ANALYSES

Le statut juridique du détroit d’Ormuz : territoire international ou territoire partagé ?

Interview
12 janvier 2012
Réponse de Morgan Vasner, assistant de recherche à l’IRIS
Les tensions entre les États-Unis et l’Iran ont ravivé les craintes ces dernières semaines, d’une fermeture du détroit d’Ormuz. Ces inquiétudes sont bien entendu liées au fait que 35% du pétrole (20 millions de barils par jour) brut transporté par voie maritime, transite par ce détroit, et que ce pétrole représente une part significative de la consommation mondiale d’or noir.
De fait les États-Unis disposent dans la région d’une présence militaire forte, et notamment d’une flotte impressionnante. De son côté, l’Iran a renforcé ses bases militaires en particulier à Bandar-Abbas face au détroit, mais aussi dans le golfe persique sur les îles Tomb et Abu-Moussa, qu’il occupe depuis 1971, et dont les Émirats-Arabes-Unis revendiquent la souveraineté. Depuis la révolution islamique de 1979, les accrochages et les incidents ont été réguliers dans ce détroit, et l’Iran a fréquemment su utiliser cette carte pour assurer la défense de ses intérêts vitaux. A ce titre, la République islamique a récemment menacé d’empêcher par la force la navigation dans le détroit d’Ormuz (et notamment le retour d’une partie de la flotte américaine dans le golfe persique), si les Occidentaux venaient à prendre des sanctions à l’encontre de ses exportations de pétrole. De son côté Washington a objecté que le détroit était un espace international, et Paris qu’une telle mesure serait illégale au regard du droit international et des obligations de Téhéran en matière de droit à la navigation.
La réalité est plus complexe. Certains détroits comme ceux du Bosphore et des Dardanelles, sont régis par des conventions spécifiques (ici la Convention de Montreux). Autrement (et c’est le cas du détroit d’Ormuz), le statut juridique des détroits et la liberté de navigation en leur sein, sont avant tout régis par le droit coutumier, qui n’est pas écrit, et depuis 1982, par la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer qui a défini ce statut. Ce traité international, établi à Montégo Bay en Jamaïque et entré en vigueur en 1994, a mis en place un cadre de réglementation sur l’utilisation des mers et des océans, abordant notamment les questions de souveraineté dans les mers territoriales, de droits d’usage dans les zones maritimes, des droits de navigation, et le point crucial de la circulation dans les détroits.
A l’origine, la CNUDM a étendu la largeur légale de la mer territoriale des États de 3 milles marins (environ 5,5km) à 12 (environ 22km), sans compter la zone contigüe et les extensions possibles du plateau continental des pays concernés. De fait, les détroits étant par nature des espaces très resserrés, il était inévitable qu’avec ces mesures, les eaux du détroit d’Ormuz se retrouvent partagées entre la République islamique d’Iran et le Sultanat d’Oman. Ayant signé la CNUDM, ce dernier a conservé tel quel le tracé des anciennes voies de circulation dans le détroit, datant de l’époque précédent la convention, où ces voies se trouvaient en zone de « haute mer », c’est à dire hors de la juridiction des États. Leur tracé répond à la nécessité de faire traverser les navires, dans une portion du détroit ou l’eau est suffisamment profonde pour assurer le transit des navires en toute sécurité. L’article 41 de la convention définit désormais par écrit, les modalités par lesquelles un État souverain peut, au sein d’un détroit où se trouve toute ou partie de sa mer territoriale, prendre des mesures de séparation du trafic dans le cadre du passage en transit. Dans le cas présent, les navires étrangers traversent le détroit d’Ormuz dans les eaux omanaises par l’intermédiaire de deux voies : l’une en sens ouest-est large de 3km, l’autre en sens est-ouest également large de 3km, toutes deux séparées par une bande de même largeur au sein de laquelle la navigation est interdite.
Autrement dit, les navires étrangers et la marine américaine peuvent, du point de vue du droit international, traverser sans entrave le détroit d’Ormuz via les couloirs de circulation internationale, situés dans les eaux territoriales du Sultanat d’Oman, du moment qu’ils respectent les réglementations établies dans le cadre du « passage en transit », définis dans les articles 38 et 39 de la convention. Mais alors qu’à ce jour 162 États ont ratifié cette convention, les États-Unis, l’Iran et les Émirats-Arabes-Unis n’y adhèrent pas (à l’exception de l’accord sur les stocks chevauchant, relatif aux ressources halieutiques). Le Sultanat d’Oman lui, l’a en revanche ratifiée. L’Iran n’étant donc pas lié à la CNUDM, il pourrait considérer l’ensemble de ces règles comme nulles, et fermer le détroit, sans être en infraction avec cette convention. Mais il se mettrait d’une part en porte-à-faux avec le droit international coutumier, sur lequel se base la convention citée précédemment. De plus, une telle mesure devrait en toute logique poser un sérieux problème avec le Sultanat d’Oman, avec qui l’Iran a défini ses frontières maritimes sur la base d’un accord bilatéral. Les États-Unis quant à eux, n’étant pas liés non plus par cette convention, pourraient également procéder à un certain nombre de manœuvres, sans que pour autant ils puissent être unanimement considérés comme ayant enfreint le droit international. Les officiels américains affirment d’ailleurs que les voies de circulation au sein du détroit d’Ormuz, se trouvent en territoire international (cette interprétation s’expliquant par le fait que les États-Unis n’ont pas signé la CNUDM, et ne reconnaissent donc pas la territorialité des eaux du détroit du fait des extensions à 12 milles marins des mers territoriales).
Premier constat : fermer le détroit en son point le plus étroit, reviendrait pour l’Iran à occuper les eaux territoriales omanaises. Deuxièmement, il convient de rappeler que, contrairement aux idées reçues et aux propos de la porte-parole du département d’État américain, Victoria Nuland, le détroit d’Ormuz ne se situe nullement en territoire international du point de vue du droit international. La référence du porte-parole adjoint du ministère des Affaires étrangères français à l’obligation des États riverains d’un détroit de ne « pas entraver le passage en transit », est plus exacte d’un point de vue juridique, surtout parce qu’elle est un héritage du droit coutumier international, reconnu théoriquement par tous contrairement à la CNUDM. Mais à ce titre chaque partie peut s’appuyer sur son interprétation des articles de la convention pour faire valoir ses droits, qui reconnaissent tout à la fois la souveraineté des États riverains sur leur mer territoriale quand bien même elles se trouvent dans un détroit (article 34), mais aussi les obligations de ces mêmes États en matière de coopération à la navigation internationale, et l’interdiction qui leur est faite d’y suspendre le droit de passage en transit (article 44).
D’autre part, le prolongement des couloirs de navigation internationale mentionnés précédemment, une fois à l’intérieur du golfe persique, les amène dans les eaux iraniennes, slalomant entre les îles Tomb et Abou Moussa, toutes trois revendiquées par les Émirats-Arabes-Unis, mais occupées militairement par l’Iran depuis 1971. Rien n’empêcherait cependant les navires étrangers d’emprunter de nouvelles voies situées dans les eaux des pétromonarchies arabes, si l’Iran décidait de fermer son espace maritime à la navigation, dans sa portion du golfe. L’article 41 de la CNUDM permet en effet à tout État parti, de redéfinir de nouvelles voies de circulation dans ses eaux territoriales (encore faut-il que les conditions de sécurité à la navigation soient réunies, ce qui n’est pas toujours évident dans cette zone). La fermeture totale du détroit d’Ormuz en son point le plus étroit serait, elle, illégale du point de vue du droit international. On peut cependant supposer que dans un espace géographique où trois des quatre pays concernés (Iran, États-Unis, Émirats-Arabes-Unis), n’adhèrent pas à la réglementation de la CNUDM, et ne répondent donc d’aucun texte juridique sur la question, l’argument du droit n’ait que peu de poids.
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