteur privé car au final les Etats se retrouvent régulièrement au sein des organisations internationales (du type G20) ou dans des groupes plus régionaux comme les BRICS, par exemple, pour les grands émergents. Il est vrai que les acteurs privés ont moins souvent l’occasion de se rencontrer pour réfléchir à l’évolution du Monde et au devenir et perspectives de l’économie mondiale. Il existe effectivement des associations ou des réunions qui regroupent les industriels d’un secteur particulier comme l’aéronautique ou le textile, par exemple, mais ce type de réunions où l’on débat des grandes questions économiques et sociétales, où l’on peut écouter les « stars » du monde politique, les grands décideurs de la planète est plus rare. A Davos, on vient rencontrer ses pairs, ses concurrents, ses donneurs d’ordre autour de petits meetings organisés en comité restreint sur une thématique actuelle. C’est une sorte d’université d’hiver de chefs d’entreprises, on y vient pour amplifier son réseau mais aussi pour avoir des décryptages sur des sujets clés. Il y aura par exemples des tables rondes sur la fiscalité car c’est une thématique qui bouge au niveau international et qui préoccupe les entreprises.

Selon un rapport du FEM, l’aggravation des inégalités économiques représente le principal risque qu’encoure le monde durant les années à venir. Le Forum de Davos est-il en mesure de répondre à ce défi ?
C’est une problématique assez constante depuis une vingtaine d’années et qui présente en effet un certain nombre de risques. C’est en particulier, et on commence à avoir plusieurs études sur ce sujet notamment des plus grands économistes, celui de la disparition de la classe moyenne qu’on observe depuis plus de 20 ans dans les pays les plus riches, avec une paupérisation d’une partie de cette classe moyenne et, à l’inverse, l’élévation du niveau de vie de l’autre partie. Les raisons qui expliquent cette évolution sont diverses et variées et bien explicitées depuis une trentaine d’année. Or, la classe moyenne a toujours été celle qui consomme et par conséquent soutient la croissance économique, l’un des risque est par conséquent une baisse durable de la consommation dans les pays les plus riches. Est-ce qu’elle inquiète les hommes d’affaires ? Pour partie oui mais comme cette baisse de la consommation est compensée par la montée en puissance des classes moyennes dans les grands pays émergents, pour le moment au niveau global, ce n’est pas un risque économique majeur. Le problème est plus politique et social, donc sécuritaire et sociétal, propre à chaque pays. L’autre effet pervers de la montée des inégalités est une croissance spéculative donc instable du secteur financier. Ce risque s’est déjà matérialisé en 2007 et 2008 (et même avant, cf. l’éclatement de la bulle internet à la fin des années 1990, le Krach de 1987 ou la crise des caisses d’épargne aux Etats-Unis dans les années 1990) et nous ne sommes pas à l’abri de nouvelles crises. C’est une problématique dont tout le monde a conscience aujourd’hui, même les hommes d’affaires et chefs d’entreprises. Regardez les déclarations faites ces dernières années par des Bill Gates ou Warren Buffet qui à leur manière dénonçaient cela… La réduction de ces inégalités passe par une réforme des systèmes de redistribution et par conséquent de la fiscalité, en particulier de l’imposition plus équitable des grandes firmes multinationales. Le dossier est sur la table des négociations au G20, au FMI ou à l’OCDE mais le sujet est complexe. Il suppose d’accepter une croissance moins rapide dans un premier temps et des efforts financiers importants alors que les marchés financiers se sont habitués à des retours sur investissements importants. Pour le coup, je ne suis pas sûre que tout le monde soit d’accord et prêt à accepter ce défi.

D’après le FMI, les BRICS, à l’image de la Chine qui a connu au cours de ce dernier trimestre sa plus faible croissance (7,7 %) depuis 1999, font face à un ralentissement de leur croissance économique. Que peuvent-ils espérer de cette édition du Forum de Davos ?
Il faut savoir que Davos est un regroupement d’industriels et d’hommes d’affaires. Les BRICS peuvent espérer de ce forum que ceux-ci décident de maintenir leurs investissements dans leur pays malgré la diminution de leur croissance. Cela dit, je ne suis pas sûre que la réponse se trouve à Davos : les problèmes que rencontrent aujourd’hui les BRICS sont des problèmes qui leur sont propres et qui sont dus à leur développement économique qui arrive dans une période clé et à leur dépendance encore nette vis-à-vis des marchés du Nord dans la mondialisation. Jusque-là, la croissance économique des BRICS, et des pays émergents en général, venait des marchés du Nord. Depuis quelques années malgré le recul de ces marchés, les BRICS ont réussi à maintenir le cap de la croissance en soutenant leur consommation intérieure et en développant leurs échanges économiques : le commerce des pays du Sud a été en 2012 équivalent à celui des pays du Sud avec les marchés du Nord. Les chefs d’entreprises ont pris note de cela et du dynamisme des émergents. Ils ont investi dans ces pays comme jamais. Pour la première fois, les investissements étrangers dans les pays émergents ont égalés ceux des pays les plus développés (nous étions sur une tendance 2/3, 1/3 avant 2010). C’est très nouveau, la question étant de savoir si c’est conjoncturel, lié à la crise au Nord ou structurel et durable ? Les pays émergents sont ainsi venus se rassurer à Davos et convaincre de la solidité et de leur économie et de l’irréversibilité de leur développement économique… Je crois qu’aujourd’hui il existe une vraie crainte de ces pays-là que leurs économies s’essoufflent durablement et que les perspectives ne soient plus aussi bonnes que par le passé surtout dans le cas des économies émergentes qui se trouvent dans des situations politiques compliquées (Chine, Turquie, etc.). Même les pays démocratiques peuvent être fragilisés par un ralentissement économique ou une augmentation de l’inflation, on l’a vu avec le Brésil le printemps dernier, la Thaïlande en ce moment et peut-être demain, l’Inde. Et il va sûrement être beaucoup question de cela à Davos…
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