19.12.2024
Le dialogue 5+5 et son volet défense : une coopération à promouvoir
Tribune
18 avril 2014
La mer méditerranée est un espace d’une grande importance stratégique. Passage obligé pour les navires commerciaux et militaires, elle relie l’océan Atlantique à l’océan Indien. La plupart des pétroliers en provenance des pays du Golfe empruntent cette route, sans compter les navires de croisière et de tourisme qui mouillent dans ses eaux. Une approche commune des problématiques est dans l’intérêt de tous les pays méditerranéens.
La genèse du Forum 5+5
A partir des années 90, plusieurs rapprochements multilatéraux vont voir le jour entre les pays du pourtour méditerranéen. Le premier d’entre eux est le forum 5+5. Comprenant l’importance d’une gestion collective de la sécurité en Méditerranée, dix pays ont cherché à se rapprocher en 1990 : cinq pays de la rive nord (Portugal, Espagne, France, Italie et Malte) initient un forum de discussion informel avec l’Union du Maghreb Arabe (ou UMA : Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie et Libye). C’est la naissance du 5+5. Les ministres des Affaires étrangères, qui visent à développer un rapprochement à la fois politique et économique sont à l’origine de cette initiative. L’embargo et les différentes sanctions envers la Libye, de 1992 à 2001, vont empêcher toute avancée dans ce cadre, le forum est alors mis en sommeil forcé.
Le Forum 5+5 reprend vie en 2001, avec son volet défense. La France, en décembre 2004, décide de prendre les devants en matière de sécurité et de défense, en organisant la réunion des dix ministres de la défense. L’objectif est double : passer outre les blocages du processus de Barcelone (1) et consolider le 5+5 en misant sur un de ses volets des plus porteurs, celui de la Défense. Il offre en effet un réel cadre de liberté aux pays participants, qui choisissent ensemble les axes de coopération. Des relations apaisées voient le jour et durent dans le temps, notamment dans le domaine de la défense.
Les atouts encourageants du consensus « 5+5 Défense »
Le Forum 5+5, avec son volet Défense, semble s’être engagé dans la bonne direction. Les coopérations militaires se font autour de quatre grands thèmes : la surveillance et la sécurité maritime, la sûreté aérienne, la contribution à la protection civile et le domaine de la formation et de la recherche. Les qualités du « 5+5 Défense » ont été mises en avant par le contre-amiral Jean-François Coustillière (2) : « le dialogue de défense repose sur l’équité de traitement de leurs préoccupations. Cette relation de partenariat réellement respectueux des attentes de chacun constitue sans doute l’atout majeur ». Toutes les avancées accomplies dans ce cadre restent solides et pérennes, car elles reposent sur des choix effectués en commun. Le consensus existe et perdure grâce à un réel climat de confiance.
La coopération militaire, fédératrice, se concrétise par des axes de rapprochement entre responsables militaires, avant même que cela se soit généralisé à tous les niveaux des États. Elle est donc éminemment politique car elle peut précéder le rapprochement diplomatique. Elle a un impact positif direct sur les éléments de stabilité régional (sécurité, confiance). Ce besoin existe bel et bien.
Le principe de liberté participative propre au « 5+5 Défense » offre un cadre de collaboration militaire privilégiée. L’Algérie et le Maroc, qui connaissent des tensions à leur frontière commune, liées principalement au désaccord sur la question du Sahara Occidental (3), ont trouvé au sein du 5+5 un cadre de rapprochement politique et diplomatique. L’intérêt commun prime, et les divergences ne peuvent que ralentir certains dossiers, sans jamais geler le processus.
En comparaison, l’absence d’une telle latitude au sein de l’union pour la Méditerranée rend plus difficiles le lancement de projets méditerranéens plus larges. Le nombre plus important de pays a tendance à rendre les choses plus complexes. Aujourd’hui, il existe encore de nombreux sujets d’accroches comme la question du Proche-Orient, la guerre civile en Syrie, la question chypriote, ou encore la récente crise politique en Egypte. Le forum 5+5 ne semble vraisemblablement pas souffrir de ce mal.
Vers un avenir tout tracé
Récemment les pays du 5+5 ont réaffirmé leur volonté d’aller de l’avant et de continuer à renforcer leur coopération. Les pays d’Afrique du Nord y trouvent un cadre apaisé de discussion et de rencontre. La présence des pays européens facilite la coopération des pays maghrébins. Par exemple, en 2012, le président tunisien Moncef Marzouki avait indiqué quelques éléments de continuité : « le 5+5 est un modèle de coopération et de complémentarité, ces valeurs peuvent aider à surmonter les problèmes des deux sous-régions ». Selon lui, « ce dialogue devrait aider à affronter des défis comme le terrorisme, le crime transfrontalier, le trafic d’armes ».
Les liens qui existent aujourd’hui pourraient servir efficacement à renforcer et aider les transitions démocratiques. En 2011, le printemps arabe a gelé le processus pour les pays concerné (Tunisie et Libye). Mais aujourd’hui, ces pays collaborent et discutent des problématiques qui les concernent. Pour la Libye, qui est pleine reconstruction et potentiellement au bord du péril politique, le 5+5 permet de tisser des liens. Ils pourront certainement aider le pays à se redresser. Le dialogue « 5+5 Défense » dans ses domaines de compétence, offre de bonnes perspectives, qui de plus sont conformes aux aspirations initiales du processus de Barcelone.
Une coopération assidue est également souhaitable pour traiter tout ce qui touche à l’immigration Sud-Nord. Le 5+5 Défense doit créer des outils de lutte contre les trafics migratoires, surtout pour éviter que le drame de Lampedusa ne se reproduise. L’Union européenne travaille à gérer humainement et dignement le problème. Le 5+5 doit travailler en amont, en favorisant une bonne coopération maritime des pays qui sont concernés les premiers. Plus largement, le dialogue défense permet de lutter contre l’insécurité maritime. Dans ce cadre, l’Italie travaille sur les systèmes d’échange d’information maritime.
De plus en plus de dirigeants et d’acteurs militaires prennent conscience de la force du rapprochement 5+5. Cela se concrétise notamment sur le terrain, entre militaires, dans le cadre du collège 5+5 défense (volet formation du « 5+5 défense »). Lancé en 2007, les pays collaborent dans la formation militaire. 300 auditeurs ont déjà été formés depuis. Par exemple, lors d’un exercice, des stagiaires de L’Ecole de Guerre (Paris) ont participé à un entraînement de commandement à Alger avec d’autres officiers supérieurs de chaque pays du 5+5. L’objet de cet exercice était de confirmer la pérennité du réseau activable en cas de crise majeure et d’organiser conjointement les secours (l’Algérie et l’Espagne souhaitent mettre en place et consolider un tel réseau). L’enjeu est de taille : ces officiers seront destinés à occuper des postes de responsabilité importants au sein de l’armée française. Il est important qu’ils soient pleinement sensibilisés dès aujourd’hui à ce rapprochement autour de la méditerranée.
Article publié sur la proposition de l’Ecole de guerre.
(1)Processus de Barcelone : initiative lancée en Espagne en 1995, qui scelle la naissance d’un partenariat large, entre l’Europe et les pays du pourtour méditerranéen. Ce processus est destiné à encadrer des projets lancés entre ces pays, dont les intérêts convergent, en raison de leur proximité géographique autour de la Méditerranée. Le nombre important de pays membres, aujourd’hui rassemblés autour de l’Union Pour la Méditerranée (UPM), et la multiplication des intérêts empêchent la finalisation de plusieurs accords.
(2)Le contre-amiral (2S) Jean-François Coustillière est responsable du cabinet de consultant JFC Conseil, spécialisé dans les relations internationales en Méditerranée. Il est actuellement le président du conseil d’administration d’Euromed-IHEDN.
(3)Problématique du Sahara Occidental : le territoire est revendiqué à la fois par le Maroc (lequel l’appelle Sahara marocain) et par la République arabe sahraouie démocratique (RASD), proclamée par le Front Polisario en 1976. Ce mouvement a pour objectif l’indépendance totale du Sahara occidental, revendication soutenue par l’Algérie (Source Wikipédia).
*Issu de la promotion 1998 de l’Ecole de l’Air, le commandant Hervé Braun est pilote commandant de bord sur C130 Hercules. Affecté à l’ET 2.61 « Franche Comté », il a été engagé au Gabon et au Tchad. Il a également été pilote officier d’échange sur C130H aux Etats-Unis, à Dyess AFB au Texas. Récemment, il a participé à l’opération Epervier et Serval. Il est aujourd’hui stagiaire de la promotion « Ceux de 14 » à l’Ecole de Guerre.