13.12.2024
Le Japon fait de l’Afrique une priorité stratégique
Tribune
24 janvier 2014
Tokyo met l’accent officiellement sur l’économie pour expliquer l’objectif de cette visite « historique ». En Ethiopie, le Premier ministre conservateur, revenu à la tête du Japon en décembre 2012, a annoncé que son pays allait investir dans l’agriculture et la géothermie en Ethiopie. Il a aussi une série d’accords énergétiques au Mozambique, indique le quotidien japonais Asahi Shimbun->http://ajw.asahi.com/article/behind_news/politics/AJ201401130065] . Une des principales raisons est la découverte d’un des plus grands gisements de gaz au monde dans ce pays d’Afrique du sud-est. « Les réserves de gaz estimées seraient de 100 milliards de pieds-cubes, ce qui représenterait plus de 20 ans de consommation annuelle de gaz au Japon. La société commerciale Mitsui & Co. a obtenu une participation de 20 % dans la société américaine Anadarko Petroleum Corp. Les plans prévoient la production annuelle de 10 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié en 2018. », indique l’ [Asahi Shimbun->http://ajw.asahi.com/article/behind_news/politics/AJ201401130065] . Dans le cadre de cette diplomatie économique, deux acteurs africains sont visés. Comme le rapporte la [BBC , Shinzo Abe veut s’appuyer plus généralement sur les femmes et les jeunes en Afrique, qui incarnent à ses yeux l’avenir du continent. «Les Abenomics ne réussiront pas sans Womenomics. », a déclaré le Premier ministre japonais dans une référence aux réformes économiques qu’il a introduites au Japon.
En mettant davantage l’accent sur l’Afrique, estime le New York Times , « M. Abe lance le Japon dans une lutte pour les ressources là-bas qui implique également les entreprises de la Chine, les États-Unis et d’autres pays occidentaux. Le Japon est particulièrement désireux de trouver de nouvelles sources de métaux dits de « terres rares », matières premières utilisées dans l’électronique et les téléphones portables qu’il importe actuellement principalement de la Chine ». L’intérêt est donc stratégique : réduire la dépendance envers un voisin chinois qui apparaît comme de plus en plus menaçant…
Retard important vis-à-vis de la Chine
Par rapport à la Chine, le Japon accuse un retard économique sérieux. Malgré des relations anciennes avec l’Afrique, le Japon ne représente que 2,7% des échanges commerciaux de ce continent, contre 13,5% pour la Chine, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Et l’investissement chinois en Afrique en 2011 a été sept fois supérieur à celui du Japon. « Selon AidData, un organisme de recherche américain, entre 2000 et 2011, la Chine a investi 75 milliards de dollars en Afrique pour divers projets de développement. L’argent a été non seulement investi dans le développement des ressources naturelles, mais aussi pour la construction de routes et de ports, ainsi que dans les domaines de la finance, de la distribution, de l’éducation et de la médecine. On estime à 1 million de Chinois vivant en Afrique, environ 100 fois plus que le nombre de Japonais sur le continent. », souligne l’ Asahi Shimbun .
La présence économique japonaise est très modeste dans les pays visités. Seule une poignée d’investisseurs japonais sont actifs en Côte d’Ivoire, en Ethiopie et aiMozambique – les trois pays que M. Abe a visités. « Selon une fiche d’information par le gouvernement japonais, il n’y a que deux entreprises japonaises en Côte-d’Ivoire et une seule en Ethiopie ».
En fait, le Japon accorde surtout de l’aide au développement. « Le 1er juin 2013, lors de la cinquième conférence internationale de Tokyo pour le développement de l’Afrique (Ticad), le Japon avait annoncé une aide publique de 10,6 milliards d’euros sur cinq ans pour l’Afrique, dans le cadre d’une enveloppe plus globale d’aides publiques et privées équivalente à 24,2 milliards d’euros pour ‘soutenir la croissance africaine’. Le Japon doit renforcer ses liens avec l’Afrique. Vers le milieu du 21e siècle, sans aucun doute l’Afrique sera au cœur du développement, alors si nous n’y investissons pas maintenant, quand le ferons-nous ? », s’était interrogé M. Abe (1).
Compétition, rivalité ou intérêts divergents ?
Mais y a-t-il, au-delà des simples intérêts économiques, d’autres visées pour Tokyo ? Selon le site The Diplomat Chine et Japon ont des intérêts divergents même si le caractère économique de leur stratégie est évident dans les deux cas. « Les deux pays rejettent l’idée qu’ils sont en compétition » souligne The Diplomat . La stratégie du Japon, en d’autres termes, est centrée sur l’économie. Il est clair que la poursuite par Abe d’une relation avec l’Afrique est étroitement liée avec les entreprises japonaises. La Chine souligne, elle, constamment ‘l’amitié’ entre son gouvernement et les pays africains. Mais bien que les entreprises chinoises fassent de grandes affaires en Afrique, Pékin ne fait presque jamais allusion à cela dans ses observations officielles. Alors que Abe semble satisfait que les entreprises japonaises fassent des profits, la Chine poursuit activement le développement de son ‘soft power’ sur le continent par le biais de la coopération d’Etat à Etat.
Cependant, cette analyse peut pêcher par un certain angélisme. Plusieurs éléments suggèrent également une ambition stratégique derrière le discours économique et malgré la présence notable d’une cinquantaine de chefs d’entreprises japonais accompagnant le Premier ministre nippon dans sa tournée africaine. Le Japon peut aussi chercher à courtiser les votes des pays africains afin qu’ils appuient sa volonté de devenir membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.
Par ailleurs, la présence japonaise stratégique est ancienne, notamment celle des forces d’autodéfense (FAD, nom de l’armée japonaise) avec les opérations de maintien de la paix. Ainsi, les FAD terrestres ont déployé des hommes dans le cadre d’une mission de l’ONU au Mozambique en 1993 après la fin de la guerre civile. Des personnels militaires et civils japonais sont également déployés au Sud-Soudan(2), afin de soutenir la construction du jeune Etat. Ils sont 400, selon la BBC.
Enfin, lors de son passage en Côte d’Ivoire, Shinzo Abe et le président Alassane Ouattara se sont mis d’accord pour que Tokyo fournisse 7 millions de dollars pour aider les anciens militaires qui ont lutté pendant la guerre civile pour trouver un emploi dans le civil.
La présence militaire japonaise, encore modeste, s’est renforcée avec la création d’une base militaire à Djibouti->http://blog.mondediplo.net/2011-01-20-A-Djibouti-la-premiere-base-du-Japon-a-l-etranger]. La base a été ouverte officiellement en [juillet 2011 et abrite 600 hommes. Elle a pour mission de participer à la lutte contre la piraterie internationale au large du golfe d’Aden. C’est la première base japonaise à l’étranger depuis 1945. C’est aussi un moyen de tester les déploiements de forces d’autodéfense et d’entraîner sa marine puisque des destroyers japonais patrouillent dans les eaux troublées de la région.
Par ailleurs, l’aide publique au développement remplit aussi un rôle sécuritaire notamment dans le cadre de la TICAD, la Conférence internationale de Tokyo sur le Développement de l’Afrique (TICAD). Celle-ci une plate-forme majeure et globale pour le développement des pays africains. Son rôle est de discuter et d’élaborer les plans d’actions pour les défis que l’Afrique doit aborder tels que le développement économique, la réduction de la pauvreté et le redressement post-conflit. Elle a été lancée en 1993. Elle apporte ainsi sa contribution à la paix en Afrique. Le Japon a apporté une assistance technique pour des programmes de rééducation de la Police Nationale en collaboration avec le Gouvernement de la RDC et de la MONUC. Entre 2004 et mars 2012, le nombre total des agents de police rééduqués a dépassé les 19 000.
Egalement, depuis 2008, au travers du PNUD, le Japon a soutenu 11 centres de formation sur le maintien de la paix (Bénin, Cameroun, Egypte, Ethiopie (deux centres), Ghana, Kenya, Mali, Nigeria, Rwanda et Afrique du Sud), le financement – hors APD – à hauteur de 27,49 millions de dollars a permis de couvrir les coûts de formation, de construction ou de réhabilitation des bâtiments et des installations. Le Japon a aussi envoyé 23 personnes des FAD et des experts civils comme instructeurs ou personnels- ressources en Egypte, au Ghana, au Kenya, au Cameroun et au Mali.
Depuis la signature de l’accord de paix en 2005, le Japon a apporté son aide aussi bien au Soudan qu’au Soudan du Sud après son indépendance en 2011. L’assistance totale s’est élevée à plus de 1 milliard de dollars (janvier 2013). Les domaines varient de l’assistance humanitaire à la reconstruction, y compris l’assistance au programme DDR du Soudan qui a réintégré plus de 23.000 anciens combattants (janvier 2013), en passant par le soutien à l’élection en 2010 et le référendum en 2011.
Certes, l’effort peut apparaître relativement modeste, il n’en reste pas moins réel. Au total, lors de sa visite en Afrique, Shinzo Abe a promis plus de 200 millions d’euros pour promouvoir la paix et la sécurité et aussi lutter contre les catastrophes naturelles en Afrique. Ce montant inclut une aide de 25 millions de dollars (18 millions d’euros) pour tenter de sortir le jeune Soudan du Sud de la crise, ainsi que 3 millions de dollars (2 million d’euros) pour la Centrafrique en pleine crise pour sa survie.
Tokyo a donc clairement fait de l’Afrique une priorité stratégique qui va au-delà de la seule défense et promotion de ses intérêts économiques. Elle agit à plusieurs niveaux politiques et sécuritaires qui en font un partenaire ascendant du continent africain même si son retard par rapport à la Chine est bien réel.
(1)Joris Fioriti ‘Le Premier ministre japonais entame à Abidjan une tournée africaine’, AFP, 10 janvier 2014
(2) Lire dans le Livre Blanc de la Défense Japonais 2013 : http://www.mod.go.jp/e/publ/w_paper/pdf/2013/40_Part3_Chapter2_Sec4.pdf