ANALYSES

Une loi pour le développement et la solidarité internationale

Tribune
31 janvier 2014
Pourquoi une loi ?

Pour la première fois, les orientations de la politique française de développement seront inscrites dans la loi. Ce cadre est nécessaire pour inscrire la politique de développement dans un monde en bouleversement. Même si les deux dernières décennies ont été marquées par des progrès majeurs, un milliard et demi de personnes continuent de vivre avec moins d’un dollar par jour. La pression sur l’environnement par les modèles actuels de développement les rend insoutenables à court terme et risque de remettre en cause les avancées réalisées.
La LOP doit permettre de créer une certaine intangibilité, tant dans les objectifs que dans les méthodes. Le projet comprend un ensemble de dispositions législatives et un rapport annexé qui présente la vision d’ensemble, et notamment les priorités sectorielles et géographiques de la politique française.


Comment a été conçue cette loi ?

Saluons d’abord l’important effort de concertation qui a présidé à l’élaboration de ce texte. Les choix ont été préparés lors des Assises du développement et de la solidarité internationale qui ont réuni de novembre 2012 à mars 2013 les acteurs français (parlementaires français et européens, élus locaux, représentants des organisations non gouvernementales, des syndicats de salariés et d’employeurs, des établissements de recherche et d’enseignement supérieur, des entreprises et des fondations et représentants des administrations).

Que contient-elle ?

La LOP reprend les thèmes du développement durable autour des grands domaines : la promotion de la paix, de la stabilité, des droits de l’Homme, de l’égalité entre les hommes et les femmes; l’équité, la justice sociale et le développement humain; un développement économique durable et riche en emplois.

Elle préconise une intervention dans dix secteurs : santé et protection sociale ; agriculture et sécurité alimentaire et nutritionnelle ; secteur privé, secteur financier et promotion de la responsabilité sociale et environnementale ; développement des territoires ; environnement et énergie ; eau et assainissement ; gouvernance et lutte contre la corruption ; mobilité et migrations ; commerce et intégration régionale. Tout y est, ou presque !
Le projet de loi présente également quelques précisions utiles, en particulier sur la nécessité de veiller à la cohérence entre les différentes politiques publiques et la politique en matière de coopération au développement. On pense en particulier aux politiques commerciale, agricole et de migration.
La « différenciation des partenariats », en fonction du niveau de développement, de la géographie, de l’histoire de la culture et de la langue, avec une concentration des dons vers les pays les plus pauvres et les pays en crise ou en situation de fragilité, est un concept clé de la loi. Il permet de réserver un sort particulier aux pays les plus pauvres, bénéficiaires priorités de l’aide classique.
Il faut aussi se féliciter des efforts de transparence proposés par la loi. La coopération au développement est une activité qui relève du débat public. La LOP prévoit une relance de la communication sur le développement international et la coopération, en insistant sur l’impératif de solidarité, mais aussi sur l’importance des enjeux du développement international pour la France et l’Europe.

Que ne contient-elle pas ?

La LOP a cette vertu de reconnaître qu’il faut sortir de la logique du guichet et s’inscrire dans la durée,- « le développement c’est le temps long » – dans une démarche contractuelle.
Mais l’exercice rencontre rapidement ses limites. Les montants alloués par la France sont de plus en plus modestes et permettent au mieux une présence symbolique, qui ne lui permet pas, dans de nombreuses circonstances, de siéger à la table des grands donateurs où se discutent les politiques d’aide aux pays pauvres et fragiles et où se gèrent des montants représentant environ 10 % de leurs PIB. Cette faiblesse répercute aussi sur les ressources mises à la disposition des ONGs dont le montant ridicule au regard de ce qu’elles ont dans les pays de l’OCDE ne leur permet pas de croître et de se professionnaliser.
L’absence de précisions sur les ressources publiques (avec aucune référence au fameux 0,7% du PIB, véritable incantation depuis 1981) retire tout aspect « programmation » à la loi malgré son intitulé. Certes, il ne faut pas tomber dans la tyrannie des engagements chiffrés. Pourtant, la référence au montant relatif de l’APD demeure pour la France un enjeu international, un indicateur de son engagement sur le terrain du développement, un témoignage de la réalité tangible de ses alliances.
Il faudrait « sanctuariser » les moyens pour donner de la crédibilité au projet. La proposition suivante pourrait être faite : obtenir une APD à 0,5 % du PIB (comme une étape allant dans le sens de nos engagements internationaux). L’infléchissement dans ce sens pourrait être engagé dans le projet de loi de finances 2015 et la mesure pourrait être étalée sur le temps de la programmation.

Qu’attendre de cette loi ?

La LOP n’insiste probablement pas assez sur la nécessité de mettre en avant l’intérêt mutuel à coopérer. La démarche caritative n’est plus appréciée des pays bénéficiaires. Dans le même temps, il faut s’appuyer sur les vrais acteurs du changement : intellectuels, universitaires, élus locaux, responsables d’associations, membres de groupements professionnels, entrepreneurs, journalistes, artistes…
Le projet de loi ne dit rien ou presque sur un point souvent soulevé dans tous les audits de l’aide française : la confusion des rôles. Comment clarifier les rôles respectifs des administrations publiques (Ministère des Affaires étrangères, Bercy, autres ministères et établissements publics) ? Comment identifier de manière plus précise les divers autres acteurs contribuant aux actions de développement (collectivités locales, entreprises publiques et privées, syndicats, associations de solidarité, universités, centres de recherche, etc.) et préciser leurs rôles complémentaires ?

Le projet de LOP n’indique pas clairement les modalités de collaboration de la France avec les institutions internationales et européennes

Le poids de l’aide française transitant par Bruxelles est de l’ordre de 20%. Malgré cela, l’influence de la France à Bruxelles a beaucoup décru depuis une décennie.
Ses contributions multilatérales sont très inégalement efficaces. Il faudrait être plus sélectif dans les transferts aux institutions onusiennes sur des critères de pertinence, d’efficacité et de concordance avec les intérêts français. De ces points de vue, des questions se posent sur le PNUD, la FAO, l’UNICEF, le Fonds mondial Sida, tuberculose et paludisme… Un audit global devrait être annoncé avec des mesures évitant le saupoudrage, avec des redéploiements, voire des retraits.
La France a-t-elle encore les moyens et la volonté d’être un acteur crédible de la coopération dans les pays pauvres et fragiles et/ou les secteurs du développement humain et de la gouvernance qui supposent des subventions? A l’évidence, le doute est permis. Tout passe par le canal européen et multilatéral. Ce pourrait être un choix légitime s’il était le résultat d’une décision politique assumée, s’il n’était pas seulement le résultat ex post d’ajustements budgétaires successifs aveugles où prêts et contributions multilatérales sont protégés pour des raisons essentiellement de mécaniques budgétaires et de programmation.
La politique française de développement restera liée à ses engagements internationaux, notamment autour des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). 2015 sera l’année du bilan de ces OMD. Il faudra certainement veiller à garder les atouts d’objectifs consensuels et quantifiables mais sans répéter les limites des OMD : focalisation sur les symptômes et non sur les causes de la pauvreté, manque de moyens pour leur réalisation, manque de cohérence impliquant des promesses de financement favorisant l’un au détriment de l’autre, manque d’adaptation aux situations spécifiques des pays et manque de vision de long terme et d’objectifs liés à leur pérennité. Tel est l’enjeu de l’agenda post-2015 et des nouveaux Objectifs de développement durable (ODD) qui les remplaceront.
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