ANALYSES

Le programme européen de l’IRIS contre la corruption sportive : les premiers enseignements à mi-chemin

Tribune
6 février 2014
La première d’entre elles concerne l’expansion du phénomène de corruption sportive si l’on se réfère aux multiples scandales, rumeurs, procès qui sont révélés chaque semaine en Europe ou qui nous sont communiqués à l’occasion de ces séminaires. La veille de notre séminaire autrichien, un scandale impliquant un ancien joueur de football de l’équipe nationale et quasiment tous les clubs de première division a ainsi éclaté, renforçant la médiatisation et la représentation lors des débats.

En constatant les conséquences de ces affaires sur l’image et la crédibilité du sport professionnel, la raison d’être du programme IRIS se retrouve d’autant plus légitimée. Si aucune discipline sportive ou pays n’est épargné, il faut toutefois souligner la grande hétérogénéité des expériences nationales. Dans certains pays, le crime organisé est directement impliqué au sein du monde sportif; dans d’autres, il s’agira plutôt d’athlètes qui décident de leur propre chef de truquer des rencontres. On ne peut donc pas penser la lutte contre la corruption sportive de la même façon dans tous les pays et il est nécessaire d’adapter nos présentations à chaque contexte.

Pour autant, dans chaque pays visité les autorités sont conscientes de l’existence du problème et avides d’informations sur les techniques utilisées par les criminels et sur le fonctionnement du marché des paris sportifs, qui est le financeur de la corruption. En retour, chaque séminaire permet également de recueillir des informations sur les vulnérabilités inhérentes au monde sportif dans différents pays. La seconde partie des séminaires est dédiée aux mesures prioritaires à mettre en place si besoin : établissement de règles et sanctions disciplinaires, éducation des joueurs, adaptation des législations nationales, moyens d’enquêtes et coordination internationale. Les autorités sont particulièrement curieuses d’exemples de modèle de mobilisation nationale. Nous en développons plusieurs, parmi eux le « plan d’action » norvégien ou l’action de coordination menée par le Comité Olympique National et la Confédération des sports au Danemark.

Car le véritable enjeu de ces séminaires se trouve ici : permettre à l’ensemble des acteurs concernés de se réunir et d’échanger sur les mesures mises en place au niveau national et les prochaines étapes à suivre pour protéger l’intégrité sportive. Pour de nombreux pays, ce type de séminaire est le premier du genre et permet d’enclencher une dynamique de mobilisation. Par exemple, en Hongrie, notre séminaire été l’occasion d’échanges entre la loterie hongroise, la fédération nationale de football et l’association des joueurs professionnels de football. Ces échanges ont conduit à la préparation d’un séminaire d’éducation des joueurs de football sur la thématique des matchs truqués, ainsi qu’à la négociation d’un accord de coopération entre la loterie et la fédération. En Suède, à la suite de notre séminaire, la Fédération de football et la Confédération des sports ont chacune décidé de recruter une personne en charge de l’intégrité. Autre exemple en Slovaquie, où la mobilisation était quasi inexistante, les participants se sont concertés pour proposer une nouvelle législation sur le sport au niveau gouvernemental. En République tchèque la Confédération des sports et la Fédération de football ont utilisé le séminaire IRIS pour annoncer la mise en place d’un plan d’action national sur le modèle norvégien.

De plus, nous veillons à effectuer un suivi des avancées et des mesures prises dans chaque pays, afin de pouvoir établir, au terme du programme, un panorama complet de la lutte contre la corruption au sein de l’Union européenne. Cette base pourra être utile à la Commission européenne si elle décide d’établir un cadre harmonisé de politiques de protection d’intégrité du sport. Car si notre programme se recentre sur l’échelon national en tant que niveau prioritaire d’action, la coordination internationale est essentielle. D’ailleurs, ces premiers séminaires ont permis de soutenir les négociations en cours au Conseil de l’Europe en vue d’une éventuelle Convention internationale. La quasi-totalité des pays visités y sont favorables. Certains d’entre eux, comme la Slovaquie ou la Slovénie étaient très demandeurs d’informations sur le contenu et les perspectives de signature de la Convention. Notons qu’après une dernière série de négociations les 21-22 janvier dernier, le texte a été transmis au niveau ministériel et qu’il sera ouvert à signature des États à l’automne prochain.

Les prochains séminaires IRIS seront l’occasion de découvrir de nouvelles spécificités nationales et de nouvelles approches de la lutte contre les réseaux criminels, de la régulation des paris ou de l’organisation du sport. Malte (séminaire le 14 février), où l’industrie des jeux en ligne représente près de 10% du PIB, est un fervent promoteur de la libéralisation des jeux sur la scène européenne. Simultanément, un scandale impliquant la sélection nationale maltaise de football est venu démontrer jusque dans cette petite île de 400 000 habitants les effets pervers potentiels du marché des paris sportifs lorsqu’il est mondialisé et peu régulé. En Italie (25 février), il s’agira de recueillir les leçons héritées d’années de lutte contre le crime organisé et des affaires judiciaires récentes dans le football ( Calcioscommese ). Le séminaire en France (27 mars, au siège de l’IRIS) permettra aux autorités sportives et publiques françaises de faire le point sur l’efficacité des actions mises en place depuis 2010, et favorisera une coopération qui manque encore au modèle français de lutte contre la corruption sportive.

Au-delà de la réponse à une menace concrète sur l’éthique sportive, la mobilisation des autorités sportives et publiques permet en filigrane d’aborder l’épineuse question de la « gouvernance du sport ». Depuis vingt ans, le sport professionnel a connu une expansion sans précédent qui a provoqué un écart croissant entre une poignée de compétitions brassant des revenus extraordinaires et une majorité de compétitions dont l’économie reste précaire. Le mode de gouvernance du sport, dilué entre les structures nationales, européennes et internationales et figé autour du principe d’autonomie sportive, n’a pas su s’adapter aux évolutions de ces dernières années, compromettant sa capacité à répondre aux dérives qui touchent actuellement le sport moderne.

AGENDA DES SÉMINAIRES

*Une première version de cet article a été publiée dans la revue Sport et Citoyenneté n°25 (janv. 2014), à l’occasion d’un dossier spécial ‘Intégrité et valeurs du sport’.
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