18.11.2024
Le Japon met la force amphibie au cœur de sa défense
Tribune
10 mars 2014
Au-delà de la question des Senkaku, le développement d’une force amphibie japonaise s’inscrit plus généralement dans un contexte de course aux armements navals, y compris amphibies et liés aux nombreux différends territoriaux non résolus (4) de la région.
Le rôle de l’amphibie face aux menaces
La volonté de Tokyo de se doter d’une force amphibie a une signification forte, notamment et surtout vis-à-vis de la Chine. En effet, « l’acquisition par un Etat d’une force de projection amphibie est un geste symbolique fort. Dans le cadre d’une mission humanitaire, de coercition ou de défense active, l’engagement d’une force amphibie marque un palier supplémentaire par rapport à l’engagement d’avions de combat : il montre la détermination d’un Etat. » (5)
L’évolution doctrinale japonaise récente prend en compte tant la menace chinoise que la nécessité de pouvoir adresser un message et une réponse forts à la Chine. Elle s’incarne dans le programme 2010 des Lignes directrices du programme de défense nationale (National defense program guidelines ou NDPG), qui fixent les orientations de la Défense japonaise. Ainsi, la défense statique héritée de la Guerre froide cède le pas à la défense dynamique . L’accent est mis sur le caractère opérationnel des forces et sur le basculement de la menace qui provient non plus de la Russie mais de la Chine et de la Corée du Nord. Ce concept est concomitant d’une « réarticulation » du dispositif de Défense japonais du Nord de l’archipel vers le Sud (chaîne d’îles d’Okinawa), afin de contrer les ambitions de la Chine dans la zone et notamment sur les îles Senkaku/Diaoyu. Trois piliers soutiennent cette évolution : les capacités de renseignement et de surveillance, les capacités de réaction et enfin les capacités de mobilisation et de déploiement (6). Le 17 décembre 2013, le Japon adopte de nouvelles NDPG (7) qui modifient le concept de défense dynamique qu’elles remplacent par celui de défense mobile intégrée . Cette nouvelle stratégie accroît l’importance de l’intégration et de la mobilité des forces, dont la capacité de projection est une priorité.
Le NDPG 2013 est très clair à ce sujet : « les FAD accorderont la priorité à assurer la supériorité maritime et aérienne, ce qui est la condition préalable pour la dissuasion et une intervention efficace dans diverses situations, (notamment) dans la région du sud-ouest » (8). En réponse à une attaque sur les îles éloignées de l’Archipel nippon, « les FAD élaboreront une capacité amphibie complète, pour débarquer, récupérer et sécuriser sans délai, en cas d’invasion, n’importe lesquelles des îles éloignées. » (9) En effet, « l’attrait principal de l’amphibie réside dans sa souplesse : grâce à lui, le décideur politique dispose d’un outil lui permettant d’exercer à la fois une influence prépondérante dans le cadre d’une coalition et de répondre de manière graduée à des crises d’intensités et de modalités variables » (10) .
La création d’une force amphibie devient donc un élément essentiel des forces japonaises.
Un concept très exigeant
Complexe et dangereuse, une opération amphibie nécessite une préparation fine et méthodique afin de marginaliser le phénomène de friction.
Le concept d’opération amphibie a peu à peu évolué notamment sous l’influence des Etats-Unis qui ont développé une doctrine appelée « Ship To Objectif Manoeuver (11) ou STOM » (12) et combinant les manœuvres « d’enveloppement vertical » et « d’assaut par-delà l’horizon ». Il s’agit d’atteindre directement l’objectif par une action rapide combinant divers moyens provenant de différents milieux afin de bénéficier du phénomène de surprise et de rendre la défense de l’adversaire plus difficile. L’accent est mis sur l’aéromobilité, mais les moyens engagés s’en trouvent cependant limités. Le concept STOM repose sur le triptyque hélicoptères et appareils hybride V-22 Osprey , véhicules amphibies, et véhicules de débarquement montés sur coussins d’air ou LCAC. L’ensemble est mis en œuvre depuis un porte-hélicoptère, véritable capital ship (13), qui est chargé de coordonner l’action et agit comme centre de commandement.
Si ce nouveau concept semble peu se prêter aux opérations de grande ampleur, il correspond idéalement à l’ambition japonaise de reprise d’une île par la force, d’autant que le pays possède d’ores et déjà les bâtiments spécialisés : 3 navires de classe Osumi , désignés officiellement comme un Landing Ship Tank (LST) mais se rapprochant de la définition du Landing Ship Dock (LSD) (14), et 2 (destroyers) porte-hélicoptères de classe Hyuga , secondés dès 2015 par la classe Izumo aux dimensions supérieures. Les classes Hyuga et Izumo ne disposent pas de radier, à la différence de la classe Osumi . Cette dernière peut mettre en œuvre 4 à 6 hélicoptères SH-60J et CH-47 (15) tandis que la classe Hyuga peut emporter jusqu’à 11 hélicoptères moyens (16) et Izumo (17) pourrait mettre en œuvre 14 appareils dont des V-22 Osprey . Le triptyque Hélicoptère / véhicule amphibie / et LCAC est également mis en œuvre via 4 véhicules amphibies AA7V (18), une flotte d’hélicoptères et d’appareils hybrides V-22 et 6 LCAC achetés en 1994 aux Etats-Unis.
L’achat de matériel américain facilite la capacité des deux armées à inter-opérer ce qui permet au Japon de développer ses compétences et son autonomie dans le domaine de l’amphibie. Afin de le maîtriser en propre, les FAD multiplient les exercices et développent une collaboration avec l’USMC depuis 2013 traduisant une véritable évolution doctrinale (19).
A travers le développement de cette nouvelle capacité, le Japon enrichit le panel de réponses à opposer aux revendications chinoises, et poursuit son évolution vers une normalisation militaire qui rapproche, par étapes, son armée de celle des pays occidentaux.
(1) Lire notamment : Edouard Pflimlin, ‘Quand Tokyo envoie des troupes en Californie pour améliorer ses capacités amphibies‘, Affaires stratégiques, IRIS, 19 juin 2013
(2) « Les îles Senkaku », Ministère des Affaires étrangères du Japon, décembre 2012
(3) Guillaume Garnier, « Le pari de l’amphibie : risque tactique, influence stratégique », Focus stratégique, n° 46, septembre 2013, IFRI, p.48
(4) Louis-Arthur Borer, Edouard Pflimlin, « Le développement des forces amphibies en Asie. Un indicateur stratégique », Revue de défense nationale, Décembre 2013, n° 765, p.60
(5) Louis-Arthur Borer, Edouard Pflimlin, « Le développement des forces amphibies en Asie. Un indicateur stratégique », Revue de défense nationale, Décembre 2013, n° 765, p.58
(6) Tomohiko Satake, « Japan Security Outlook in 2011 : toward a more ‘dynamic’ posture », NIDS Security Outlook of the Asia Pacific Countries and Its Implications for the Defense Sector, chap.7
(7) National Defense Program Guidelines for FY 2014 and beyond (SUMMARY)
(8) Ibid, p.5.
(9) Id, p.8.
(10) Guillaume Garnier, « Le pari de l’amphibie : risque tactique, influence stratégique », Focus stratégique, n° 46, septembre 2013, IFRI, p.10
(11) « Amphibious opération in the 21st century », Marines Corps Combat Development Command, mars 2012, p.9.
(12) Joseph Henrotion, Les fondements de la stratégie navale au XXIe siècle, Paris, Economica, 2011, p.367.
(13) Ibid, p.160.
(14) Navire militaire de transport équipé d’un radier immergeable par lequel des chalands de débarquements sont mis en œuvre.
(15) http://www.globalsecurity.org/military/world/japan/osumi.htm
(16) http://www.globalsecurity.org/military/world/japan/ddh-x.htm
(17) http://www.navyrecognition.com/index.php?option=com_content&task=view&id=1182
(18) Koji Sonoda, « Defense Ministry preparing japanese version of US Marines », Asahi Shimbum, 21 août 2013
(19) James Hardy, « Japan’s Navy : sailing towards the future », The Diplomat, 21 janvier 2013