12.11.2024
Syrie : le naufrage de la stratégie occidentale
Tribune
9 septembre 2013
Depuis 2011, La chute de la plupart des États laïcs renouvelle le rêve d’un empire cimenté autour du confessionnel, de l’identitaire et du ressentiment et resserre progressivement l’espace stratégique à un affrontement Sunnites contre Chiites. Le recul des Laïcs et l’alliance de circonstance conclue avec un Occident poursuivant aveuglément l’improbable chimère de « l’homme démocratique », permettent aux Sunnites, amenés par d’habiles monarques autocrates, d’espérer effacer les dernières scories du baasisme et de resserrer l’étau autour de l’Iran perse. Poussée au son du canon vers le Croissant chiite, visage modéré à l’Ouest. Lénine pensait, paraît-il, que l’Occident vendrait même la corde pour se pendre ; aujourd’hui c’est son âme même qu’il est tenté de vendre pour un point de croissance.
Tout cela est-il en effet de l’intérêt de l’Occident dont la religion politique s’appuie sur trois piliers, l’universalisme du concept démocratique, les droits de l’homme et la laïcité et garantit-il mieux la sécurité du monde ?
L’intérêt et la sécurité pérennes de la Nation, et par extension de la communauté internationale et donc de tous les peuples, ces deux moteurs légitimes de toute stratégie, s’estompent aujourd’hui devant le souci immédiat de faire justice d’un acte barbare. La punition comme nouveau paradigme de la stratégie, soit, mais qui en juge ? Voici qu’il n’est plus question d’obtenir la légitimité par la légalité d’une décision de l’ONU, mais que l’on s’apprête à dissocier la légitimité de la légalité. Est-ce bien de l’intérêt des membres permanents du Conseil de sécurité de saper les fondements de leur institution qui subordonne, jusqu’à présent, la légitimité des actions à la légalité internationale du mandat de l’ONU ?
Quant à la sécurité, après la chute de l’État syrien, toutes les ambitions locales et régionales se débrideront, chacun cherchant à se tailler un fief. Les plus faibles, minorités chrétiennes, orthodoxes, chiites, seront écrasés. Leur protection nécessiterait une intervention terrestre de la communauté internationale, mais elle ne viendra jamais : « l’intervention terrestre est exclue ».
Observons plutôt Poutine préparer sa riposte, en suivant le conseil de Sun Tzu : « Le suprême raffinement dans l’art de la guerre, c’est de s’attaquer aux plans de l’ennemi. ».
Avant la réunion du G20, il a annoncé la suspension de la livraison d’armes à Al-Assad, réitéré sa demande de preuves intangibles d’emploi par la Syrie d’armes chimiques et annoncé un éventuel appui aux sanctions. Il s’est ainsi placé à la « poignée d’éventail stratégique», situation permettant tous les choix. Ainsi il pourra, pour prix de sa participation, exiger un droit de regard sur le plan de frappe et en exploiter les faiblesses. Il pourra aussi disqualifier la force en renvoyant aux Occidentaux, partisans de l’intervention, la question du règlement politique, en se faisant fort d’amener Al-Assad aux négociations. Les Occidentaux et les alliés arabes pourront-ils de leur côté y amener une opposition disparate et querelleuse ? Accepteront-ils que siègent les différents acteurs de cette guerre régionale, notamment l’Iran, le Liban avec toutes ses composantes ? Rien n’est moins sûr.
Le Conseil de sécurité vacille : l’attitude chinoise et russe paraît en être la première responsable. Mais les pays occidentaux ont-ils su rester hors de la mêlée pour jouer le rôle d’arbitre et renforcer le rôle de l’ONU dans la préservation de la paix, notamment par le biais de l’Assemblée générale ?
L’on voit déjà surgir de la crise syrienne un affaiblissement des instances de régulation mondiale, un déséquilibre grandissant au Proche-Orient autour d’un complexe obsidional iranien qu’il serait dangereux de négliger, un encouragement aux ambitions politiques et de puissance soutenues par les pétrodollars et l’exploitation de la religion, qui, les uns et l’autre, permettent la mainmise sur les populations, ici occidentales, là orientales. Enfin, devant une Europe affaiblie, des États–Unis empêtrés dans leurs alliances, s’engagera ensuite la lutte pour la suprématie au Proche-Orient dans l’affrontement de la grandeur ottomane contre la grandeur arabe.
La stratégie est aussi l’art d’anticiper et contrecarrer les évolutions dangereuses. Ces évolutions sont inscrites au quotidien dans les mille tensions entre modes de pensée, visions du monde, comportements, croyances, utopies. À travers ces milles ronces sur un chemin tortueux, sachons faire une route plus directe. L’utilisation des armes chimiques, comme du terrorisme est un crime absolu contre lequel il faut lutter, mais cette lutte passe avant tout par le traitement des causes.
Il y a alors urgence à faire une grande « frappe politique », tant que nous avons encore quelque pouvoir, avec tous les partis en présence. Non seulement parce que la paix doit aussi se négocier avec l’ennemi, mais encore parce qu’il en va du rôle d’arbitre de l’ONU et des membres de son conseil de sécurité. Demain, les 20 Nations les plus puissantes se rassemblent. Invitons-les, non à rejoindre une coalition militaire punitive, mais une conférence d’arbitrage pour construire un plan de stabilité de Proche-Orient qui fasse une place à chacun. Parlons avec les Russes qui détiennent l’une des clés, nous avons l’autre. Exigeons la présence de tous les acteurs, y compris des perturbateurs. Exigeons une attitude digne et responsable des différents acteurs de la rébellion, ce serait déjà pour eux un premier pas vers la démocratie.
L’objectif sera de faire une place pour tous et de la garantir par des engagements internationaux, de faire comprendre qu’il n’y a pas des proies et des chasseurs dans les relations internationales, mais un besoin de juste équilibre de puissance, de garantie des frontières pour protéger les peuples et de gouvernance pour protéger les droits de chacun à l’intérieur de ces frontières. Et derrière ces objectifs, alors oui, mettons la puissance militaire.