ANALYSES

Budget de défense japonais : Chine et Corée du Nord en ligne de mire

Tribune
1 septembre 2014
Troisième année de hausse

Si cette demande est acceptée, ce sera la troisième année de hausse consécutive du budget de la défense depuis l’arrivée au pouvoir du premier ministre conservateur Shinzo Abe en décembre 2012, qui veut « muscler » la défense de l’archipel face aux menaces récurrentes dans son environnement immédiat.

Pour adopter une posture militaire plus forte, le Cabinet de Abe a d’ailleurs adopté, début juillet, une réinterprétation de la constitution pacifiste du Japon (2).

Menaces chinoise et nord-coréenne

Cette requête du ministère de la Défense vient également trois semaines après la publication du Livre blanc de la défense 2014 qui met en exergue l’évolution de la posture de la Chine et « ses tentatives de changer le statu quo par la contrainte ». Il fait référence à l’instauration par Pékin d’une zone d’identification aérienne en mer de Chine orientale en 2014 couvrant, notamment, l’archipel contesté des Senkaku – à 400 km à l’ouest d’Okinawa et 200 km au nord-est de Taïwan -, que les Chinois revendiquent sous le nom de Diaoyu.

Le Livre blanc a également identifié la Corée du Nord comme « un facteur grave de déstabilisation de … toute la région et de la communauté internationale », et a pour la première fois nommé le missile balistique intercontinental mobile KN-08 comme instrument particulièrement nuisible.


Équipements sophistiqués

Face à ces menaces croissantes, le ministère de la Défense japonais a demandé 378,1 milliards de yens pour pouvoir déployer 20 avions de surveillance P1 par groupe de cinq entre 2018 et 2021. Le deuxième type d’équipement marquant dans cette requête budgétaire est deux nouveaux destroyers de type Aegis de la classe Atago aux capacités antimissiles balistiques améliorées, avec comme objectif d’étendre la flotte de navires de ce type à 8 unités d’ici la fin de l’année fiscale 2020. Un nouveau sous-marin de type Soryu, qui peut rester deux semaines sous l’eau, est également demandé.
Troisième type d’équipements notable, six chasseurs furtifs F-35A pour un montant de 131 milliards de yens ont été budgétisés. Un expert du Japan Forum for Strategic Studies souligne toutefois, sous couvert de l’anonymat, que : « Le Japon connaît actuellement un manque (de capacités de combat aérienne) et pourrait se trouver en difficultés pour maintenir sa supériorité dans les airs dans les zones autour du Japon jusqu’à ce que le F-35 soit déployé ».

Parmi les autres équipements sensibles, le ministère de la Défense japonais veut acquérir des systèmes d’alerte aérienne avancée, trois drones HALE Global Hawk – qui peuvent effectuer des missions de surveillance à haute altitude, à très longue distance, et pour une longue durée -, et aussi des satellites d’observation comme le propose le Bureau de la stratégie spatiale nationale.

Menaces sur les îles Senkaku : une priorité

Cet effort militaire s’accompagne aussi de mesures prises par les autorités civiles. Le ministère des Transports japonais a ainsi sollicité un doublement du budget affecté à ses garde-côtes pour renforcer la surveillance desîles Senkaku, indique l’AFP le 28 août.

Des crédits s’élevant à 50,4 milliards de yens (485 millions de dollars ou 367 millions d’euros) vont ainsi être demandés pour la prochaine année budgétaire (avril 2015-mars 2016). Les garde-côtes réclament un chasseur supplémentaire, 10 gros navires et une hausse de leurs effectifs. Ils souhaitent aussi construire un débarcadère, des logements, et d’autres équipements pour renforcer leur base située sur l’île d’Ishigashi, proche des territoires contestés.

Il s’agit donc de réaffirmer la souveraineté nippone sur ces îlots, de dissuader les navires officiels chinois qui rôdent dans cette zone, d’instaurer un système de patrouilles 24 heures sur 24 et de repousser les bateaux de pêche étrangers, essentiellement chinois, qui sont de plus en plus présents. Ils étaient 39 d’avril 2012 à mars 2013 mais déjà 169 depuis avril de cette année ! Cet effort des garde-côtes complétera aussi le renforcement des capacités amphibies du Japon qui visent aussi à pouvoir protéger les Senkaku ou d’autres îles qui seraient menacées.

Une force amphibie qui s’exerce

Ainsi les forces japonaises ont-elles effectué en juillet, dans le cadre des exercices Rim of the Pacific , des assauts de plages à Hawaï avec les forces des États-Unis et d’autres contrées.
L’objectif est, à court terme, de créer une force amphibie sur le modèle des Marines américains.

L’effort défensif japonais est donc conséquent et protéiforme. Pour Christopher W. Hughes, expert reconnu du Japon et professeur de Politique internationale et d’études japonaises à l’université britannique de Warwick, « cette demande budgétaire illustre le renforcement de la résolution du Japon à rester dans la course pour mettre en place une force d’autodéfense [nom de l’armée japonaise] de haut niveau et dotée de capacités sérieuses pour faire pièce à la Chine ».

Budget de rattrapage loin derrière la Chine

Mais, note ce spécialiste, (auteur notamment de Japan’s remilitarisation, Edition Routledge, 2009), cet effort « ne se situe pas à la même échelle que celui de la Chine, car qui pourrait entrer en compétition avec l’empire du milieu sinon les États-Unis. Et la plus grande partie de la hausse du budget sert seulement à compenser le manque de dépense des années précédentes ».

D’ailleurs, début juin, le Pentagone publiait son évaluation annuelle sur la puissance militaire chinoise, montrant dans les 96 pages du document, la poursuite accéléré de l’effort de modernisation de l’APL, notamment sur le plan naval. (4)

Il rappelait qu’en mars 2013, Pékin annonçait une hausse de 5,7 % du budget militaire pour atteindre 119,5 milliards de dollars. Mais le Pentagone estime qu’en réalité ce dernier dépasse 145 milliards de dollars, soit au moins trois fois le budget de défense japonais. Et que de 2004 à 2013, officiellement, le budget militaire chinois a progressé de 9,4 % par an.
Le Japon est donc encore bien loin d’un tel niveau, que de toutes manières il ne serait pas en mesure de suivre compte tenu de ses contraintes budgétaires et démographiques.

Si par ailleurs, la situation économique venait à se dégrader, et les statistiques économiques dévoilées vendredi dernier sont mauvaises à cet égard, Shinzo Abe serait bien en peine de justifier une nouvelle forte hausse du budget de défense, souligne The Diplomat (5).

(1) Paul Kallender-Umezu, ‘Japan defense ministry requests 2,4 % budget hike’, Defense, News, 28 août. 2014.
(2) Lire notre analyse : http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article9852)
(3) « Japan practices amphibious landing in Hawaii », The Japan Times, 31 juillet 2014
(4) Christopher P. Cavas, ‘Pentagon : China continues military modernization’, Defense News, 5 juin 2014.
(5) Clint Richards, « ‘Japanese Military set for big budget gains as economy shifts to neutral’, The Diplomat, 29 août 2014, http://thediplomat.com/2014/08/japanese-military-set-for-big-budget-gains-as-economy-shifts-to-neutral/

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