18.11.2024
Les catastrophes naturelles, « arme » de la diplomatie japonaise
Tribune
20 novembre 2013
Mais les forces d’autodéfense maritimes (FAD maritimes, marine de guerre japonaise) enverront le destroyer porte-hélicoptères Ise, un des deux plus grands navires de guerre japonais (197 mètres de long et 11 hélicoptères), le navire de transport Ôsumi et le navire de ravitaillement Towada, tandis que les forces aériennes et terrestres mobiliseront 10 avions (sept appareils de transport C-130H, deux avions ravitailleurs KC-767 et un avion de soutien polyvalent U-4) et six hélicoptères de transport ( ). Deux navires sont partis lundi 18 novembre avec 650 hommes à leur bord sur les 1.200 prévus pour l’ensemble de l’opération.
Cette opération est la plus importante mission militaire japonaise à l’étranger depuis la seconde guerre mondiale. En effet, la plus importante opération remonte à 2004-2005. Les FAD avaient déployé 925 membres pour aider aux efforts de secours après le tremblement de terre et le tsunami en décembre 2004 au large de Sumatra, en Indonésie, qui avaient dévasté de grandes étendues de littoral de l’océan Indien.
L’assistance en cas de catastrophes naturelles, une des missions clés des FAD
La fourniture d’une assistance et de moyens en cas de désastres naturels n’est pas nouvelle pour le Japon. Mais alors que jusqu’en 2007, les activités de coopération à la paix internationale étaient considérées comme supplémentaires à ses fonctions principales, depuis cette année-là « elles sont devenues une des missions principales des FAD, avec la défense du Japon et le maintien de l’ordre public ( ). »
Depuis l’adoption en 1987 de la Loi sur « l’envoi d’équipe d’aide en cas de catastrophe», Tokyo s’est engagé dans des activités d’aide en cas de désastre, en réponse aux demandes des gouvernements des pays touchés. Cette loi a été amendée en 1992, permettant aux FAD de participer aux opérations d’aide internationale. Les capacités d’intervention des FAD concernent l’aide médicale, le transport de l’aide ou de victimes, en encore la fourniture en eau purifiée dans les zones touchées. Ainsi, en janvier 2010, le Japon a fourni à Haïti frappé par un tremblement de terre un soutien aérien et le transport de l’aide médicale.
Selon les données du Livre Blanc de la défense du Japon pour 2012, entre novembre 1998 et mars 2011, ce sont 12 opérations humanitaires de durée et d’ampleur variable qui ont été assurées par les FAD dans des pays situés dans différentes régions du monde (Honduras, Turquie, Pakistan…).
Bataille d’influence
Face à l’étendue du drame philippin, plusieurs pays se pressent pour aider Manille dépassé par l’ampleur de la catastrophe. Les Etats-Unis mettent les grands moyens. Le porte-avions George Washington est arrivé sur la zone de la tragédie, ses 5.000 marins et 80 avions sont déjà occupés à transporter des fournitures de secours aux survivants dépourvus de tous moyens de base. Et Washington s’est engagé dans un premier temps à 20 millions de dollars d’aide humanitaire ( ). Côté européen, le porte-avions britannique Illustrious, avec des avions de transport, des experts médicaux et une aide d’une valeur de 32 millions de dollars, se dirige vers les lieux de désolation.
En comparaison, la Chine a promis initialement 100.000 dollars d’aide gouvernementale à Manille et 100.000 autres via la Croix-Rouge chinoise, une somme très modeste au regard des autres pays, avant de se raviser face aux critiques. ‘La deuxième économie mondiale se débarrasse de sa petite monnaie sur l’archipel dévasté par la tempête’, avait ainsi titré le magazine américain Time, parlant d’un montant ‘insultant’ et pointant ‘la mesquinerie’ de Pékin. Les relations entre Pékin et Manille sont très tendues, les deux pays sont opposés par un vif différend territorial concernant une zone jugée stratégique en mer de Chine méridionale : Manille revendique ainsi la souveraineté de l’atoll de Scarborough, à seulement 200 km des côtes philippines et dont Pékin a pris le contrôle l’an dernier. L’ambassade chinoise aux Philippines a finalement indiqué que la Chine apporterait une aide supplémentaire équivalant à 10 millions de yuans (1,2 million d’euros), sous forme de couvertures, de tentes et autres soutiens matériels ( ).
Pourquoi une telle hâte des Etats-Unis et de leurs alliés et un tel revirement côté chinois ? Les Philippines sont, comme le Japon, des alliés stratégiques des Etats-Unis en Asie. L’aide participe donc d’un renforcement des liens entre les Philippines et ses partenaires stratégiques ; elle s’adresse tant au gouvernement qu’à la population qui sait ainsi pouvoir compter sur ses partenaires en matière de sécurité. Côté chinois, il s’agit de ne pas perdre le peu de crédit qui lui reste auprès des Philippins.
‘Le typhon, décrit comme la catastrophe naturelle la plus dévastatrice à frapper les Philippines dans l’histoire récente, est en train de devenir une vitrine pour l’affirmation du soft-power en Asie. Les tensions géopolitiques ont été attisées par des revendications territoriales de la Chine dans la mer de Chine du Sud, et renforcées par les efforts américains de réaffirmer leur influence dans la région.’, souligne le New York Times. Dans ce contexte électrique, le Japon a promis, en début d’année, de fournir 10 navires garde-côtes aux Philippines afin de mieux défendre sa souveraineté bafouée.
L’aide accordée n’est donc pas neutre alors que les Etats-Unis ont engagé un rapprochement en matière de défense avec les Philippines et souhaitent y positionner des militaires. ‘Les Philippines sont géographiquement proches au Japon et un partenaire stratégique important’, a de son côté déclaré récemment le ministre de la Défense du Japon, Itsunori Onodera.
Pour Tokyo, plus globalement, la « diplomatie des catastrophes » permet de renforcer sa coopération militaire en Asie ( ). Cette diplomatie avisée a ainsi fourni de 2001 à 2011 près de 55 milliards de dollars d’aide après les catastrophes, sous forme d’assistance technique, de prêts et de projets d’aide d’urgence. Elle complète utilement la coopération militaire, qui, elle, prend la forme d’exercices militaires comportant une dimension d’aide humanitaire et en cas de désastre, en particulier les exercices Cobra Gold, Cope North et RIMPAC mais aussi avec les pays de l’ASEAN, avec depuis 2009, l’exercice ARF-DiREx. C’est un moyen de faire pièce aux ambitions récentes de Pékin en matière d’aide humanitaire et de « diplomatie des catastrophes » mais aussi de collaborer avec l’Etat chinois, malgré les différends territoriaux (îles Senkaku notamment) par exemple au sein des groupes de travail d’experts sur ces questions qui se réunissent au sein des ADMM-Plus ( ) (Asean Defense Ministers Meeting-Plus).
Les désastres naturels peuvent donc paradoxalement resserrer la position internationale et militaire du Japon dans sa région, de même que le désastre de Fukushima de 2011 avait permis de renforcer l’alliance de sécurité avec les Etats-Unis.
(1) Fumiaki Sonoyama et Manabu Sasaki, ‘1,000 SDF personnel, ships and planes to join Philippine relief operations‘, The Asahi Shimbun, 14 novembre 2013
(2) ‘Efforts to support international peace cooperation activities‘, Defense of Japan 2013, Ministère de la défense japonais, pp 248 et suivantes
(3) Andrew Jacobs, ‘Asia Rivalries Play Role in Aid to the Philippines‘, The New York Times, 14 novembre 2013
(4) ‘Vivement critiquée, la Chine accroît son aide aux Philippines’, Agence France Presse, 14 novembre 2013
(5) Hideshi Futori, « Japan’s disaster relief diplomacy: Fostering military cooperation in Asia », Asia Pacific Bulletin, number 213, mai 2013
(6) http://www.asean.org/communities/asean-political-security-community/category/asean-defence-ministers-meeting-admm