20.11.2024
Etre Rom en Hongrie
Tribune
14 mars 2013
La marginalisation des Roms s’inscrit à la fois dans le temps long et le temps court. Depuis leur arrivée en Europe, ils exerçaient des métiers qui n’ont plus guère de place dans l’économie contemporaine. Pendant le communisme, les Hongrois étaient officiellement tous frères et le discours raciste se trouvait interdit. L’économie planifiée leur assurait un emploi, notamment dans l’industrie lourde. Lorsque ces activités se sont écroulées au début de la transition, les Roms ont été les premiers mis au chômage. Depuis les années 1990, de nombreuses générations d’enfants ont vu leurs parents chômer. Dans l’Est de la Hongrie, certaines régions affichent un taux de chômage des Roms à 85%. Ils dépendent totalement des aides sociales. Les autres Hongrois disent souvent : « Les Roms ne travaillent pas ». Pourtant, si on considère les travaux effectifs, au noir, ils travaillent parfois plus que les autres Hongrois. Avec la démocratisation, le racisme anti-Roms a pu s’exprimer plus aisément au grand jour. Compte tenu du chômage, la petite criminalité a explosé. L’extrême droite a profité du fait que durant de nombreuses années la gauche a été aveugle à ce sujet. Résultat, le parti d’extrême droite Jobbik a fait son entrée au Parlement en 2010 sur un discours anti-Roms, antisémite et anti-Union européenne.
Dans l’imaginaire politique hongrois, les Roms sont les boucs émissaires de tout ce qui ne va pas. Ils sont accusés de « sucer le sang » de la société des honnêtes gens, de ne pas vouloir travailler même quand on leur donne un travail. Il existe une corrélation entre la crise économique engagée en 2008 et le renforcement du discours anti-Roms. Beaucoup ont besoin d’une bête noire pour mieux accepter les difficultés du temps présent. Anna Politovskaïa a écrit que, durant la guerre de Tchétchénie, ce peuple servait de paillasson aux Russes pour qu’ils se sentent moins mal durant les années difficiles de la transition. Les Roms remplissent la même fonction pour les Hongrois.
La discrimination des Roms commence dès le plus jeune âge en Hongrie. Aujourd’hui, ce pays de l’UE compte plusieurs milliers de classes d’école où les enfants Roms se trouvent séparés des autres. Les responsables éducatifs « justifient » cette séparation par des « besoins spécifiques » ou l’existence de handicaps éducatifs à prendre en compte. Même condamnées en justice, ces pratiques discriminatoires se poursuivent, s’appuyant sur des préjugés anciens. 70 % des parents Hongrois ne voudraient pas voir leur enfant assis à l’école à côté d’un Rom. 86% des lycéens de 16 ans ne partageraient pas leur banc avec un Rom.
Tant que les gouvernements ne formeront pas les plus jeunes d’une manière non discriminatoire, rien ne changera. Pour l’heure, aucune mesure gouvernementale ne vient mettre fin à la ségrégation dans les écoles. En revanche, bien des mesures prises augmentent indirectement la marginalisation des Roms, par exemple l’abaissement de l’âge auquel l’école est obligatoire.
Une fois dans la rue, un Rom a trois fois plus de probabilité de se faire arrêter par la police qu’une autre personne. Et les tribunaux les condamnent systématiquement à des peines plus lourdes.
La représentation raciste du tsigane, assez largement partagée, est la formulation visible des questions que les Hongrois se posent sur eux-mêmes.
Bien évidemment, la Hongrie n’a pas le monopole des Roms puisqu’ils vivent également en Roumanie, Bulgarie, Slovaquie… et dans les Balkans occidentaux. La Bulgarie a connu des pratiques qui font penser au pogrom. La Slovaquie compte même une ville où un mur a été construit pour isoler un quartier Rom. La levée de l’obligation de visa pour les ressortissants des Balkans occidentaux ouvre la porte à de nouveaux flux de Roms dans les pays membres de l’UE, parce qu’ils sont également marginalisés dans cette région.
Il faut bien par ailleurs admettre que l’UE n’a pas fait grand-chose pour les Roms de Hongrie ou d’ailleurs. Les pays membres comme la France se préoccupent surtout de leur discours sécuritaire de droite ou de gauche et les Roms y remplissent aussi d’une certaine façon la fonction de boucs émissaires. Pour autant, cela ne règle rien. La présidence hongroise de l’UE, au 1er semestre 2011, a vu le lancement de la première stratégie communautaire à destination des Roms. Ce qui était politiquement habile. Il faut maintenant mettre en place des mesures concrètes. Le gouvernement hongrois a mis en œuvre un programme de mise au travail des Roms, avec des tâches de travaux publics qu’une machine pourrait faire, payé 150 euros par mois pour 40 heures de travail hebdomadaire. Ce système malmène les droits de l’homme et laisse aux roitelets locaux l’occasion de distribuer des miettes et de pratiquer des abus de pouvoir.
La région du Nord-Est de la Hongrie paraît particulièrement prioritaire à cause de la dégradation des conditions de vie de la population. Peut-être se dirige-t-on vers une explosion de la question des Roms qui est au moins autant une question sociale qu’une question ethnique, les populations non Roms de ces régions étant de fait souvent presque aussi pauvres que les populations Roms. Le Jobbik peut se renforcer et nul ne peut prédire ce qui va advenir.
Pour conclure, notons que la lecture du rapport 2012 de la Commission européenne au sujet des Balkans occidentaux promet entre les lignes que la question Rom restera d’actualité durant quelques temps. En effet, une large partie des pays candidats officiels ou potentiels des Balkans occidentaux se font épingler pour leur discrimination à l’encontre de leurs minorités, notamment Roms. Compte tenu de la levée de l’obligation de visa pour accéder dans l’UE déjà consentie ou à venir pour des raisons politiques, il semble probable que ces populations Roms marginalisées tentent l’aventure des pays membres de l’UE.
(1) Les résultats complets du dernier recensement ne sont pas encore connus.