20.12.2024
Le point de vue tchèque sur la crise ukrainienne
Tribune
6 mars 2014
La crise de Crimée, un rappel des heures les plus sombres de l’histoire de la République tchèque
Bien sûr comparaison n’est pas raison, mais de nombreux politiques, médias, chercheurs, dont J. Rupnik (Professeur au Collège de l’Europe à Bruges entre autre), établissent un parallèle entre les derniers évènements en Crimée et les années 1938, 1968 et 1989 en République tchèque :
– 1938 car la situation de la Crimée rappelle aux Tchèques le cas des Sudètes, quand La Russie a en effet justifié le déploiement des troupes russes afin de protéger les ressortissants russes de la région, comme l’a fait Hitler à chaque fois qu’il voulait protéger les Allemands présents dans un pays qu’il voulait envahir, ce qu’il appelait « l’aide fraternelle ». Les réactions de l’UE et des Etats Membres concernant la crise ukrainienne selon certaines personnalités tchèques font écho à 1938 par rapport aux accords de Munich, qui ont laissé la Tchécoslovaquie aux mains des nazis, après quoi Churchill avait déclaré à Chamberlain « Vous aviez à choisir entre la honte et la guerre, vous avez choisi la honte, et vous aurez la guerre ».
– « Les forces armées de la Fédération russe assurent sur le territoire ukrainien la normalisation de la situation politique et publique dans le pays » (à l’appel du président du parlement de Crimée). Cette formulation des autorités russes est quasi mot pour mot la même que celle des Soviétiques en 1968 « sur le séjour temporaire des troupes » attendant la normalisation de la Tchécoslovaquie : cette occupation « temporaire » dura 20 ans.
– La « révolution ukrainienne » à Kiev, avant la répression de l’Etat, a été pacifique, tout comme la révolution de velours en 1989 ; toutefois, on peut y voir deux différences majeures ; les Tchécoslovaques se sont soulevés contre le communisme, les Ukrainiens contre le postcommunisme ; la deuxième différence est qu’en Ukraine, il y a une absence d’élite démocratique issue du mouvement de protestation capable d’incarner le changement et ayant la confiance des concitoyens, comme l’était notamment Vaclav Havel.
Pour ces raisons, selon le ministère des Affaires étrangères tchèque, « la République tchèque ne peut pas se taire ». Des journalistes cependant mettent en évidence les réactions différentes de l’UE soutenant les opposants à Kiev et condamnant les pro-russes se mobilisant contre le renversement du pouvoir.
Les conséquences économiques de la crise ukrainienne sur la République tchèque et ses rapports avec la Russie
Le taux de dépendance énergétique de la République tchèque est relativement bas (25,6% en 2012, alors que la moyenne européenne est de 54%, et de 48,9% pour la France). Toutefois, la République tchèque comme d’autres pays d’Europe centrale et orientale tels que la Hongrie, la Bulgarie, reste très dépendante de l’énergie russe : 70% du gaz est importé de Russie via le South Stream passant par l’Ukraine, de même que pour le pétrole (70%) et les combustibles nucléaires (100%). Plus de la moitié de la consommation énergétique est donc étroitement liée aux importations venues de Russie. A ce titre, la crise en Ukraine pourrait fortement affecter l’économie tchèque. Le premier ministre B. Sobotka lors du Conseil de sécurité national a tout de même assuré que les réserves du pays étaient assez importantes pour tenir trois mois, une période suffisante pour trouver de nouvelles sources d’approvisionnement – ce qui semble tout de même assez peu crédible. Par ailleurs, les Russes, de par leur agissement en Ukraine et la violation du droit international, ont diminué leur chance de remporter l’appel d’offre de l’extension de la centrale nucléaire de Temelin (un gros contrat), les Tchèques invoquant un haut risque sécuritaire stratégique. Aussi, la Banque tchèque d’Investissement a décidé d’interrompre ses investissements en Ukraine (d’une valeur relativement modeste de 80 millions d’euros).
Le rôle de la République tchèque dans le rapprochement de l’Ukraine vers l’UE
La République tchèque, en tant que partie prenante du groupe Višegrad (V4), a un rôle important dans le développement du partenariat oriental de l’UE (accord d’association que l’UE a conclu avec l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Moldavie, l’Ukraine, et la Biélorussie, le 7 mai 2009 à Prague). Les pays du V4 sont les Etats membres les plus géographiquement et historiquement proches des pays du partenariat oriental (anciens pays du bloc communiste). L’objectif principal de cet accord est de coopérer sur quatre domaines : la démocratie, l’intégration économique et la convergence avec les politiques européennes, la sécurité énergétique, le lien entre les peuples. Le Fond International de Višegrad finance de nombreux projets notamment académiques et culturels en Ukraine. A terme, l’objectif semble être l’élargissement et l’adhésion de ces pays au sein de l’UE. L’accord d’association refusé par Ianoukovitch sous la pression des Russes était un approfondissement du partenariat oriental en question. Ce dernier est pour les Tchèques toujours « sur la table » et pourrait être signé à l’issue des élections en Ukraine prévues en mai.
La République tchèque, comme l’ensemble des membres du V4 depuis la création de ce groupe informel (1991) avait pour objectifs principaux leur adhésion à l’OTAN et l’UE, chose faite pour les quatre Etats depuis 2004. Ces derniers, de par leur histoire, ont toujours été « euro-atlantistes » et pour une participation active au sein de l’OTAN. A l’instar de ses homologues des Etats Membres de l’UE, M. Zaoralek a eu une position ferme critiquant les actions de la Russie mais insistant sur la reprise des négociations. Le dimanche 2 mars, il a convoqué l’ambassadeur de Russie lui indiquant qu’il considérait l’action de la Russie comme « absolument inadéquate et agressive », […], « d’une démarche absolument injustifiable en complète contradiction avec les principes de l’OSCE, qu’il s’agit d’une violation grave de la Charte de l’ONU et du mémorandum de Budapest de 1994 ». Il constate que le seul moyen d’action de la communauté internationale (dont l’UE) est la négociation diplomatique : même si l’OSCE et l’OTAN, selon lui, auraient la possibilité d’intervenir militairement, sans le souhaiter pour autant. M. Zaoralek met en garde contre le fait que la Crimée pourrait devenir un « conflit gelé », souligne que l’usage de la force, exclu pour les Européens, se retournerait à terme contre la Russie, qui « si elle utilisait des méthodes brutales du XIXème siècle ou du Moyen-Âge pourrait perdre une partie de sa force d’attraction. »
Toutefois, le ministre reconnait l’importance pour Kiev et la place Maïdan de revenir « à une vie normale, de se remettre au travail », pour éviter que les milices continuent d’opérer dans les rues et créent des révolutions permanentes. De plus, il exhorte le nouveau gouvernement à s’attaquer aux problèmes de la corruption afin de ne pas décevoir les aspirations aux changements nées de la révolution, dans le but d’assurer le bon fonctionnement de l’Etat et sauvegarder son unité territorial. Le ministre considère, en comparant le volume d’aides des différents pays et organisations internationales, que seul le FMI est en mesure de relever le défi.