19.12.2024
A quoi joue Monsieur Kim ?
Tribune
11 avril 2013
Au cours des dernières semaines, en réaction aux provocations de Pyongyang, Kim Kwan-jin a fait quelques sorties remarquées, qui contrastent avec les appels au calme de la communauté internationale. Il a ainsi évoqué de fortes frappes en riposte à une attaque de la Corée du Nord, ce qui est pour le moins légitime, mais il a aussi lancé l’idée de procéder à des frappes préventives contre des installations militaires et des sites nucléaires en territoire nord-coréen. S’il est certain que la chute du régime nord-coréen ne saurait émouvoir pas grand monde, de telles frappes seraient totalement illégales, ne bénéficiant pas d’un soutien du Conseil de Sécurité de l’ONU, et pouvant même faire l’objet d’une sévère condamnation. Après tout, la Corée du Nord est un Etat membre de l’ONU. Pas le plus docile d’entre tous, mais un membre à part entière. A moins de pouvoir les justifier par l’imminence d’une attaque (et pour cela, il faut autre chose que des discours musclés de Pyongyang), ces frappes préventives seraient dès lors une agression, que certaines grandes puissances ne manqueraient pas de condamner immédiatement. Il s’agit donc de rhétorique, pourrait-on dire, et c’est sans doute le cas. Mais dans le bras-de-fer qui l’oppose à la Corée du Nord, la stratégie de la surenchère de la Corée du Sud est-elle vraiment la mieux appropriée ? On peut en douter.
Kim Kwan-jin a cherché dans le même temps à rassurer la population sud-coréenne, soucieuse de sa rhétorique belliqueuse, sur les capacités de protection du territoire national. Les missiles nord-coréens ne seraient ainsi pas capables, selon lui, de frapper la moindre cible en Corée du Sud, car ils seraient immédiatement abattus. C’est sans doute en grande partie vrai, compte-tenu des capacités antimissiles déployées par Séoul, avec le soutien de Washington. Mais il s’agit là encore de déclarations inquiétantes, en ce qu’elles supposeraient que si la guerre ne peut pas affecter la Corée du Sud, eh bien pourquoi ne pas dans ce cas la cautionner. De là à y voir une forme d’arrogance, il n’y a pas loin, et l’arrogance n’est jamais bonne conseillère en diplomatie.
Le Ministre de la défense nationale s’est également exprimé en faveur de l’évacuation des ressortissants sud-coréens du complexe industriel de Kaesong, situé juste au nord de la zone démilitarisée (DMZ), ouvert consécutivement aux accords de coopération économique dans le cadre de la sunshine policy , et symbolisant la tentative de rapprochement entre les deux pays. Cette position peut bien sûr être justifiée à la lumière des risques sécuritaires pour lesdites personnes, et répond du tac-au-tac aux déclarations de Pyongyang souhaitant interdire l’accès du site aux Sud-coréens. Elle est en revanche dommageable en ce qu’elle ne fait qu’alimenter l’escalade de la rhétorique entre les deux Corées, et fait ainsi le jeu de Pyongyang.
Pourquoi Monsieur Kim se permet-il de telles déclarations, quand on connaît la susceptibilité de Pyongyang, et prend le soin de mesurer les effets catastrophiques qu’engendrerait un conflit pour les deux camps ? Il y a sans doute deux éléments de réponse. D’une part, ses antécédents lui permettent de considérer sans crainte que les capacités militaires de la Corée du Sud sont aujourd’hui infiniment supérieures à celles de la Corée du Nord, arme nucléaire exclue. Le ministre de la défense nationale se sent donc en position de force, il sait que l’issue d’une hypothétique guerre ne fait pas le moindre doute, et cette position de force est pour lui le principal argument que Séoul doit mettre sur la table lors des négociations avec Pyongyang. En clair, plus question de céder aux provocations, et pas question non plus de laisser d’autres agressions, comme celles de 2010 (contre le Cheonan puis l’île de Yongpyeong), impunies.
D’autre part, Kim Kwan-jin incarne la mouvance des conservateurs au sein du gouvernement sud-coréen. Madame Park, malgré son positionnement politique et ses antécédents familiaux (fille de dictateur et « première dame » consécutivement à l’assassinat de sa mère en 1974), s’est montrée plus ouverte au dialogue avec le Nord que son prédécesseur Lee Myung-bak. Mais elle ne peut diriger le pays sans s’appuyer sur les milieux conservateurs, y-compris ceux qui sont favorables à une rupture du statu quo avec le Nord, même si cela doit conduire à un conflit. Nul doute que les petits jeux dangereux ne sont pas le monopole de Pyongyang et que ceux de Kim Kwan-jin font, dans ces milieux conservateurs, des heureux.