ANALYSES

Chine et opérations de maintien de la paix : un changement radical ?

Tribune
2 juillet 2013
Cette participation de 500 hommes, dont 155 issus du génie(2), « marque un grand changement dans la politique étrangère de Pékin », comme le souligne le Financial Times(3) . « Nous allons envoyer des forces de sécurité complètes au Mali pour la première fois. », a déclaré Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères chinois, dans un discours prononcé lors d’un forum de sécurité jeudi 27 juin à Beijing (Pékin). Fonctionnaires et universitaires chinois ont souligné que ce contingent chinois comprendrait des troupes de combat. Ils seront chargés de la sécurité du quartier général de la Minusma et des zones d’habitation des Casques bleus.

Ayant près de 1 900 militaires déployés à la date de décembre de l’année dernière sur différents théâtres d’opération(4) (Liban, RDC, Côte d’Ivoire, Haïti, Soudan), la Chine est déjà le plus gros contributeur aux missions de maintien de la paix de l’ONU (PKO, « peace keeping operations ») parmi les cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU.

L’évolution n’en est pas moins radicale. Mais elle a été préparée par une lente montée en puissance de la contribution chinoise aux opérations PKO. « La position de la Chine sur les missions de maintien de la paix a considérablement évolué au cours des quatre dernières décennies à partir d’une attitude de scepticisme profond à celle d’un engagement actif », indique un rapport de Saferworld (5), une ONG s’intéressant à la prévention des conflits.

Le premier déploiement par la Chine d’observateurs civils dans des opérations de paix de l’ONU a eu lieu en 1989 en Namibie. En avril 1990, Pékin a déployé des observateurs militaires au Moyen-Orient, marquant la première participation de l’Armée populaire chinoise (APL) à une opération de maintien de la paix des Nations Unies. Tout au long des années 1990, la Chine est restée très prudente quant au recours à la force dans le cadre de missions de paix de l’ONU, sauf en cas de légitime défense autorisée en vertu Chapitre VII(6) (menaces à la paix internationale) de la Charte des Nations Unies. A partir de 1999, la position de la Chine sur l’usage de la force en vertu du chapitre VII est devenue plus souple et moins conservatrice. Cette évolution résulte de la constatation que l’approche traditionnelle du maintien de la paix était mal adaptée aux types de conflits face auxquels les soldats de la paix étaient de plus en plus déployés. La Chine a ainsi soutenu la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC) afin qu’elle puisse utiliser la force pour protéger les civils, victimes de graves violations des droits humains dans l’Est du pays.
Néanmoins la prudence et le non-engagement de forces militaires ont imposé des limites que Pékin n’avait, jusqu’à présent, pas dépassées. Ainsi, en 2006, la Chine a refusé de soutenir l’extension de la Mission des Nations Unies au Soudan (MINUS) qui devait permettre d’entrer et de recourir à la force dans la région occidentale du Darfour pour protéger les civils. Le raisonnement de la Chine est que, contrairement au cas de la RDC, le gouvernement soudanais n’avait pas donné son consentement. Néanmoins, le contingent chinois dans les opérations PKO n’a cessé de croître. « En juillet 2010, 2 013 casques bleus chinois servaient dans neuf des 15 opérations de maintien de la paix dans le monde(7) ».

Une série de facteurs motivent l’implication chinoise dans les opérations de maintien de la paix. Pour la Chine, l’appui au maintien de la paix est considéré comme un moyen de soutenir le multilatéralisme plutôt que l’unilatéralisme comme solution aux défis de la sécurité mondiale. Faire partie des opérations de paix donne à la Chine un pouvoir d’influence dans ces opérations et permet à Pékin de s’assurer que ses vues sur ce qui est et ce qui n’est pas une intervention légitime de l’ONU sont non seulement entendus, mais sont également consécutifs à la prise de décision. Cet engagement donne également à la Chine une plus grande visibilité dans l’ensemble du système des Nations Unies, ce qui lui permet de réaliser des gains diplomatiques dans d’autres domaines.

L’implication de la Chine dans le maintien de la paix découle également de la reconnaissance du fait que la croissance et le développement à long terme de « l’empire du Milieu » sont de plus en plus liées à la paix internationale et que les opérations de maintien de la paix de l’ONU sont un « moyen important de maintenir internationale paix et la sécurité ». Comme dans le cas de sa participation aux opérations anti-piraterie au large de la Somalie, l’accroissement du rôle de la Chine dans le maintien de la paix reflète également les efforts déployés par le colosse asiatique pour améliorer son image internationale en tant que puissance constructive et responsable. Pékin souhaite être perçu comme partageant le fardeau du maintien de la paix et de la sécurité internationales. D’ailleurs, Pékin, en 2010, participait à hauteur de 300 millions de dollars au coût des opérations PKO. En outre, le gouvernement chinois s’est montré réticent à alimenter les craintes provoquées par sa modernisation militaire rapide en laissant l’APL mener des opérations à l’échelle mondiale trop rapidement.

M. Wang, dans le premier discours exposant les principes et les tendances de la politique étrangère chinoise depuis qu’il est devenu ministre en mars de cette année, a indiqué que Pékin ne voulait pas être perçu comme changeant radicalement de politique étrangère alors que la Chine marxiste affirme son statut de puissance mondiale. Il a réitéré les principes éprouvés de la non-intervention et du rejet de la force militaire comme moyens de résolution des conflits. Mais en décrivant les défis auxquels est confrontée la Chine, il a également mentionné la nécessité d’aligner sa politique étrangère sur ses intérêts mondiaux croissants. Mais indique le Financial Times , « l’APL examine la possibilité d’envoyer des troupes de combat dans des missions de l’ONU depuis au moins quatre années. A l’aube de l’an dernier, Pékin a franchi une étape préparatoire en envoyant des troupes terrestres en mission au Sud-Soudan qui ont reçu la tâche de garder et de protéger leurs ‘collègues’ intervenant dans le domaine médical et de l’ingénierie. »
Une source proche de la mission de l’ONU au Mali a déclaré que l’engagement de la Chine dans ce pays sub-saharien n’était pas différent de la participation au Sud-Soudan, en substance, mais l’annonce publique du gouvernement a montré que l’envoi de troupes, qui pourraient avoir à se battre, était maintenant reconnu comme une éventualité acceptable.

Mais derrière les objectifs politico-diplomatiques de l’implication croissante de Pékin dans les PKO en général et de l’intervention chinoise en Afrique en particulier, apparaissent clairement des enjeux économiques comme le souligne François Lafargue, spécialiste de la Chine et professeur à l’école ESG(8). «Tout d’abord, il y a une motivation énergétique : l’Afrique a 10% des réserves mondiales de pétrole. Etant donné que la Chine est très énergivore, elle entretient des relations étroites avec les pays pétroliers tels le Soudan ou la Libye. Il y a aussi une motivation minière : ce qui l’intéresse particulièrement, ce sont les minerais stratégiques (or, titane etc.) que l’on trouve notamment en Afrique australe (Zimbabwe, Afrique du Sud etc.). Le dernier facteur est d’ordre commercial car le continent africain, c’est un milliard de consommateurs ! Certes, c’est une population qui a encore un faible pouvoir d’achat, mais les entreprises chinoises connaissent très bien ce marché puisqu’il ressemble à celui de leur pays. Ainsi, ils savent qu’il faut des produits simples, faciles à réparer, sans forcément de haute technologie. »

Cette combinaison d’intérêts politico-stratégiques et économiques, propres à une grande puissance en constitution, n’a d’ailleurs pas laissé indifférent le Japon qui ne souhaite pas passer sous les fourches caudines de Pékin. Et l’on peut penser qu’aussi bien l’implantation d’une base militaire japonaise à Djibouti que l’augmentation des crédits japonais au développement(9) en Afrique et à l’aide aux entreprises investissant dans les « terres rares » [des minerais stratégiques notamment pour l’industrie électronique], sur le continent noir(10), malgré la crise, traduisent la volonté de Tokyo de ne pas se laisser distancer par le puissant voisin qui lui a déjà ravi la place de deuxième puissance économique mondiale l’an dernier et dont les velléités d’expansion territoriales en Mer de Chine sont manifestes…

( ) David Baché, ‘Au Mali, les forces des Nations unies prennent le relais‘, Le Figaro, 1er juillet 2013
(2) Romain Mielcarek, « La Chine pourrait envoyer 500 casques bleus au Mali », Actu Défense, 24 mai 2013
(3) Kathrin Hille, ‘China commits combat troops to Mali‘, The Financial Times, 27 juin 2013
(4) « ONU : la Chine propose l’envoi de 500 soldats au Mali », Jeune Afrique, 23 mai 2013
(5) ‘China’s role in peacekeeping and peacebuilding‘, p72 in « China’s growing role in African peace and security », Saferworld, Janvier 2011
(6) http://www.un.org/fr/documents/charter/chap7.shtml
(7) Ibid
(8) Mélody Piu, «L’ambition de la Chine c’est de faire du business en Afrique», Afrique Chine. Net, 23 juillet 2012
(9) « Africa to receive $550 million in aid », The Japan Times, 18 mars 2013,
(10) Eric Johnston, « China biggest rival as Japan seeks to tap African resources », The Japan Times, 30 mai 2013


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