21.11.2024
Brésil et Etats-Unis : report de visite bilatérale, confirmation d’une mésentente cordiale
Tribune
20 septembre 2013
Il est vrai qu’au même moment une cascade d’annonces industrielles ont constitué autant de déceptions pour les intérêts économiques et commerciaux des Etats-Unis au Brésil. Les contrats rendus publics, concernent en effet la firme allemande Audi dont le président mondial, le 17 septembre après avoir rencontré Dilma Rousseff, a rendu public un projet d’investissement de 200 millions de dollars dans l’Etat de Parana au Sud du pays. Quelques jours auparavant les autorités des Etats de Rio et de Rio Grande du Sud ont signé deux contrats importants avec des entreprises chinoises. L’une, China Foton, va construire une usine de camions à Porto Alegre, et l’autre la société CNR va livrer une quinzaine de trains, type RER, à la ville de Rio. Parallèlement la diplomatie brésilienne a maintenu son cap traditionnel, hostile à toute forme d’initiative militaire qui n’aurait pas l’aval de l’ONU et donc, en clair, son refus de toute opération nord-américaine en Syrie. Cet environnement qui de toute évidence signale une distance économique et internationale, paraît s’accorder avec le report de la visite d’Etat que devait effectuer aux Etats-Unis la présidente brésilienne.
Comme toutes les évidences celle-ci doit faire l’objet d’une lecture critique. Les Etats-Unis restent un partenaire économique clef pour le Brésil, le deuxième. Les deux pays ont de concert créé en 2004 une organisation des pays producteurs d’éthanol. Le Brésil a pu grâce à la complicité des Etats-Unis accéder à la direction de la MINUSTAH, Mission de paix et de stabilité des nations Unies en Haïti. Washington a également accepté l’ouverture du G-7/G-8 à un certain nombre d’économies émergentes qui, avec le Brésil, participent désormais aux réunions du G-20. Le président Obama a choisi le Brésil pour sa première visite en Amérique du Sud, au mois d’avril 2012. Au-delà des points d’achoppement signalés, ces convergences sont apparues de nature à justifier une visite de Dilma Rousseff à Washington. La dernière de ce type effectuée par un Chef d’Etat brésilien remontait à Fernando Henrique Cardoso. C’était en 1994. Le report doit donc être pris pour ce qu’il dit et être replacé dans son contexte.
Qu’exprime le communiqué de la présidence brésilienne ? Sa lecture apporte les éléments permettant de comprendre la décision. « Le gouvernement brésilien » est-il dit dans cette déclaration, « a très présent l’importance et la diversité des relations bilatérales (…) Mais les pratiques illégales d’interception des communications d’entreprises et de membres du gouvernement brésilien sont des faits graves affectant la souveraineté nationale et les droits individuels. Ils sont incompatibles avec la convivialité démocratique entre pays amis (…) En l’absence d’explications et d’engagements impliquant la suspension de ces activités, les conditions de la visite restaient conditionnées par cette question (…) Le gouvernement brésilien est convaincu qu’une fois résolue de façon satisfaisante la visite d’Etat pourra être immédiatement organisée afin de dynamiser la construction d’un partenariat stratégique .».
Les faits auxquels il est fait allusion ont été publiés au Brésil par le quotidien Globo sur la base d’informations émanant d’un ancien fonctionnaire du service d’information des Etats-Unis, Edward Snowden, authentifiées et diffusées par le journal anglais The Guardian . La conclusion tout autant que les attendus de ce communiqué présidentiel ne font que rappeler les choix diplomatiques qui sont ceux du Brésil aujourd’hui. Le Brésil s’efforce de participer à la redéfinition du concert des nations sur des fondations multilatérales respectueuses des souverainetés et privilégiant le système des Nations Unies. Cette société d’égaux en quête de partenariats suppose la remise en cause des places acquises à la fin de la deuxième guerre mondiale, ainsi que des pratiques reposant sur la primauté de la force et des facteurs militaires. Puissance privilégiant la médiation, et le dialogue, le Brésil condamne les initiatives militaires unilatérales. Il a ces dernières années noué et inventé de nouvelles alliances destinées à créer les rapports de force susceptibles de créer la rupture du monde d’hier. L’espionnage dont ont été victimes ses dirigeants et ses entreprises phares, de la part de l’une des puissances établies, les Etats-Unis, révélateur d’une hiérarchie implicite entre Etats, était dans ce contexte inacceptable.
Les autorités brésiliennes comme bien d’autres en ont tiré des conclusions très concrètes. Des projets de durcissement des réseaux de communication, de création de lignes évitant les Etats-Unis sont d’ores et déjà à l’étude. Des propositions vont par ailleurs être faites à l’Union internationale des télécommunications en faveur d’une cyber souveraineté. Brésil et Argentine ont dans l’attente décidé de coordonner leurs défenses informatiques. Un groupe de travail piloté par les deux ministères de la défense a été mis en place le 13 septembre 2013.
Le Brésil en cette affaire, a une nouvelle fois fait preuve d’originalité diplomatique. Bien d’autres pays ont en effet été victimes de ces intrusions nord-américaines, peu respectueuses de leur souveraineté. Acteur original, artisan d’un changement des règles passant par leur respect, le Brésil aura été l’un des rares à en tirer des conséquences, qui au-delà de mesures de défense très concrètes, ont été exprimées de façon publique et ouverte.