06.11.2024
Au Congo, les métastases du génocide rwandais
Tribune
8 avril 2014
Deux ans plus tard, appuyés par les armées du nouveau régime du Rwanda et par l’Ouganda, luttant contre le régime du maréchal Mobutu, les rebelles de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL) de Laurent-Désiré Kabila, progressèrent rapidement dans les régions orientales. La descente aux enfers sera cruelle. Tant d’agressions et de violences, dans un contexte de misère généralisée, ne pouvaient conduire qu’à un nouveau désastre humain, cette fois en terres congolaises. Emma Bonino, alors commissaire européenne pour l’aide humanitaire, en février 1997, rentrant du Kivu parla « de carnages incompréhensibles » accusant les pays voisins de ne rien faire pour empêcher ces actions « voire de les encourager » : « j’ai l’impression de revenir de l’enfer (…) j’espère que les 200.000 réfugiés qui n’ont pas encore pu être localisés sont vivants, quelque part dans les forêts, et qu’ils réapparaîtront. Mais il est tout aussi possible, qu’ils soient tous morts ».
En 2002, l’ONG américaine International Rescue Commitee estimait à 3,3 millions le nombre de cas de « décès excédentaires », c’est-à-dire de morts additionnels par rapport au taux standard de mortalité dans le Kivu. D’autres estimations sont encore plus effrayantes : pour l’ensemble du pays, de la période allant de 1996 à 2007, le chiffre des morts dus aux conséquences des conflits au Congo serait de 5,4 millions. Et certains récits sont monstrueux comme ceux relatés dans le rapport Mapping du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) rendu public en octobre 2010 (et dont Le Monde s’est alors fait l’écho). Il recense : « les attaques systématiques et généralisées (…) ayant pour cible de très nombreux réfugiés hutus rwandais et des membres de la population civile hutu et causé leur mort, (qui) révèlent plusieurs éléments accablants qui, s’ils sont prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crime de génocide » (article 517). « Contre-génocide » ? L’expression est forcément exagérée, insupportable pour des journalistes ou des membres d’associations des Droits de l’Homme qui ont fait de Paul Kagamé le héros qui a arrêté le génocide dans son pays, mais des « crimes contre l’humanité » à tout le moins, et le rapport fait mention de la « nature systématique, méthodologique et préméditée » des attaques contre les Hutus qui se sont déroulées dans chaque localité où des réfugiés furent impitoyablement débusqués et massacrés par les troupes rwandaises associées à l’AFDL. Furent impliquées également d’autres armées comme celles du Burundi, de l’Ouganda ou de l’Angola. Des camps entiers de réfugiés furent détruits. Le témoignage de Mg Laurent Monsengwo, alors archevêque de Kisangani, avant de devenir cardinal, est aussi éloquent : il évoque des milliers de réfugiés massacrés dans les « camps de la mort » aux abords de la ville, à la courbe du Fleuve Congo. Dans « Fuir ou mourir au Zaïre » (2000), Marie-Béatrice Umutesi rapporte ce que fut son calvaire de réfugié dans une odyssée d’un an sur 2.000 kilomètres. Les survivants furent poursuivis et privés d’aide humanitaire. « L’usage extensif d’armes blanches et les massacres systématiques des survivants après la prise des camps démontrent que les nombreux décès ne sont pas imputables aux aléas de la guerre », note le HCDC. Parmi les victimes se comptaient des enfants, des femmes, des personnes âgées et des malades.
Chassés par la peur d’être massacrés à leur tour, 500.000 réfugiés hutus retournèrent dans leur pays, retrouvant leur maison et leur colline, mais plusieurs dizaines, des centaines peut-être, de milliers périrent sans laisser de trace. Le Congo se retrouva alors sous plusieurs tutelles : celle de ses nouveaux alliés et celle des anciens qui du Rwanda continuaient de prélever les ressources du Kivu (20 millions de dollars par mois partirent vers Kigali en 1998). Les zones occupées furent systématiquement dépouillées de leurs ressources. Les stocks de minerais, mais aussi de café, de bois, le bétail et les fonds qui se trouvaient dans les territoires conquis furent transférés vers les deux pays alliés, le Rwanda et l’Ouganda, ou bien exportés sur les marchés internationaux par les « hommes forts » des régimes en place. La « convoitise » était si pressante que les Rwandais et les Ougandais, pourtant associés, en vinrent en août 1999 à se battre férocement à Kisangani dans une débauche de tirs de mortiers et de combats au corps à corps qui n’avaient d’autre motif que le contrôle des diamants de la région. La contrebande du Mandrax (Quaalude), en provenance d’Inde et à destination de l’Afrique du Sud, a également servi à acheter armes et munitions pour poursuivre les combats au Congo. Pour les nouveaux petits despotes, spéculateurs, aventuriers, mercenaires, la persistance de l’insécurité devint le moyen principal d’enrichissement.
Puis, le mode de prédation qui reposait sur le prélèvement des stocks changea. L’on passa progressivement à une phase plus systématique d’extraction et d’exploitation directe des ressources par des commandants, se changeant pour l’occasion en petits entrepreneurs, prenant la haute main sur les mines et les circuits. Une économie de guerre s’est organisée. Elle est toujours présente.
En octobre 2003, le dernier soldat rwandais s’est retiré du Congo. Mais la présence rwandaise dans l’Est n’a jamais cessé, appuyant l’action de groupes armés violents, à l’instar du M23, qui revendiquent d’éradiquer les derniers génocidaires hutus encore cachés dans les collines du Kivu.