17.12.2024
Après son entrée au parlement birman, Aung San Suu Kyi pourra-t-elle réellement exprimer son opposition face au régime militaire en place ?
Interview
4 mai 2012
Néanmoins, Aung San Suu Kyi, hier encore hors de la sphère institutionnelle et porte-voix écoutée – en Birmanie comme au-delà – de l’opposition éprise de démocratie, a donc réintégré le jeu politique via la participation (couronnée de succès) aux élections partielles du mois dernier. Sous la houlette du surprenant président Thein Sein et de sa feuille de route façonnée d’ouvertures, de réformes et de main tendue, le pouvoir s’est prêté au jeu de ce scrutin, en organisant des élections relativement libres et honnêtes, en tous les cas raisonnablement acceptables et en acceptant de bonne grâce le verdict (45 sièges sur 47 en jeu remportés par la LND), à tel point que cela fût salué par l’ensemble de la communauté internationale.
Aujourd’hui, Aung San Su Kyi se trouve dans une configuration personnelle et politique inédite, se situant à la fois en dehors du giron gouvernemental, donc de la réalité du pouvoir politique (députée, leader de l’opposition, aucun portefeuille ministériel ou autre fonction publique officielle)… tout en participant désormais, de plein gré, à la reconnaissance du système constitutionnel en place en prenant part au fonctionnement des institutions, lesquelles, nonobstant un cadre récemment retouché (Constitution en date de 2008) et la mue officielle, au printemps 2011, d’un gouvernement militaire (junte) vers un profil plus démocratique (gouvernement civil du Président Thein Sein), continuent à faire la part belle aux militaires (cf. ¼ des sièges à l’Assemblée nationale demeurent réservés aux hommes en uniforme), au grand désarroi de nombre de Birmans.
Pour La Dame, cette équation nouvelle et insolite présente certains avantages (reconnaissance, visibilité, capacité à interagir avec ses détracteurs et opposants, etc.) ; étant désormais à l’intérieur d’un microcosme qui lui était jusqu’alors interdit, hors de portée, elle est enfin à même d’agir, fut-ce de façon modeste et timide, pas à pas et sans heurt, sur le fonctionnement des choses, sur les orientations que doit prendre ce pays en plein renouveau, peser sur les multiples défis encore présents.
Cette situation comporte également divers risques et inconvénients pour Aung San Su Ki. Ainsi, depuis un an, la chef de file des espoirs démocratiques birmans coopère à sa manière, dans une relative bonne intelligence et sans aller au-delà de ce mandat hier encore improbable, avec l’administration Thein Sein, donnant par la même, en bonne intelligence là-encore, un crédit domestique et extérieur bienvenu, recherché, au gouvernement. Dans ce contexte nouveau, en mai 2012, Aung San Suu Kyi se trouve donc, qu’elle le veuille ou non, plus ou moins associée à l’agenda mis en œuvre par le gouvernement qui, tout en étant très clairement inspiré par des élans réformateurs à saluer, demeure pour l’homme de la rue essentiellement composé d’anciens officiers (à commencer par le Président Thein Sein) qui n’ont fait, en réalité, que remplacer leur uniforme kaki par un costume trois pièces de meilleure coupe.
Naturellement, ces avancées sont souhaitables et offrent des perspectives nouvelles, encourageantes, présentant un certain nombre d’avantages, mais également un inconvénient pour Aung San Su kyi. On pourrait en effet lui reprocher d’être déjà trop proche du pouvoir et donc de cautionner un brin hâtivement un système pas encore tout à fait démocratique, celui-là même qu’elle combattait ardemment il y a peu.
Un positionnement complexe, exposant donc, d’une certaine manière, la frêle et déterminée Aung San Suu Kyi. Une personnalité hors du commun capable de relever, sans l’ombre d’un doute, ce énième challenge.