ANALYSES

Corée du Nord, printemps 2014 : une diplomatie  » Pyongyang style »

Tribune
31 mars 2014
Dans le même temps, à Pékin… Dimanche 30 mars toujours, dans les locaux pékinois de l’ambassade nord-coréenne débutait une réunion bilatérale de deux jours entre un émissaire de Pyongyang et un diplomate japonais destinée à reprendre langue, après une année de parenthèse, sur le sensible dossier des citoyens japonais enlevés par les agents nord-coréens dans les années 70-80(4). Avec aplomb, l’émissaire nord-coréen invitait en amont de ces échanges son homologue nippon à « démontrer une attitude sincère »(5) … Un avant-propos aussi encourageant que dénué de complexe, alors que Tokyo, deux jours plus tôt, avait laissé entendre qu’en cas d’avancée substantielle sur ce dossier sensible (auprès de l’opinion publique de l’archipel surtout), un allégement progressif des sanctions unilatérales contre le régime nord-coréen pourrait être considéré(6) …

Entre diffusion (des tensions), protection (de Pyongyang) et appel à la raison . Mal à l’aise devant cet énième épisode de tension saisonnière et globalement assez mal récompensées de leurs efforts, les autorités chinoises s’emploient comme elles le peuvent à modérer les ardeurs des uns(7) (comprenez Pyongyang) tout en rappelant aux autres (Séoul, Tokyo et Washington) qu’une ligne rouge, toute condamnable étant l’attitude de Pyongyang, ne saurait être franchie(8). Quitte pour cela à saper quelque peu son crédit auprès de la communauté internationale en tournant les yeux et en misant sur le déni : « L’incapacité de la Commission à bénéficier du soutien et de la coopération du pays concerné (Corée du nord) rend impossible pour la Commission l’exercice de son mandat d’une manière objective et effective » tonna un officiel chinois de la mission diplomatique de Genève le 17 mars(9). Avec un souci évident d’impartialité.

Alors qu’à New York… Samedi 29 mars, au lendemain de la semonce onusienne formulée par le Conseil des Droits de l’homme, Ri Tong-il, l’ambassadeur adjoint nord-coréen aux Nations Unies (New York), faisait savoir qu’aucune possibilité de dialogue bilatérale avec les Etats-Unis n’était à escompter à court terme, la faute naturellement imputée à Washington, cette dernière « ne faisant pas montre de suffisamment de sincérité », condition nécessaire à la tenue de tels échanges…

Salve de missiles, d’amabilités et de menaces envers Washington et Séoul. Début mars, alors que les forces navales sud-coréennes et américaines (VIIe flotte US) s’employaient comme de coutume à roder leur interopérabilité à travers les manœuvres Key Resolve 2014 (du 27 février au 9 mars), l’ombrageuse Pyongyang procéda à une multitude de tirs de missiles (courte portée) et d’obus en mer du Japon / mer de l’Est. « Des actions d’auto-défense », selon le conservateur Rodong Sinmun, lequel justifiait ces dernières par le fait que « les Etats-Unis sont à l’origine des graves provocations et menaces (…). Si les Etats-Unis et leurs laquais tentent de nous provoquer en s’appuyant sur nos tirs légitimes de fusées, il en résultera alors de fortes attaques de représailles ». Ambiance de saison coutumière dans la péninsule.

Reprise des pourparlers à six (suite …). Le 19 mars, dans la capitale nord-coréenne, Wu Dawei, l’officiel chinois en charge de la question nucléaire nord-coréenne était reçu par son homologue pour échanger sur le thème – grippé depuis…fin 2008…- de (l’hypothétique) reprise des Pourparlers à six(10). La première rencontre sur ce sujet depuis la disparition brutale en décembre 2013 de l’ancien n°2 du régime(11) nord-coréen, laquelle avait jeté un froid entre Pékin et Pyongyang. Ainsi que le synthétise avec justesse l’agence de presse sud-coréenne Yonhap, « Depuis le 3e essai nucléaire nord-coréen de février 2013, la Corée du nord a réitéré à de multiples reprises sa volonté de rouvrir les pourparlers à six ‘sans préconditions’, mais Séoul et Washington demandent à Pyongyang qu’elle démontre en premier lieu sa sincérité en prenant des mesures en faveur de la dénucléarisation ». On ne saurait mieux dire ; et pour l’heure attendre en vain.

Pyongyang, contre le ‘’cercle vicieux de la confrontation’’ avec Séoul. Le 26 mars 2014, quatre ans jour pour jour après le drame du naufrage d’une corvette(12) sud-coréenne, la Commission de la Défense nationale nord-coréenne appelait à « mettre un terme au cycle vicieux de la confrontation avec la Corée du sud », tout en niant bien sûr toute implication du nord dans ce regrettable incident. « Le Cheonan s’est brisé en deux morceaux en mer de l’Est pour une raison inconnue(13) »… Le naturel revenant inévitablement au galop du côté de Pyongyang, il ne fallut attendre que deux jours pour retrouver trace d’une logorrhée plus authentique vis-à-vis du voisin méridional, le régime nord-coréen menaçant le 28 mars de « régler ses comptes avec la Corée du sud pour les atrocités commises par la marine sud-coréenne à l’encontre de pécheurs nord-coréens(14) ».

« Occupez-vous de vos affaires » . Dans ce focus succinct tout à la gloire de l’atypique et déroutante diplomatie nord-coréenne de ce début de printemps 2014, le ‘’mot de la fin’’ reviendra haut la main à l’ambassadeur nord-coréen siégeant au Conseil des droits de l’homme. Durant les débats, alors que le principe de la création d’une commission d’enquête internationale visant le régime prenait corps, Son Excellence So Se Pyong résuma en peu de mots le fond de sa pensée et toute l’estime que porte son gouvernement à cette instance onusienne et aux rondeurs des échanges diplomatiques : « Occupez-vous de vos affaires(15) », lança-t-il à ses homologues(16), hilares pour la plupart à l’issue de cette tirade d’une eau des plus rares dans cette enceinte généralement policée. « Il n’existe personne sur terre d’assez stupide pour laisser la porte ouverte à un gangster attaquant avec une épée ». Comprenne qui pourra ; avant de poursuivre : « Cela va aggraver les tensions et rendre les choses plus difficiles ».

Il est vrai qu’en l’état, on peine effectivement au-delà du 38e parallèle à entrevoir des jours meilleurs et à voir en la défiante capitale nord-coréenne autre chose qu’un acteur international peu ou prou dénué de toute sincérité, peu disposé aux concessions, guère recommandable, instable, et à qui, au printemps 2014, il serait bien téméraire de se fier.

(1) Les premiers de ce type réalisés depuis 2009.
(2) En recourant par exemple à une filière uranium, contre une filière plutonium utilisée jusqu’alors (essai de 2006 et 2009 ; incertitude quant à celle de 2013).
(3) Exercice Foal Eagle, du 3 mars au 18 avril ; des manœuvres interarmées menées depuis 2001.
(4) Ces derniers étaient kidnappés dans le dessein d’apprendre aux agents nord-coréens la langue, les us et coutumes des citoyens nippons, pour mieux infiltrer à l’occasion l’archipel.
(5) ‘‘N. Korean envoy calls for ‘serious attitude’ in talks with Japan’’, Yonhap, 30 mars.
(6) ‘’Japan may ease sanctions on DPRK if progress made on abduction issue’’, Xinhua, 28 mars.
(7) ‘’China calls for easing tensions after N. Korea’s missile tests’’, Yonhap news agency, 26 mars.
(8) ‘’China will never allow war or instability on Korean peninsula: FM’’, Yonhap news agency, 8 mars.
(9)‘’China rejects North Korean crimes report, hits hope of prosecution’’, Reuters, 17 mars.
(10) Les deux Corées, les Etats-Unis, la Chine, le Japon et la Russie.
(11) Jang Song-taek, oncle de Kim Jong-un, figure appréciée de Pékin depuis de longues décennies.
(12) Le Cheonan, intervenu après qu’une torpille nord-coréenne ait envoyé par le fond le bâtiment, faisant une cinquantaine de victimes parmi les hommes d’équipage.
(13) ‘’DPRK calls for end of confrontation, probe into S. Korean Cheonan warship sinking case’’, Xinhua, 26 mars.
(14) Trois pêcheurs nord-coréens pourtant a priori moins meurtris qu’il n’y parait et rapatriés par la marine de Séoul du côté nord-coréen de la frontière maritime disputée après qu’une avarie de moteur les ait fait dériver.
(15) ‘’Mind your own business, North Korea tells envoys demanding U.N. action’’, Reuters, 28 mars.
(16) Ce Conseil comprend 47 pays membres ; 30 ont voté en faveur de la résolution ; 6 contre ; 11 se sont abstenus. A noter que dans le rapport de la commission d’enquête, cette dernière avisa directement Kim Jong-un qu’il pourrait être tenu personnellement responsable devant la Cour Pénale Internationale pour les crimes contre l’humanité commis par les institutions et autorités relevant de son autorité.


 
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