19.12.2024
Fin de l’Occident, naissance du monde ?
Tribune
14 février 2013
Nous sommes engagés dans un grand mouvement historique de convergence : après deux à trois siècles qui ont vu les habitants des pays occidentaux accéder à un niveau de consommation matériel et énergétique très supérieur à celui de la moyenne des autres habitants de la planète, nous sommes entrés dans un mouvement de resserrement des écarts. Celui-ci doit nous faire revenir à la situation qui a été la normale durant les millénaires précédents de l’histoire de l’humanité : un niveau moyen de consommation matériel et énergétique très similaire d’un bout à l’autre de la planète.
Mais un phénomène totalement nouveau caractérise de sucroît notre époque : celle de la crise écologique, qui se dresse comme un mur devant la perspective d’un enrichissement matériel illmité de la société humaine. Cela signifie que les sept milliards d’humains que nous sommes aujourd’hui, les neuf que nous serons vers 2050, ne pourront pas vivre au niveau matériel et énergétique occidental actuel. La Grande convergence va se faire à un niveau plus bas, si l’on veut éviter le chaos écologique. Et donc, pour les habitants des pays occidentaux (mais aussi du Japon et d’autres pays riches du monde), un baisse de la consommation, un appauvrissement matériel.
Ce pourrait ne pas être aussi difficile qu’on l’imagine. En effet, les trois dernières décennies ont vu se produire une augmentation constante des inégalités dans les pays occidentaux, comme dans les pays émergents. Après un demi-siècle de resserrement des écarts de revenus internes aux sociétés, l’inégalité est repartie depuis 1980 à la hausse. A l’échelle mondiale, le 1 % le plus riche de la population s’approprie 14 % du revenu mondial, tandis que les 20 % les plus pauvres n’en reçoivent qu’1 %. Ainsi, la clé pour réaliser pacifiquement la convergence historique des niveaux de vie est la réduction drastique des inégalités au sein de chaque pays, et d’abord, bien sûr, dans les pays occidentaux.
Y a-t-il une contradiction entre l’objectif d’une énergie moins chère et celui d’équilibre climatique ?
Oui. Pour le comprendre, il faut raisonner en termes de budget global de gaz à effet de serre. Cette approche a été menée par des chercheurs dans des études fondatrices publiées en 2009 par le journal scientifique Nature (Meinshausen et al., Allen et al., Nature, 30 avril 2009). Ils ont analysé les conditions qui permettraient au réchauffement de ne pas dépasser de plus de 2 °C la température de l’ère pré-industrielle. Le dépassement de ce seuil – que la planète n’a pas expérimenté depuis au moins cent mille ans – déséquilibrerait le climat mondial.
Pour avoir les plus fortes chances de plafonner le réchauffement à 2 °C, ont calculé ces chercheurs, il faut limiter les émissions de gaz carbonique entre 2000 et 2050 à 1.000 milliards de tonnes. Or, depuis l’an 2000, l’humanité a déjà émis 300 milliards de tonnes de CO2. Elle devrait donc se limiter à 700 milliards pour les quatre décennies précédant 2050 ans. C’est beaucoup moins que le volume des émissions qui résulteraient de la combustion des réserves prouvées de pétrole, gaz et charbon. Y ajouter la combustion des hydrocarbures de schiste, des sables bitumineux ou des pétroles des fonds océaniques ferait crever ce plafond.
L’objectif de maintien de l’équilibre écologique impose donc de chercher à limiter l’extraction des ressources fossiles. Celle-ci ne reste au fond rentable que parce que l’on n’y inclut pas le prix de l’impact climatique que représente leur consommation. Il vaudrait mieux investir nos capitaux – et la créativité humaine – dans les moyens de réduire la consommation d’énergie et le développement des énergies renouvelables.
Vous souhaitez une sortie de la Grande-Bretagne de l’Europe. Pourquoi ?
L’Europe a toutes ses chances dans un avenir orienté vers une baisse de la consommation matérielle et une société tournée vers de meilleurs liens sociaux et une économie écologique : elle conserve tant bien que mal un bon appareil de solidarité collective, elle est relativement sobre énergétiquement, elle infléchit progressivement son économie vers l’écologie, elle n’est pas menaçante pour ses grands partenaires mondiaux, notamment émergents, et elle démontre par l’exemple qu’il est possible d’unir des peuples différents sans qu’ils perdent leur identité. Mais pour aller résolument dans la voie que dessine la Grande convergence, elle doit se libérer du système oligarchique dont la Commission et la soumission aux marchés financiers sont l’expression, et s’orienter vers une politique de réduction des inégalités dont l’unité fiscale est le principal moyen. De ce point de vue, la politique de la Grande-Bretagne, totalement liée aux intérêts de la City dont son économie dépend énormément, est un handicap pour la politique sociale nécessaire. Tant que la Grande-Bretagne restera aussi dépendante de la finance, elle ne peut être qu’un frein pour une Europe démocratique et écologique.