ANALYSES

Boko Haram, Ansaru : des organisations complexes

Tribune
18 mars 2013
Par Laurent de CASTELLI, diplômé en Défense, Sécurité et Gestion de crise d’IRIS Sup’, spécialisé sur Boko Haram
Boko Haram n’est pas le nom officiel de la secte mais un surnom que les populations du Nord du Nigeria ont donné aux mouvements islamistes radicaux. Son vrai nom est Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’awati wal-Jihad (Mouvement dévoué aux enseignements du Prophète pour la propagation et la guerre sainte). Ce mouvement fut créé par Mohammed Yusuf, il y a une dizaine d’années. A la mort de ce dernier, Abubakar Shekau s’est autoproclamé nouveau leader du mouvement avec pour objectif l’application de la Charia la plus stricte au Nigeria. Abubakar Shekau ne fait pas l’unanimité parmi les membres de la secte. Beaucoup lui reprochent les attaques contre des civils considérés comme étant de ‘mauvais musulmans’ et de s’éloigner de la voie tracée par son prédécesseur. Par conséquent, ce n’est pas parce qu’un groupe déclare faire partie de Boko Haram qu’il s’agit forcement de celui dirigé par Abubakar Shekau. Les membres de la secte peuvent très bien faire référence au mouvement créé par Mohammed Yusuf et rejeter le leadership d’Abubakar Shekau.

On peut considérer le nom de Boko Haram comme une sorte d’enseigne composée de plusieurs entités qui n’obéissent pas toutes à un commandement commun. Certains groupes gravitant autour du mouvement sont plus semblables à de simples bandits sans idéologie qu’à des fondamentalistes.

Il faut également ajouter à cet élément des informations contradictoires qui rendent très difficile la compréhension de l’organisation de Boko Haram. Pour exemple, le 28 janvier 2013 un certain Sheikh Abu Mohammed Ibn Abdulazeez annonce un cessez-le-feu et appelle tous les membres de Boko Haram à le respecter. Il prétend parler avec l’accord d’Abubakar Shekau. Ce dernier s’exprimant dans une vidéo publiée le 5 mars, nie avoir dialogué avec le gouvernement au sujet d’un cessez-le-feu et déclare ne pas connaître Sheikh Abdulazeez. Pourtant le 14 mars ce même Sheik Abdulazeez s’exprime de nouveau pour déclarer que la vidéo est une fausse, qu’il a le soutien complet d’Abubakar Shekau et qu’il le connaît depuis de nombreuses années (3). Ces défauts de communication, voulus ou non, sont très nombreux et ne permettent pas une vision claire de ce qu’est réellement Boko Haram.

Le groupe Ansaru, qui a revendiqué l’exécution de 7 otages (un Italien, un Grec, un Britannique et 4 Libanais), illustre également certaines des dissensions au sein de Boko Haram. Le groupe dont le nom complet est Jama’atu Ansarul Muslimina Fi Biladi Sudan (Mouvement pour la protection des musulmans en Afrique noire), a pris ses distances avec l’organisation originelle il y a un an et déclare être « engagé dans la même bataille, mais avec différents leaders » (4). Si la ‘bataille’ est commune, les objectifs sont différents. Ansaru souhaite contribuer à la création d’un vaste Etat islamique (sorte de califat) qui engloberait une grande partie de l’Afrique de l’Ouest. Les cibles du groupe sont également différentes. Jusqu’à présent Boko Haram s’est surtout attaqué à des Nigérians (forces de sécurités, chrétiens ou musulmans) alors qu’Ansaru a pour cible principale les pays occidentaux et particulièrement la France.

Dans la revendication de l’enlèvement de l’ingénieur français, le 23 décembre 2012, Ansaru déclare s’attaquer à la France pour son ‘rôle majeur’ au Mali. Il poursuit en indiquant qu’il « continuera à lancer des attaques contre le gouvernement français et les citoyens français »(5). Pourtant le 25 février 2013, c’est Boko Haram qui revendique l’enlèvement des 7 français au Cameroun dans une vidéo dont la ‘mise en scène’ ne ressemble pas du tout à ses précédentes vidéos. S’il s’agit bien de Boko Haram et non d’Ansaru, ce serait la première fois que le groupe enlève des Occidentaux.

De plus, Ansaru pourrait avoir perpétré l’enlèvement, toujours dans le Nord du Nigeria, des deux ingénieurs britannique et italien. Les deux hommes avaient été tués par leurs ravisseurs lors d’une tentative de sauvetage en mars 2012. Le Nigeria avait alors attribué cet enlèvement aux membres de Boko Haram, bien qu’il n’ait jamais été revendiqué. Pourtant quelques mois plus tard, le ministre de l’Intérieur britannique avait présenté Ansaru comme une organisation terroriste ayant des liens avec Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) et pouvant être responsable de leur enlèvement (6). La Grande-Bretagne a d’ailleurs inscrit le groupe sur sa liste des organisations terroristes. Le nom du leader d’Ansaru, Abu Ussamata Al Ansari, est certainement un pseudonyme. Il s’agirait en fait de Khalid al-Barnawi, l’un des trois membres de Boko Haram avec Abubakar Shekau et Abubakar Adam Kambar à être sur la liste américaine des personnes considérées comme terroristes pour leurs relations avec AQMI.


Tous ces éléments nous font penser que l’organisation de Boko Haram est en pleine évolution. Est-ce-que le mouvement se restructure ? Est-ce une stratégie pour brouiller les pistes ? Actuellement la seule certitude est que le mouvement islamiste radical du Nord du Nigeria est en plein essor.

(1) Vandguardngr.com, ‘Boko Haram: Plot to shoot down Jonathan’s plane foiled’, 10 mars 2013.
(2) Vandguardngr.com, ‘Jonathan in Boko Haram strongholds: I can’t declare amnesty for ghosts’, le 8 mars 2013.
(3) Allafrica.com, ‘Nigeria: We Are Not Ghosts, Boko Haram Tells Jonathan’, le 14 février 2013.
(4) Jeune Afrique, ‘Qui se cache derrière le groupe jihadiste nigérian Ansaru ?’, le 24 décembre 2012.
(5) JeuneAfrique, ‘Nigeria: un groupe islamiste revendique l’enlèvement d’un Français’, le 23 décembre 2012.
(6) BBC News, ‘Profile: Who are Nigeria’s Ansaru Islamists?’, 19 février 2013.
(7) RFI, ‘Mali : un document inédit sur la stratégie d’Aqmi dans le Sahel retrouvé à Tombouctou’, le 16 février 2013.
(8) http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article7251

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