20.12.2024
Y a-t-il un hollandisme ?
Tribune
25 septembre 2013
Des experts s’y sont pourtant essayés. C’est le cas du politologue Laurent Bouvet dans une tribune publiée dans Le Monde dès le mois de décembre 2012. Pour lui, le hollandisme présente trois caractéristiques spécifiques. C’est tout d’abord une méthode de gouvernement qui s’appuie sur la quête systématique de compromis entre différentes positions. C’est ensuite un pragmatisme, même si François Hollande est avant tout un réformiste et un social-démocrate influencé notamment par Jacques Delors, dont il fut le conseiller pendant plusieurs années. Enfin, le hollandisme se traduit par le grand retour des énarques et des élus locaux à la tête de l’Etat par rapport à la période sarkozienne.
Du côté du gouvernement, certains ont également entrepris de conceptualiser la pratique de la gauche au pouvoir afin de donner une cohérence à la politique gouvernementale et donc de définir ce que serait le hollandisme. Ainsi, pour le ministre de l’Intérieur Manuel Valls, dans un discours prononcé le 13 juillet dernier dans le Gard, le hollandisme, même s’il ne cite pas le terme à proprement parler, est un objectif, une méthode et une ambition. Son objectif serait « de sortir la France de la crise économique et morale qui la frappe en agissant dans la durée et en veillant à cicatriser les plaies d’un peuple en demande de sens ». Sa méthode serait celle « d’un réformisme assumé et non plus honteux ». Enfin, son ambition serait de « pouvoir dire un jour au peuple de France qu’il est de nouveau possible de croire en l’avenir après avoir cessé d’espérer ». Le 25 août à La Rochelle lors de l’Université d’été du Parti socialiste, Jean-Marc Ayrault a quant à lui réaffirmé le principe qui est censé donner une cohérence à l’action gouvernementale, à savoir la mise en place d’un « nouveau modèle français », concept inspiré par François Hollande lui-même et que le premier ministre avait introduit dans une tribune parue dans Le Monde le 3 janvier 2013. Pour lui, ce nouveau modèle français constitue une sorte de troisième voie entre, d’une part, le présumé déni du « modèle français » de la part d’une partie de la droite appelant à la « rupture » et, d’autre part, le retour à un « âge d’or » qui serait prôné par la gauche radicale, même si Jean-Marc Ayrault se garde bien de la mentionner de façon explicite. Il vise ainsi à « renouveler en profondeur le modèle français pour l’adapter au temps présent, et donner une nouvelle réalité à ses valeurs républicaines fondatrices » : liberté, égalité, fraternité. De ce point de vue, le principal objectif du gouvernement serait donc de sauver le modèle social français en l’adaptant aux nécessités du « temps présent ».
Alors, en définitive, à quoi pourrait ressembler ce « hollandisme » ? A ce stade, trois hypothèses peuvent être émises sur ce que pourrait être son destin. Si le positionnement social-libéral et réformiste de François Hollande est pleinement assumé, le hollandisme pourrait bien être la version française de ce qui a été appelé la « Troisième voie » durant la seconde moitié des années 1990, avec le blairisme, le clintonisme ou le « Nouveau centre » de Gerhard Schröder, à savoir une gauche qui assume pleinement des valeurs progressistes (justice sociale, liberté, égalité des chances, solidarité), tout en prônant le recours à de nouveaux moyens plus adaptés aux nécessités du « temps présent » dans un contexte de domination des idées libérales et conservatrices. Le hollandisme pourrait ainsi ressembler à cette Troisième voie à partir du moment où il réaffirme les valeurs progressistes et républicaines à travers le « nouveau modèle français » – M. Valls parlant de son côté dans le Gard d’une « gauche qui réussit » en tant que « synthèse nouvelle entre un réformisme assumé et une République intransigeante » –, tandis que les moyens sont adaptés aux circonstances par le biais d’un « réformisme assumé » (M. Valls). Ces circonstances étaient la mondialisation et la domination des idées néolibérales pour la « Troisième voie » des années 1990. Elles semblent être aujourd’hui la nécessité de réduire l’endettement public, la crise de la zone euro et la domination du « modèle allemand ». Ce serait donc le triomphe de la ligne incarnée par Manuel Valls. Il est d’ailleurs à noter à ce propos que, dans un discours prononcé à Leipzig le 24 mai dernier à l’occasion de la commémoration du 150e anniversaire du SPD, François Hollande a salué les réformes mises en œuvre par Gerhard Schröder dans le cadre de l’Agenda 2010, ce qui contraste fortement avec les réactions très critiques de la gauche française vis-à-vis du Manifeste Blair-Schröder de 1999 qui les a en partie inspirées.
Malgré tout, il est fort probable que la gauche au pouvoir continuera à se montrer « honteuse » et « complexée » en assimilant les compromis avec la réalité à des compromissions avec le « système ». Cette hypothèse fait du hollandisme l’incarnation d’une « gauche complexée » qui, en définitive, n’assume pas son pragmatisme, son réformisme et son approche social-démocrate et a fortiori social-libérale. Le Parti socialiste n’a jamais véritablement théorisé sa pratique au pouvoir, tant à l’échelle nationale que locale, en particulier après le « tournant de la rigueur » de 1983. Il n’y a pas eu de Bad-Godesberg français, le SPD décidant en 1959 lors de son Congrès organisé à Bad Godesberg de rompre de façon explicite et définitive avec le marxisme. Les socialistes dans l’opposition ou durant les campagnes électorales continuent ainsi généralement de rivaliser dans la promotion d’un discours radical, dont l’exemple emblématique a été bien entendu durant la campagne présidentielle de 2012 la proposition de taxer à 75 % les revenus les plus élevés. C’est un peu comme si la gauche radicale, en l’occurrence Jean-Luc Mélenchon et le Front de gauche aujourd’hui, représentait la « gauche pure » ou la « vraie gauche » et se positionnait en une sorte de « surmoi » de la gauche française. Or, une fois au pouvoir, les socialistes revêtent souvent les habits d’une gauche « honteuse » en mettant en œuvre à reculons une politique sociale-libérale. Dans ce contexte, le hollandisme pourrait être le digne héritier de ce schéma politique, notamment en tentant de conserver un équilibre fragile entre, d’un côté, la ligne Valls et, de l’autre, la ligne Montebourg-Duflot-Hamon, et par conséquent l’opposé exact du sarkozysme. En effet, si le sarkozysme était l’incarnation par excellence d’une « droite décomplexée », c’est-à-dire d’une droite qui assume pleinement son credo conservateur sur le plan des valeurs ou en matière de sécurité, d’immigration ou économique, le hollandisme pourrait être celle d’une « gauche complexée ».
Dans ce cas, le hollandisme pourrait être au bout du compte un simple « sarkozysme à visage humain ». C’est la troisième hypothèse. On peut estimer, en effet, que les étroites marges de manœuvre financières de l’Etat français et les contraintes européennes ne laissent pas réellement de choix à François Hollande qui doit mener une politique de « réformes structurelles » plus ou moins contre son gré et, en tout cas, bien éloignée de sa volonté de lutter contre « la finance » comme il l’avait affirmé lors de son discours du Bourget de janvier 2012(1) . En témoignent l’adoption du pacte budgétaire européen, la réforme du marché du travail, les efforts de réduction des dépenses publiques et du coût du travail, la politique visant à améliorer la compétitivité des entreprises françaises – le fameux « socialisme de l’offre » – ou la récente réforme des retraites. De ce point de vue, le hollandisme pourrait même s’avérer plus efficace que le sarkozysme, dans la mesure où François Hollande cherche à faire passer ces réformes par le biais de négociations entre partenaires sociaux ou au terme de nombreuses concertations en s’appuyant sur de fragiles équilibres politiques. Selon cette hypothèse, François Hollande pourrait ainsi réussir à procéder à ces réformes structurelles là où Nicolas Sarkozy a échoué en raison de ses méthodes plus consensuelles et donc du visage plus « humain » de sa politique.
Ce texte est l’adaptation en français d’un texte préalablement publié en anglais sur le site internet de Policy Network.
(1) Il déclarait alors : « Dans cette bataille qui s’engage, je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance. Sous nos yeux, en vingt ans, la finance a pris le contrôle de l’économie, de la société et même de nos vies ».