ANALYSES

UE/Chine : se dirige-t-on vers une guerre commerciale ?

Interview
6 juin 2013
Le point de vue de Sylvie Matelly
Aujourd’hui entre en vigueur une taxe de 11,8% sur les panneaux solaires chinois importés en Union européenne. Quels sont les objectifs poursuivis par la Commission européenne ? Cette dernière suit-elle une logique protectionniste ?

L’objectif poursuivi est très clairement de protéger le secteur en Europe, car ce dernier est en crise et largement menacé par le dumping – si dumping il y a –, et en tout cas par les prix cassés des produits chinois. Il s’agit donc de protéger ce secteur économique aujourd’hui en crise mais qui est considéré comme un vecteur de croissance potentielle et d’emploi : dans la politique énergétique et la transition énergétique de l’Union européenne, l’enjeu est de dynamiser le secteur des énergies renouvelables pour créer des emplois, de la croissance économique, etc. De ce point de vue, nous sommes dans une politique protectionniste.
D’un autre côté, l’argument qui est avancé par Bruxelles et par les pays qui soutiennent cette mesure est de dire qu’il y a du dumping – c’est-à-dire que les Chinois vendent à perte pour conquérir des marchés, ce qui est totalement interdit par les grandes règles du commerce international, puisque c’est de la concurrence déloyale.

Les Etats-membres de l’Union européenne sont particulièrement divisés sur cette mesure anti-dumping. Comment expliquer cette situation ?

Au départ, la mesure faisait plutôt l’unanimité en Europe et puis la crise, mais aussi des choix énergétiques spécifiques tels l’abandon du nucléaire par l’Allemagne, est passée par là conduisant à des intérêts divergents entre les pays européens sur cette question. Ces derniers sont ainsi particulièrement divisés sur ce sujet. L’idée première était de soutenir les entreprises fabriquant des panneaux solaires afin d’éviter que l’Europe ne soit envahie par des panneaux solaires chinois à des prix défiants toute concurrence, sur lesquels les Européens ne pourraient pas s’aligner.
Aujourd’hui, des intérêts différents sont apparus. Premièrement, ceux des fournisseurs des panneaux solaires, qui sont en crise car les revenus européens stagnent et que la demande est en berne et qui ont intérêt à ce que le prix des panneaux diminue. Pour ces fournisseurs, vendre des panneaux solaires chinois est une véritable aubaine.
Dans le cas de l’Allemagne, un deuxième facteur entre en ligne de compte. Ce pays a en grande partie compensé la faiblesse de la demande européenne en augmentant ses exportations vers l’Asie en général et la Chine en particulier, ces dernières années. Les exportations allemandes vers la Chine ont représenté près de 70 milliards d’euros en 2012, soit quasiment 6% du commerce extérieur de ce pays européen. Eviter à tout prix une guerre commerciale est donc quelque chose de fondamental pour l’Allemagne. Ses choix énergétiques pèsent également fortement sur sa position. L’abandon du nucléaire a, de l’avis général, était un peu rapide et mal anticipé. La dépendance énergétique de ce pays vis-à-vis de ses importations de charbon, de pétrole et de gaz est croissante, voire inquiétante. La sécurité de ses approvisionnements, non seulement énergétiques mais aussi en matières premières entrant dans la fabrication de sources d’énergies renouvelables n’est en rien garantie à moyen terme… l’importation à moindre coût de produits chinois peut alors tôt ou tard se révéler être une aubaine pour ce pays.
Enfin, il est aujourd’hui très clair qu’on a tendance à chercher des coupables partout dans une situation de crise qui dure et dont on ne voit pas l’issue. Au même titre que les Américains ont diabolisé la Chine et la concurrence chinoise il y a quelques temps déjà, les Européens s’engagent également dans cette voie – ce qui n’est pas bon signe pour l’avenir de l’économie mondiale.

Suite à cette décision, la Chine a menacé d’imposer une taxe supplémentaire sur les vins européens. Peut-on parler du début d’une guerre commerciale ?

Effectivement, cela ressemble étrangement à une guerre commerciale. On a souvent vu ça entre l’Europe et les Etats-Unis depuis les années 1960, mais un peu moins avec l’Asie – quoique ce fut le cas avec le Japon dans les années 1990. Ces épisodes se produisent toujours entre des partenaires qui sont essentiels l’un à l’autre, dont les interdépendances sont très importantes. Il ne faut pas oublier qu’en 2012, l’Europe a été le premier partenaire commercial de la Chine et vice-versa, devant les Etats-Unis. Les enjeux sont très importants, et c’est justement pour cela que les menaces et les attaques fusent, mais c’est aussi probablement pour cela que la guerre commerciale ne se produira pas en réalité. Les deux parties ont intérêt à faire monter la pression pour se présenter autour de la table avec une position très ferme pour négocier, et ne pas se montrer affaibli. C’est également pour cela qu’une fois autour de la table, on négociera et on trouvera un accord car ni l’Union européenne, ni la Chine n’ont intérêt à ce que cette guerre commerciale se concrétise. Ce serait catastrophique à la fois pour la croissance économique en Chine, et en Europe.