ANALYSES

Cinquante ans de relations diplomatiques… mais encore ?

Tribune
29 janvier 2014
Depuis longtemps sans différend territorial avec la Chine, la France sut se faire une place auprès de la direction chinoise dès les années soixante-dix, à une époque où le régime communiquait peu avec le monde extérieur – une partie du Bloc socialiste exceptée. Parmi les pays occidentaux, la France et son indépendance d’esprit plaisaient aux dirigeants communistes chinois, à une époque où les conflits idéologiques nationaux prenaient le pas sur toute considération de politique étrangère. Ce n’est pas par hasard si la première visite ministérielle française en Chine fut celle du ministre de la culture André Malraux, en 1965. Les dix années suivantes seront marquées par la Révolution culturelle et la diminution des contacts chinois avec le reste du monde. Le président Georges Pompidou visitera la Chine en 1973 mais le contexte n’était pas à une collaboration très soutenue.

Avec le lancement de la politique de la « porte ouverte » sous l’égide de Deng Xiaoping dès 1978, le dialogue franco-chinois a d’abord pris la forme de visites ministérielles. A partir de 1980, date de la visite de Valéry Giscard d’Estaing, tous les présidents français visitèrent la Chine par la suite, l’apothéose revenant sans conteste à Jacques Chirac qui, ouvrant largement aux visiteurs chinois les portes des palais de la République, n’a pas forcément récolté les fruits de sa moisson**. Les gouvernements successifs jouèrent les messieurs bons offices auprès de leurs collègues européens – en particulier ceux du Bénélux et de l’ex-République fédérale d’Allemagne, avant que cette dernière établisse à son tour une ambassade et fusionne, finalement, avec l’ex-ambassade de RDA à Pékin en 1990. La stratégie européenne de la Commission européenne, amorcée dès 1985 et qui pris la forme d’une communication en 1995 s’inspirait en partie des conseils français.

Parallèlement, les grandes entreprises françaises commencèrent à prendre le chemin de Pékin , dans des domaines aussi variés que l’énergie (Lyonnaise des Eaux devenue Suez ; EDF ; Framatome devenu Areva ; Alstom), les transports urbains (Alstom), la grande distribution (Carrefour), les télécoms (Alcatel), l’automobile (Peugeot-Citroën)… aboutissant à des contrats « d’Etat à Etat », souvent garantis par des crédits Coface pour des groupes qui n’en avaient pourtant guère besoin mais bénéficiaient de la générosité jacobine d’un Etat soucieux d’apparaître au devant de la scène vis à vis de Pékin. C’est une pratique appréciée de la Chine, d’autant que certains groupes industriels européens ont su, dans les années 1980 et 1990, utiliser la générosité de la plupart des gouvernements (Italie, Pays-Bas, Allemagne, Belgique, Espagne…) pour faire avancer leurs investissements à une époque où la Chine avaient de grands besoins d’infrastructures.

En 2014, l’esprit a changé. La Chine connaît depuis plus de trente ans une croissance économique à deux chiffres et, après avoir été longtemps l’usine du monde occidental, se dote progressivement de champions technologiques ou industriels dont les produits débarquent sur les marchés occidentaux. Le fabriquant électro-ménager Haier est devenu numéro un mondial. Le groupe Geely a racheté le constructeur automobile Volvo. Quant à Lenovo, après avoir acquis la division PC d’IBM en 2004, il a annoncé la semaine dernière avoir racheté au même groupe américain sa division System X pour 2,5 milliards de dollars, attirant ainsi dans son escarcelle 7500 ingénieurs supplémentaires. Lenovo est aujourd’hui N°1 mondial du PC. Aujourd’hui, la Chine –devenue deuxième puissance commerciale mondiale- veut des partenariats « win win », et l’apport de crédits ne lui suffit plus, comme en attestent la présence d’une usine Airbus à Tianjin, ou la saga du nucléaire civil franco-chinois.

Cinquante ans après l’établissement des relations diplomatiques, force est de constater que l’Etat français n’a plus ni crédits protocolaires, ni baguette magique. Certes, il existe de nombreuses coopérations dans les domaines éducatifs et culturels mais le public chinois semble avoir été davantage séduit par les sirènes hollywoodiennes que par les artistes français. Sur le plan économique, certains groupes industriels français présents de longue date ont réussi à bâtir une relation solide avec la Chine, mais la porte des marchés publics leur est souvent fermée. La Chine veut davantage de transferts de technologie, d’où le succès relatif de l’Allemagne, son premier partenaire européen, qui n’a pas hésité à s’engager à long terme. De manière générale, les multinationales s’interrogent sur leur avenir sur le marché chinois, et la France n’a pas aux yeux des Chinois l’image d’un pays industriel et technologique. En revanche, nous avons des marques connues, et les produits français de « l’art de vivre » sont reconnus pour leur qualité. Idem pour l’agro-alimentaire et la santé, des secteurs dans lesquels les classes moyennes chinoises ne se satisfont plus de l’offre locale. Le lait en poudre est systématiquement importé, et l’une des annonces importantes de la fin 2013 a été l’ouverture de certaines viandes françaises au marché chinois. Il était temps… de manière générale, les PME françaises sont peu présentes sur le marché chinois car elles ont une moins grande accoutumance à l’export que leurs voisines européennes. Sans doute notre système étatique centralisateur est-il aussi en partie responsable de cette situation. Les efforts des collectivités locales sont récents, insuffisants et parcellaires. De même, la société civile française paraît bien éloignée de la Chine, pourtant de plus en plus active. Souvent excessive, l’image de la Chine en France reste fort éloignée de la réalité. Il reste l’éducation: il y a vingt ans, on ne comptait que quelques centaines d’étudiants chinois sur le territoire français, ils sont aujourd’hui 35.000 avec une augmentation de 10% par an. C’est un vrai succès, bien que tardif. Là encore, la puissance anglo-américaine domine. Mais la France peut construire un véritable réseau d’amitiés à travers ses marques, ses produits-phares, ses universités, ses musées, et même ses PME, donc pourquoi s’en priver ? Il faut pour cela que la société française prenne la mesure des enjeux et traduise son « envie d’ailleurs » -stigmatisée par l’envoi de stagiaires, VIE et étudiants en Chine- par des actions directes, sans intervention nécessairement gouvernementale ou paragouvernementale, pour bâtir des liens solides avec la société chinoise. Arguons que le Cinquantième anniversaire des relations diplomatiques entre nos deux pays n’est pas le plus mauvais moment pour amorcer cette trajectoire.

*Après 150 ans de colonisation britannique, Hong Kong est devenue une région administrative spéciale de la République populaire de Chine le 1er juillet 1997.
** On se souvient des « années croisées France-Chine » de 2004 et 2005.


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