ANALYSES

Quelle est l’origine des violences en Birmanie et quelles sont les solutions du régime face à celles-ci ?

Interview
13 juin 2012
Le point de vue de Olivier Guillard
La crise secouant l’ouest de la Birmanie (Etat Rakhine ou Arakan ; frontalier du Bangladesh) depuis une semaine emporte une dimension locale, prenant son origine dans un fait divers malheureux (3 juin) avant d’adopter un format plus identitaire et violent que personne n’avait vu venir. Il s’agit donc au départ d’une question strictement locale n’ayant théoriquement pas vocation à adopter un périmètre national, mais naturellement, avec la Birmanie, on ne sait jamais ; nous évoquons une nation où les événements prennent parfois des tours inattendus…
Sommairement, voici les faits : nous trouvons d’un côté une minorité ethnico-religieuse (les Rohingyas, musulmans parlant le bengali) considérée par les Birmans « de souche » comme un problème exogène plutôt que domestique, une minorité quasi-apatride de quelques centaines de milliers d‘individus déshérités dont, en vérité, ni la Birmanie, ni le Bangladesh voisin, ne tiennent à s’embarrasser, et qui a subi l’essentiel des violences. Face à eux, se dresse une population locale arakanaise de confession religieuse distincte (appartenant à la majorité bouddhiste) ayant peu d’estime pour ces laissés pour compte.
Depuis des décennies, tensions, incidents et relations conflictuelles, alimentés par des faits divers ou instrumentalisés à des fins politiques, sont des phénomènes courants. Les autorités ont essayé dès le début de ces incidents de s’interposer le plus rapidement possible, dans le contexte sensible que l’on devine, en déployant des forces de sécurité pléthoriques et en imposant un Etat d’urgence local et un couvre-feu entre six heures du soir et six heures du matin. Cependant, cela n’a visiblement pas suffi puisque dans la matinée du 12 juin, en dépit de cette forte présence policière et des multiples appels au calme de la part des autorités locales et nationales, il y a encore eu quelques expressions de violence, des débordements et des heurts.
Si elle venait à couver encore quelques jours, cette crise initialement locale pourrait, nonobstant les efforts des autorités, glisser vers une dimension plus large débordant les seuls enjeux régionaux et acrimonies ethnico-religieuses (même si le risque apparaît mineur) dans le contexte actuel d’essais fébriles de démocratisation (un exercice pour l’heure salué par la communauté internationale).

Ainsi que l’indiquait le chef de l’Etat birman Thein Sein dans une solennelle allocution télévisuelle il y a quelques jours, ces incidents constituent une mauvaise nouvelle pour l’image intérieure et extérieure de la Birmanie, en ces temps d’esquisse de reconstruction et de réconciliation nationale.

Les ressources de l’Etat birman pour gérer cette crise sont diverses. La première hypothèse, dans ce pays qui demeure largement policier, avec des réponses souvent lestes de la part des forces de sécurité, pourrait être de renforcer plus encore la présence policière (à des fins essentiellement préventive, dissuasive) pour éviter que ces incidents n’atteignent une ampleur déstabilisante et ne suscitent chez d’autres groupes ethniques – et ils sont nombreux – des velléités de manifester leurs ressentiments. Le gouvernement a dans ce contexte annoncé que les responsables de ces violences, quels qu’ils soient, répondraient très vite de leurs faits devant la justice.
La deuxième hypothèse, la moins souhaitable, serait le « tour de vis » (une démonstration de force avec usage mesuré de cette dernière) que pourrait donner l’Etat birman (dont le dernier triste exemple remonte à 2007, avec les épisodes dramatiques de la « révolution de safran ») pour préserver la stabilité intérieure et éviter un effet de contamination.
A priori, nous pouvons penser que la réponse des autorités sera dosée, calculée et adaptée en évitant le surdosage inutile et dangereux qui nuirait à une image récemment améliorée, bénéfice précieux dont le gouvernement a encore grandement besoin pour gagner du crédit tant auprès des 60 millions de birmans que de la communauté internationale. Les appels à la mesure et à la raison, lancés dans toutes les directions, de Naypyidaw (la capitale birmane) à Yangon, de Washington à Pékin, devraient en quelques jours finir par apaiser les esprits.
Demeurons toutefois prudent ; la Birmanie a pris l’habitude de nous surprendre – plutôt en bien – ces deux dernières années. Fragile, instable, elle peut cependant à tout moment déraper et rencontrer des écueils imprévus, rédhibitoires pour les autorités aujourd’hui officiellement post-junte. Espérons que ce regrettable épisode violent dans l’ouest du pays n’ouvre pas la voie à un nouveau chapitre tragique de la si complexe histoire birmane contemporaine ; du reste, personne n’y gagnerait quoi que ce soit…
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