18.11.2024
Repenser le problème nord-coréen
Tribune
26 février 2014
L’initiative est venue de Pyongyang, par le biais d’une lettre officielle communiquée fin janvier appelant à la fin des actions militaires hostiles entre les deux pays, et faisant écho aux vœux de Kim Jong-un début 2013 (avec le résultat que l’on connaît…). Consciente de l’intérêt à rétablir le dialogue et retrouver une place dans la relation intercoréenne (occupée de manière parfois envahissante par Washington d’un côté et Pékin de l’autre), la Corée du Sud a tout intérêt à donner suite à cet appel à l’apaisement. Au niveau des échanges économiques, au point quasi mort, Séoul sait que l’ouverture de son voisin peut se faire à son avantage. Au niveau sécuritaire, il va de soi qu’un apaisement des tensions est souhaitable et, à ce titre, la posture ferme de Lee Myung-bak fut un échec, Park Geun-hye se montrant pour sa part plus ouverte lors de sa campagne électorale victorieuse. Au niveau des structures enfin, de nombreuses plateformes ont été créées ou renforcées pendant la période de Sunshine policy , au début des années 2000, et doivent aujourd’hui soit être réactivées, soit tout simplement disparaître. On pense notamment au ministère de l’Unification, un nom bien pompeux et ambitieux pour une institution devenue totalement obsolète en l’absence de dialogue, et désireuse de retrouver un crédit, et les fonds qui vont avec. Bien entendu, il convient de rester méfiant face aux jeux de dupes de Pyongyang, mais l’important ici est la manière dont Séoul a choisi de changer sa manière de traiter son voisin, quitte à semer le trouble au sein de Saenuri, le parti conservateur au pouvoir, où cohabitent réformateurs et conservateurs très hostiles à la Corée du Nord, voire va-t-en-guerre.
A l’opposé de ces relatives retrouvailles intercoréennes, l’autre évènement est la présentation d’un rapport de l’ONU sur le système concentrationnaire nord-coréen et les atrocités commises par le régime depuis six décennies. La commission chargée de l’enquête, dirigée par l’australien Michael Kirby, a rendu un verdict sans appel, mettant l’accent sur le nombre impressionnant de personnes internées (estimé entre 80.000 et 120.000) dans les camps de travail et les conditions de vie qui y sont intolérables. Le rapport pointe même du doigt une volonté délibérée des autorités nord-coréennes visant à affamer les détenus (ce qui est discutable). Kirby est allé loin lors de la remise du rapport, en comparant les crimes du régime nord-coréen à ceux des nazis, au risque de décrédibiliser son contenu (à moins qu’il ne s’agisse d’une « réponse » aux récentes comparaisons douteuses entre le Premier ministre japonais Shinzo Abe et Adolf Hitler, en provenance de… Pyongyang !). Pour autant, l’important n’est pas tant la rhétorique du responsable de la commission, sans doute excessive et visant à faire le buzz, ni même le contenu du rapport (qui ne surprend personne, soyons clair), mais l’absence de toute référence au programme nucléaire nord-coréen. Enfin, serait-on tenté de faire remarquer, l’ONU s’intéresse à la Corée du Nord sans se focaliser sur son programme nucléaire, illicite et préoccupant, mais dont il est nécessaire de se détacher pour cibler les vrais problèmes que la population nord-coréenne rencontre ainsi que la responsabilité des autorités dans ces problèmes. Ce fut d’ailleurs la réaction de l’ONG Human Rights Watch, consciente sans doute qu’une attention trop forte portée sur le dossier nucléaire ne règle aucun problème et, dans le même temps, détourne l’attention des questions les plus sensibles.
Nous pouvons ainsi considérer que pour la première fois depuis la guerre de Corée, le régime de Pyongyang est officiellement présenté comme criminel par l’ONU, et non plus uniquement comme un Etat ne respectant pas ses engagements en matière de non-prolifération. Une évolution plus que notable et qui est révélatrice des changements dans la manière de traiter ce régime. Sans surprise, Pyongyang a rejeté ces accusations, Pékin également…