Brésil, mai en juin ? Quelques réflexions sur un OPNI (Objet politique non identifié) contestataire sorti de nulle part
Tribune
28 juin 2013
Ce feu a pris sur un terrain qui était prêt à s’embraser. L’augmentation du prix du billet de bus et de métro a été l’agent déclencheur. Les municipalités, responsables des autobus, et les Etats, gestionnaires des réseaux de métro, ont augmenté début juin le prix des titres de transport de 20 reals, c’est-à-dire de 7 centimes d’euros. La mesure a été immédiatement rejetée par un collectif pour les tickets gratuits, le MPL, né en 2005 pendant l’un des Forums sociaux de Porto Alegre. Une manifestation de protestation, a été organisée à Sao Paulo par le MPL. Elle a rassemblé le 13 juin un millier de personnes. Le gouverneur de l’Etat de Sao Paulo (PSDB, opposition) avec l’assentiment du maire (membre du PT, majorité gouvernementale) a donné carte blanche à la police de l’Etat pour libérer la chaussée. « Libération » des « vandales » qui l’occupaient, selon le propos tenu à ce moment là par le responsable du PSDB. Les images d’une police frappant les « vandales » à tour de bras et de matraques immédiatement diffusées dans tout le pays ont eu un effet mobilisateur et démultiplicateur.
Des milliers de manifestants ont revendiqué d’un bout à l’autre du pays l’annulation de la mesure. PT et PSDB ont été ciblés par les revendications. Et très vite les dépenses engagées pour la coupe du monde football (de 2014) et les JO de 2016 ont été contestées. La représentation politique (PT et PSDB) a été unanimement critiquée pour avoir choisi de consacrer l’argent public à des constructions d’utilité sociale moindre que les hôpitaux ou les écoles. Et ce d’autant plus que le football devient un spectacle réservé à une minorité en capacité financière de se payer une entrée (le rix d’un billet permettant d’assister à un match de première division est en effet d’environ 60 euros). Alors que le salaire minimum est de 237 euros, et le salaire moyen de 880. « Ton fils est malade », « Va à Maracana » (le grand stade de Rio de Janeiro), affichait des pancartes vues dans les défilés de la contestation.
La revendication a été d’autant plus généralisée que le Brésil est économiquement en roue libre depuis deux ans. La croissance de 7,5% en 2010, est tombée à 3,5% en 2011 et 0,9% en 2012. Les prix ont parallèlement augmenté. La hausse des tarifs de bus et de métro a pris une valeur symbolique pour tous ceux qui jusque-là bénéficiaient d’un contexte porteur d’optimisme et de consommation. Les manifestants d’après un sondage sont dans leur grande majorité, jeunes, de formation supérieure, blancs et originaires des classes moyennes ayant profité du boum économique des dernières années.
L’opposition traditionnelle, le PSDB, est restée spectatrice, en dehors du mouvement. Le gouverneur de Sao Paulo a retiré la police des rues de la ville. Le PT et les partis situés sur sa gauche ont appelé leurs militants à entrer dans le mouvement. La grande presse et le canal Globo, sur le modèle de ce qui a été constaté ailleurs en particulier au Venezuela, ont tenté de canaliser les protestations en lieu et place du PSDB. Le feuilleton hebdomadaire ( telenovela que ne manque de suivre aucun brésilien) a été remplacé par des retransmissions en direct des manifestations. La télévision, les hebdomadaires, ont tenté de placer le thème de la corruption au cœur des revendications dans la perspective des présidentielles de 2014. Des « indignés » se qualifiant de nationalistes sont venus manifester avec des drapeaux du Brésil et des mots d’ordre anti-corruption dirigés contre la présidente et le PT. La violence alors a fait son apparition au sein même des cortèges, entre groupes refusant la présence du PT et des partis de gauche et groupes rejetant celle des nationalistes. Le MPL a suspendu les appels à manifester.
La présidente et son gouvernement ont annoncé qu’ils allaient recevoir les leaders du mouvement. Dilma Rousseff a imposé aux grands élus (maires et gouverneurs) la suspension des hausses de tarif. Elle a, vendredi 21 juin, au cours d’une brève allocution, signalé sa compréhension pour les revendications. Elle a annoncé un plan de modernisation du système de transport urbain, l’affectation des revenus attendus du pétrole à l’amélioration de l’école et des universités, le recrutement de médecins étrangers (cubains, espagnols, portugais) pour les affecter dans les régions non couvertes par le système médical. Elle défend pour assainir la vie politique le recours à un référendum proposant aux Brésiliens une grande réforme politique.
Ces mesures n’ont pas apaisé la rue. Certes, elle a moins mobilisé depuis ces annonces, mais c’est davantage la conséquence des divergences entre tous ceux qui s’essaient à la récupération d’un mouvement sans tête. Les grands élus du PT comme du PSDB grognent et demandent à l’Etat fédéral des compensations permettant de récupérer le manque à gagner qui leur a été imposé. Les partis politiques boudent ou critiquent l’idée d’une réforme qu’ils ont collectivement refusé de voter par la voie parlementaire jusqu’ici. L’ordre des médecins, hostile à l’arrivée de praticiens étrangers, appelle à la grève. Les sondages signalent un décrochage, encore relatif bien que significatif de la présidente dans les sondages.
Les mesures annoncées, et c’est le principal point d’achoppement, ne répondent pas à l’ampleur de la crise. Elles sont pour l’essentiel des réponses de moyen terme. Derrière le malaise d’une société est posée la perpétuation de la pertinence d’un modèle économique essoufflé, fondé sur l’essor du marché intérieur (à la différence du modèle chinois privilégiant les exportations) grâce à une politique sociale active et une alliance objective du pouvoir politique avec les industriels locaux. La décélération a inversé les priorités pour beaucoup de ceux qui jusqu’ici étaient entrés dans la consommation individuelle. Ils attendent de l’Etat aujourd’hui plus de protection et de biens collectifs, un Etat plus social et une police citoyenne. Or, sur ces terrains-là, peu a été corrigé depuis l’alternance de 2003.
Le plus préoccupant pour la majorité, est qu’il n’y a pas de réponse évidente. Le dialogue avec la rue est un exercice impossible, la rue n’ayant pas de représentant qualifié ni même de personnalité ou de parti souhaitant assumer ce rôle. Le PT, est sans voix, ou en cacophonie. Le PT a pris conscience qu’il vivait sur un fond de commerce usé jusqu’à la corde. Le PT qui a conquis le pouvoir grâce à son immersion dans les mouvements sociaux (syndicats, sans terre, sans toit), a, une fois aux responsabilités, bloqué la mécanique qui lui avait permis de gagner. Les gestionnaires aujourd’hui au pouvoir ont remisé Porto Alegre dans la mémoire collective. Il leur faut désormais rouvrir ce livre, le dépoussiérer et l’actualiser.
Elément aggravant, deux grands paris qui avaient été faits pour bonifier la croissance se sont retournés conte les autorités brésiliennes. Le plan éthanol devait permettre en attendant l’arrivée du pétrole inventé au large des côtes brésiliennes de garantir l’indépendance énergétique du pays dans des conditions financières acceptables. La hausse des cours du sucre a contraint le Brésil à importer du pétrole, devenu ces dernières années moins cher que l’alcool de canne. Ces importations pèsent sur la balance des échanges. Des liens commerciaux privilégiés ont été tissés avec la Chine. La Chine est devenue depuis 2009 le premier partenaire commercial du Brésil. La Chine absorbe les productions de la ferme Brésil (soja, viande, oranges etc..) et ses minerais (le fer en particulier). Et elle lui revend des produits à forte valeur ajoutée qui viennent concurrencer les productions industrielles brésiliennes en Amérique du sud, en Afrique, mais aussi sur son propre marché. La petite croissance brésilienne de 2012 est d’origine agricole, la production industrielle a été en 2012 en effet négative.
Les Noirs, les résidents des favelas, les plus pauvres des Brésiliens, bénéficiaires des plans sociaux, n’ont pas manifesté. Sans doute ont-ils bien fait, instruits par l’expérience de la vie. Des groupes de délinquants, jeunes pour la plupart, sortis d’une favela proche de l’aéroport de Rio de Janeiro, ont tardivement cherché un profit personnel en rançonnant des manifestants et des automobilistes. Huit d’entre eux sont tombés sous les balles de la police dans le silence assourdissant des médias locaux.