20.11.2024
L’accord sur le nucléaire iranien : changement tactique ou évolution stratégique du pouvoir iranien ?
Tribune
17 janvier 2014
– l’intérêt de cet accord réside sur la bonne volonté des deux parties. Chacune d’entre elle doit prendre des mesures prévues si elle veut bénéficier des avantages prévus durant les six premiers mois. Cette méthode permet également de rétablir progressivement la confiance entre les deux parties.
– Sur le plan technique, cet accord n’est en rien innovant. Les autorités iraniennes ont fait des propositions reprenant les termes de l’accord de Genève depuis au moins deux ans. Il n’y a pas eu de réponse occidentale claire, notamment parce que se profilaient les élections présidentielle américaines, puis iraniennes (il était difficile pour les Occidentaux de signer un accord tant que Mahmoud Ahmadinejad était président …).
– A travers cet accord, la République islamique obtient ce qu’elle cherchait depuis toujours, la reconnaissance officielle de son droit d’enrichir l’uranium. Il est vrai que ce droit n’est nulle part reconnu explicitement dans le texte. Néanmoins, l’Iran a le droit d’enrichir l’uranium à un niveau civil pendant la période transitoire. Puis l’accord final impliquera « un programme d’enrichissement d’uranium défini mutuellement (…) avec des limites acceptées sur l’étendue et le niveau d’enrichissement (…) », ce qui signifie un programme limité d’enrichissement.
– Les allègements de sanctions prévues dans cet accord transitoire peuvent apparaître modestes à première vue. Le rapatriement de pétrodollars bloqués dans les banques européennes pourrait cependant permettre à l’Iran de récupérer près de 9 milliards de dollars. En revanche, l’allègement des sanctions sur la pétrochimie ne devrait pas rapporter beaucoup de revenus supplémentaires car les exportations étaient proches de leur potentiel. Par ailleurs, les sanctions prévoient que les exportations pétrolières resteront limitées à leur niveau actuel qui correspond à 50 % des revenus potentiels. Néanmoins, l’Iran obtient l’arrêt des sanctions portant sur le secteur automobile (qui est le premier employeur en Iran) et le secteur de l’aviation. La possibilité pour les compagnies aériennes d’importer des pièces détachées permettra de renforcer la sécurité des vols. Ces éléments sont importants pour le gouvernement iranien qui peut ainsi démontrer à sa population que sa politique conduit à des résultats économiques concrets.
Dans tous les cas, il s’agit d’un accord important. Peut-on même parler d’accord historique ? Oui, c’est le premier pas vers une résolution pacifique de la crise du nucléaire iranien qui a failli conduire les autorités américaines à déclencher un conflit avec l’Iran. Sur la question du nucléaire, il est très difficile de connaître véritablement les intentions des responsables iraniens. On peut néanmoins noter qu’à travers cet accord l’Iran accepte de renoncer à enrichir de l’uranium à un niveau supérieur à 5 %, soit un niveau civil. Par ailleurs, l’accord final devrait intégrer une signature par l’Iran du protocole additionnel au TNP, autorisant les visites surprises des installations nucléaires par l’AIEA. Cet accord donne donc un certain nombre de garanties en restreignant le programme nucléaire iranien à une finalité civile (2). De plus, ces pourparlers ont scellé le début d’une réconciliation entre l’Iran et les Etats-Unis, ce qui pourrait profondément transformer l’environnement géopolitique du Moyen-Orient. Que penser alors des critiques, notamment israéliennes, qui voient dans cet accord une victoire tactique de l’Iran qui gagne ainsi du temps pour développer son programme nucléaire ? Poser cette question revient à s’interroger sur les raisons qui ont poussé l’Iran à négocier.
Les sanctions ont joué un rôle dans l’évolution de la position iranienne. Ces sanctions ont notamment conduit à une diminution de 50 % des recettes pétrolières iraniennes depuis 2011 (d’après l’OPEP). Ceci a limité les rentrées en devises (et les recettes budgétaires) puisque les exportations pétrolières représentaient plus de 80 % des exportations et 51 % des recettes budgétaires. En outre, les sanctions bancaires ont occasionné le blocage des avoirs en devises à l’étranger. Cela a entraîné une pénurie en devises et impliqué depuis 2011 un effondrement de la monnaie iranienne, le dollar passant de 10 000 rials en 2010 à près de 36 000 rials en décembre 2012. Par ailleurs, du fait de la difficulté à trouver des banques pour financer leurs importations, de nombreuses entreprises iraniennes ont arrêté de se procurer un certain nombre d’équipements ou les ont importés en enregistrant une très forte hausse des coûts. De ce fait, la croissance a reculé de 5,4 % en 2012, après une croissance de 3 % en 2011. Ce recul de l’activité a sûrement conduit à une hausse du taux de chômage qui est bien plus élevé que le taux officiel (12 %), car la population en âge de travailler augmente d’au moins 600 000 personnes par an. Par ailleurs, l’inflation a fortement accéléré. En septembre 2013, l’inflation se situait à 36,6 % contre 22 % deux ans auparavant ; ainsi, les hausses de prix ont atteint 46 % pour les produits alimentaires et 52 % pour les vêtements. Néanmoins, le discours israélien et néoconservateur, qui consiste à dire « les sanctions ont marché (…), continuons les sanctions », reste caricatural. La position de l’Iran sur son programme nucléaire n’a pas véritablement changé et les contours de l’accord actuel existaient déjà dans les propositions iraniennes formulées depuis deux ans(3). En ce qui concerne l’efficacité des sanctions, il faut se baser sur un critère : s’il s’agit de l’enrichissement de l’uranium par l’Iran, on s’aperçoit que, depuis les premières sanctions, l’Iran a plutôt accéléré son programme d’enrichissement d’uranium. En fait, ces sanctions ont plutôt pesé sur l’ensemble de la population iranienne. Donc on peut penser que le calcul occidental était d’infliger un coût tel à la population iranienne qu’elle en serait venue à faire pression indirectement sur le régime(4). On peut considérer que ce calcul a marché puisque l’élection d’Hassan Rohani, en tant que président de la république iranienne, a été le résultat de sa capacité à se présenter comme celui qui allait améliorer la situation économique en Iran en réglant la question du nucléaire par la négociation(5). C’est alors oublier que, même s’il n’y avait pas eu de sanctions, la société iranienne aurait de toute façon voté pour le candidat le plus modéré, ce qu’elle a régulièrement accompli à chaque élection présidentielle depuis 1997 (6). Et un président modéré aurait pu jouer un rôle efficace pour conduire le régime iranien à négocier. Enfin, cette vision des sanctions comme unique cause des choix de la politique étrangère iranienne oublie un certain nombre de faits.
Les grands choix en matière de politique étrangère en Iran doivent être avalisés par le Guide Suprême, Ali Khamenei. Outre le coût des sanctions, ce dernier a pris conscience du fait que la politique étrangère menée par Mahmoud Ahmadinejad (MA), basée sur l’ultranationalisme et la provocation, avait plutôt affaibli l’Iran. D’une part, il est clair que le Guide voulait que la politique étrangère iranienne reprenne le chemin de la diplomatie et ait une approche plus rationnelle (7). D’autre part, ce dernier a dû tenir compte de la montée en puissance d’un courant centriste en Iran, qui s’est notamment traduit par l’élection d’Hassan Rohani, qui est un conservateur modéré. Ce courant regroupe des conservateurs et réformateurs pragmatiques et modérés qui proposent une alternative politique à la méthode MA. Ils veulent libéraliser graduellement l’économie iranienne, ouvrir progressivement le système politique et normaliser les relations de l’Iran avec le reste du monde. En revanche, ils affichent leur fidélité au principe de la Velayat-e faqih, qui est la clé de voute du système politique iranien, affirmant la supériorité du religieux sur le politique. Par ailleurs, les objectifs de ce groupe en politique étrangère restent guidés par le nationalisme : ils veulent notamment préserver le programme nucléaire iranien (et l’enrichissement de l’uranium) et affirmer l’Iran en tant que première puissance régionale au Moyen-Orient. Ce courant centriste et de nombreux responsables iraniens sont également très inquiets face à la montée des mouvements sunnites radicaux dans la région. La guerre civile en Syrie, les affrontements Sunnites-Chiites en Irak font que l’Iran craint ce fondamentalisme sunnite et anti-chiite (appuyé par l’Arabie saoudite et par Al Qaeda). On peut donc estimer que Ali Khameini, du fait de sa propre analyse, et prenant également acte de la montée en puissance de ce courant centriste, a accepté que l’Iran fasse preuve de plus de flexibilité dans ses négociations sur le nucléaire. De plus, le Guide et ce courant centriste sont persuadés que, pour régler cette question du nucléaire, il fallait que l’Iran normalise ses relations avec les États-Unis.
L’approche iranienne des États-Unis a en effet changé depuis l’élection de Barack Obama. Ce dernier avait annoncé, dès les primaires préparatoires aux élections de 2008, qu’il était prêt à négocier directement avec les leaders de la République islamique d’Iran (et avait été très vivement critiqué par ses rivaux à cause de cela). On sait maintenant que, suite aux manifestations de protestation en Iran en 2009 après la réélection contesté de MA, le président américain n’a pas voulu poursuivre cette politique de rapprochement, ne voulant sans doute pas apparaître comme cautionnant un gouvernement aussi contesté de l’intérieur… Néanmoins, cet objectif de rapprochement avec l’Iran restait en toile de fond, le gouvernement américain ayant très fortement développé ses capacités d’analyse de la situation iranienne. Le fait qu’un certain nombre de leaders du « Mouvement vert » aient trouvé refuge aux États-Unis après 2009 a ainsi joué un rôle important dans ce contexte(8). Suite à sa réélection, Obama a poursuivi sa politique de rapprochement avec l’Iran. On sait maintenant que les gouvernements iranien et américain négociaient en secret dans le Sultanat d’Oman depuis mars 2013, soit sous la présidence de MA. Il est clair que la réflexion stratégique américaine vis-à-vis de l’Iran a évolué ces dernières années. Il y a eu le sentiment que la politique de confrontation avec l’Iran avait échoué et qu’il fallait entamer des négociations avec ce pays. Parallèlement, il y a eu une prise de conscience que l’Iran pouvait jouer un rôle constructif dans la région et permettre de résoudre un certain nombre de crises régionales en Irak, en Syrie, au Liban, en Afghanistan (9). Le radicalisme de la politique étrangère de MA a dans un premier temps plutôt conduit le gouvernement américain à accroître les sanctions contre l’Iran. Mais la volonté de négocier avec l’Iran était toujours présente et s’est de nouveau manifestée après la réélection d’Obama fin 2012. La montée des mouvements salafistes radicaux en Syrie et la guerre ouverte d’Al Qaeda contre les Chiites en Irak et en Syrie ont également conduit à un rapprochement des points de vue américain et iranien. La crise syrienne en particulier, marquée par l’épisode d’une possible entrée en guerre des États-Unis et de la France en septembre 2013, a pu faire prendre conscience au gouvernement américain qu’il était impossible d’arriver à une solution politique du conflit sans intégrer l’Iran. De même, la reprise en main du pouvoir par les militaires en Egypte a également conduit le gouvernement américain à se rendre compte de l’instabilité régnant chez ses alliés traditionnels. Les négociations secrètes avec l’Iran, et enfin l’élection d’un président plus modéré en Iran, ont alors renforcé ce choix de normaliser les relations avec l’Iran (10).
Last but not least , cette normalisation de l’Iran est aussi (et surtout…) une demande de la société iranienne. La société iranienne, qui s’est profondément modernisée depuis la révolution, réclame depuis des années une ouverture politique et des relations plus apaisées avec le reste du monde (11). Cette société est en pleine transformation de ses valeurs, mais reste extrêmement nationaliste, ce qui signifie que la plupart des Iraniens souhaitent que l’Iran devienne la première puissance régionale. En ce qui concerne les relations avec les États-Unis, il faut noter que la société iranienne est également très curieuse et presque fascinée par la société américaine. De nombreux cadres du régime ont fait leurs études aux États-Unis (comme Zarif, l’actuel ministre des affaires étrangères) ou ont de la famille aux États-Unis. Il existe également une importante diaspora iranienne aux États-Unis qui a joué un rôle de lien entre les deux pays.
L’analyse des facteurs qui ont conduit à l’évolution de la politique étrangère iranienne indique que, si les sanctions n’ont pas été sans effet, d’autres éléments, comme la modernisation de la société iranienne, ont également joué un rôle sans doute plus important. Cette analyse montre aussi qu’il s’agit d’une véritable évolution de la stratégie iranienne qui implique notamment une reprise des relations avec les États-Unis. Il faut bien comprendre que les autorités iraniennes restent néanmoins concentrées sur des objectifs précis : préserver le droit de l’Iran à enrichir l’uranium et affirmer le rôle de l’Iran en tant que première puissance régionale. Cette normalisation de la politique étrangère iranienne doit faire face à de nombreuses oppositions tant elle dérange des situations bien établies. Pour gêner Obama et/ou du fait de la pression des lobbyistes pro- israéliens, de nombreux membres du Congrès et du Sénat américain ont exprimé leur scepticisme sur cet accord de Genève, estimant qu’il permettait surtout à l’Iran de gagner du temps. Le gouvernement américain a dû alors négocier avec des groupes au Congrès pour éviter que de nouvelles sanctions soient votées, ce qui rendrait l’accord caduc. Au demeurant, on peut estimer que la récente décision américaine d’élargir la liste des personnes et des entreprises visées par les sanctions existantes est le résultat d’un compromis avec ces courants (12). Il en est de même en Iran où les conservateurs radicaux ont fortement critiqué cet accord, estimant que le pays n’aurait jamais dû céder sur la question de l’enrichissement à 20 %. Le général commandant en chef des Pasdarans a pareillement critiqué cet accord. Cela signifie que sa réussite en Iran tiendra aussi à l’évolution des équilibres de politique intérieure. Le renforcement du courant politique lié à Rohani face à ses rivaux plus radicaux ira donc dans le sens d’une poursuite du processus engagé à Genève. Cet accord transitoire a d’ailleurs permis au président iranien de montrer que sa politique donnait des résultats, puisque le régime des sanctions a été assoupli (13). Il reste néanmoins de nombreux challenges à relever pour le gouvernement iranien, que ce soit dans le domaine économique, dans le domaine politique (le mouvement vert demande ainsi la libération de ses leaders mis en maison d’arrêt depuis 2009) et sociétal (avec la demande d’un plus grand respect des libertés individuelles et des droits des femmes). En matière de politique étrangère, le nouveau gouvernement, et en particulier le ministre des affaires étrangères, Mohammad Djavad Zarif, devra accompagner cette normalisation de la politique étrangère iranienne, tout en évitant de donner l’impression que l’Iran cède trop de terrains aux puissances occidentales.
Parallèlement, les gouvernements d’Arabie saoudite (14) et d’Israël ont manifesté leur mécontentement face à cet accord. L’Arabie saoudite voit, depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, grandir l’influence iranienne dans la région, que ce soit à travers le soutien de l’Iran au gouvernement chiite irakien ou l’appui de l’Iran au Hezbollah libanais et au Hamas à Gaza. Cette crainte a conduit le régime saoudien à soutenir financièrement les opposants à Bachar El Assad, notamment les groupes salafistes combattants en Syrie. Les autorités saoudiennes, qui étaient déjà furieuses du refus des États-Unis d’entrer en guerre en Syrie, voient leur principal allié, avec qui elles sont liées par un accord stratégique depuis 1945, renouer des relations diplomatiques avec leur principal rival (15). L’Iran est en effet pour l’Arabie saoudite la puissance avec qui elle est en concurrence pour le leadership dans la région. La compétition est également économique puisque ces deux pays sont des acteurs importants de l’OPEP et disposent d’immenses réserves de pétrole et de gaz naturel. L’augmentation de la production pétrolière de l’Arabie saoudite depuis 2011 a ainsi permis de stabiliser le prix du pétrole en compensant le recul de l’offre iranienne du fait des sanctions (voir Graphique 1). Elle est également politique et sociétale. Face à la monarchie saoudienne, l’Iran est une république, avec des élections régulières pour élire le parlement et le président (16). La société iranienne est en pleine transition. Le taux de fécondité est passé de 6, à la fin des années 1970, à 2 aujourd’hui. La moitié des étudiants est constituée de filles. Il existe véritablement une classe moyenne éduquée en Iran qui a établi un rapport de forces avec le pouvoir. Ce sont aussi ces aspects-là que craint l’Arabie saoudite. Le régime saoudien craint notamment que l’influence grandissante de l’Iran ne conduise à relancer le printemps arabe dans le Golfe. Les protestations de la population de Bahreïn à majorité chiite face à la famille régnante sunnite avaient déjà conduit l’armée saoudienne à réprimer ces mouvements en 2011, en dénonçant à l’époque l’influence iranienne. Par ailleurs, l’Arabie saoudite doit également gérer le mécontentement de sa propre minorité chiite (10-15 % de sa population) qui souffre de discriminations économiques. Dans ce contexte, il ne faut pas surestimer le facteur dans la rivalité entre les deux pays. L’Arabie saoudite a instrumentalisé ce facteur religieux en soutenant financièrement des groupes salafistes en Syrie qui considèrent les Chiites comme des hérétiques (17). Puis, les tensions entre les deux communautés se sont accrues au Liban suite à la participation du Hezbollah à la guerre civile en Syrie. En Irak, la lutte entre les deux communautés résulte d’une situation politique où la minorité sunnite s’estime opprimée par la majorité chiite qui détient maintenant le pouvoir. Ceci signifie que les tensions Sunnites-Chiites actuellement résultent avant tout de situations politiques locales. Néanmoins, il est possible qu’on soit entré dans une période périlleuse pendant laquelle la poursuite des crises en Irak et en Syrie pourrait accroître ces tensions interreligieuses dans l’ensemble de la région. Du reste, cette crainte pousse en partie le gouvernement iranien à soutenir aujourd’hui Bachar El Assad.
Graphique 1 – Production pétrolière de l’Arabie saoudite et de l’Iran (milliers de barils par jour)
Source : OPEP
De même, Israël a été quasiment le seul pays au monde à manifester son mécontentement après cet accord. En fait, celui-ci marquait l’échec de la politique du gouvernement de Netnyahou qui est toujours parti du principe que ce programme nucléaire représentait une menace existentielle pour Israël et qu’il fallait donc, quel qu’en soit le prix, aboutir à son arrêt pur et simple. L’accord actuel qui laisse l’Iran poursuivre l’enrichissement de l’uranium est donc de ce point de vue, pour Israël, un échec. Parallèlement, la reprise du dialogue entre Américains et Iraniens renforce l’isolement d’Israël. Evidemment, ceci ne signifie en rien que les accords de sécurité entre Israël et les États-Unis ne vont pas subsister. Mais néanmoins, même si l’Iran et Israël n’ont pas de désaccords territoriaux précis, il n’en demeure pas moins que l’antisionisme est un des principaux éléments de l’idéologie de la République islamique d’Iran (18). Cet État et Israël sont en situation d’affrontement permanent et se menacent régulièrement depuis la révolution islamique de 1979. Dans ces conditions, le rapprochement irano-américain va à l’encontre de cette politique de diabolisation du pouvoir iranien par le gouvernement israélien. Néanmoins, on peut également considérer qu’à terme cet accord va également dans l’intérêt d’Israël. Il permet en effet une solution diplomatique à cette crise, ce qui va dans l’intérêt d’Israël puisque l’option militaire brandie par le gouvernement israélien n’était pas réaliste et n’était en rien une solution. Par ailleurs, comme on l’a vu, cet accord permet de commencer à réintégrer l’Iran dans le jeu diplomatique régional et de normaliser ses relations avec l’Occident. Ces éléments vont dans le sens d’un renforcement du pragmatisme de la politique étrangère iranienne. Ils peuvent également permettre de limiter les tensions dans la région, ce qui devrait aller dans l’intérêt d’Israël. Enfin, cette normalisation de la politique étrangère permet de renforcer le courant centriste modéré en Iran et donc indirectement la société iranienne. L’évolution du système politique iranien vers une plus grande modération va également dans le sens de l’intérêt d’Israël. Effectivement, cette évolution de la situation géopolitique dans la région peut conduire le gouvernement israélien à changer de politique intérieure. Le recours à l’ennemi extérieur iranien diabolisé n’a-t-il pas été utile au gouvernement israélien pour renforcer la cohésion nationale et légitimer le gouvernement, alors que le pays doit répondre à des défis interne (la crise économique et sociale) et externe (la question palestinienne) plus complexes ?
Il faut encore rester prudent sur les conséquences géopolitiques de cet accord qui, pour l’instant, n’est que transitoire. Les États-Unis et l’Iran sortent d’une longue période de plus de 30 ans durant laquelle ils étaient chacun « le meilleur ennemi » de l’autre. De surcroît, on voit à quel point il existe de véritables oppositions à cet accord et à quel point il perturbe l’ordre géopolitique. Il ouvre cependant d’importantes perspectives et pourrait permettre à terme de limiter un certain nombre de tensions régionales. Il reste à espérer que ces changements s’accompagnent également d’un arrêt de la posture néoconservatrice du gouvernement français vis-à-vis de l’Iran, posture qui a plutôt conduit à aggraver les tensions avec l’Iran et à limiter l’influence de la France dans la région ces dernières années.
(1) http://eeas.europa.eu/statements/docs/2013/131124_03_en.pdf
(2) Il faut noter par ailleurs que, contrairement à ce qui est parfois dit, il peut être rationnel pour un pays disposant de ressources en pétrole et gaz naturel comme l’Iran de produire de l’électricité avec l’énergie nucléaire. L’idée est de diversifier les sources d’énergie pour économiser les ressources en pétrole et gaz naturel. La consommation interne en pétrole de l’Iran, du fait notamment de la hausse régulière de la consommation en électricité, augmente régulièrement, ce qui limite le potentiel d’exportation de pétrole.
(3) On estime que Mahmoud Ahmadinejad (MA) a été écarté des négociations sur le nucléaire depuis 2011, ce qui a coïncidé avec une approche déjà plus pragmatique de la part de l’Iran.
(4) On peut néanmoins être sûr qu’aux États-Unis, de nombreux députés et sénateurs espéraient que ces sanctions allient conduire à un changement de régime …
(5) On notera que, si cela était la base du calcul occidental, il est un peu surprenant de voir qu’il intègre la capacité de choix de la société iranienne et donc un espace démocratique …
(6) L’élection de Mahmoud Ahmadinejad en 2005 est l’exception qui confirme la règle. Le bourrage des urnes a permis à MA d’être présent au deuxième tour contre Hashémi Rafsandjani, l’ancien président. Sa victoire alors a
été due au fait que beaucoup d’Iraniens voient en Hashémi Rafsandjani le symbole de la corruption des élites, ce
qui a conduit alors à la victoire de MA qui se présentait comme un homme simple, qui promettait la justice sociale et voulait lutter contre la corruption.
(7) Il est symptomatique de noter que Ali Akbar Velayati, actuel conseiller du Guide pour les affaires internationales, et candidat aux élections présidentielles en juin 2013, a très vivement critiqué l’approche de
Jalili, qui a mené les négociations sur le nucléaire iranien durant le 2ème mandat de MA (2009-2013), en déclarant qu’il n’avait fait que répéter des slogans sans vouloir vraiment négocier …
(8) Hossein Moussavian, ancien diplomate iranien, ayant participé aux négociations sur le nucléaire de 2003 à 2005, est devenu visiting scholar à l’université de Princeton depuis 2009.
(9) L’Iran a participé activement au renversement des talibans en 2002 et négocié avec les Américains pour préparer leur retrait d’Irak. Or les États-Unis sont en train de négocier avec le gouvernement Karzaï le retrait de leurs troupes d’Afghanistan.
(10) Voir à ce sujet, David Gardner, « A US detente with Iran could be game changing », Financial Times, September 22, 2013
(11) Au sujet de la modernisation de la société iranienne, voir Thierry Coville, « Iran : la révolution invisible », La découverte, 2007.
(12) « Iran : les États-Unis allongent leur liste noire », Le Monde, 12 décembre 2013
(13) On peut d’ailleurs noter que les autorités américaines avaient bien compris, dès la première négociation à
Genève, à quel point ce type d’accord renforcerait le courant de Rohani en Iran.
(14) Les autorités saoudiennes se sont toutefois officiellement réjouies de cet accord.
(15) L’accord du Quincy en 1945 a scellé une relation économique et stratégique entre les deux pays, l’Arabie saoudite accordant des concessions aux sociétés pétrolières américaines en échange d’un accord de sécurité entre
les deux pays.
(16) Il n’est pas question de nier ici le fait que l’espace démocratique iranien reste limité, mais de faire ressortir l’opposition entre les deux systèmes politiques.
(17) La minorité alaouite, principal soutien de Bachar el Assad, est proche des Chiites.
(18) Voir à ce propos Thierry Coville, « La guerre Iran-Israël n’aura pas lieu », IRIS, 27 avril 2012.
*Cet article a été publié sur le Portail InfoGéo (Umr ProdiG) pour lequel il a été initialement rédigé.