ANALYSES

Les Amérindiens : un cas de politique étrangère canadien

Tribune
12 février 2013
Par Charles Thibout, ancien assistant de recherche à l’IRIS
En octobre dernier, un mouvement de contestation a vu le jour : Idle No More (la passivité, c’est fini). Ce mouvement, fondé à la base par des Amérindiens, a rapidement pris un essor impressionnant, dépassant de loin le cadre des communautés autochtones. Idle No More est né lors du dépôt du projet de loi omnibus C-45 par le gouvernement fédéral. Cette loi, qui fut rapidement adoptée, prévoit entre autres des modifications majeures concernant en particulier la loi sur les Indiens, la loi sur la protection de la navigation et la loi canadienne sur l’évaluation environnementale. Ainsi, le ministre des Affaires autochtones se voit attribuer des prérogatives accrues et les modes de consultation des populations amérindiennes sont modifiés, ce qui laisse craindre à ces populations la remise en cause de leurs droits acquis. Ce texte induit en outre un affaiblissement de la protection des fleuves et des rivières qui parcourent leurs territoires, et il va par ailleurs dans le sens d’une modification quant à la détermination des modalités d’exploitation des terres des réserves. Bref, les Amérindiens accusent le gouvernement fédéral de s’attaquer à leurs droits acquis et à leurs droits en tant que Premières nations.

L’attitude du gouvernement de M. Harper est d’autant plus équivoque qu’elle recèle des éléments ayant trait à la politique étrangère du pays. C’est une tradition américaine que de considérer la question indienne comme une question de politique étrangère. Quoique les combats eussent été moins nombreux et moins sanglants au Canada qu’aux Etats-Unis, les mêmes comportements politiques se sont retrouvés de part et d’autre de la frontière. Cette posture s’est reflétée ostensiblement en 1996, lorsque la commission dite Erasmus-Dussault a exhorté le gouvernement fédéral à négocier avec les Autochtones sur la base d’une relation dite de « nation à nation. » Tandis que, jusqu’à la fin des années 1960, les politiques gouvernementales à l’égard des populations amérindiennes relevaient intégralement d’une tentative d’assimilation forcée, depuis lors, une transition a été opérée suivant les principes du multiculturalisme.

Cette position n’est pas l’apanage du gouvernement conservateur. D’autres partis politiques, à l’instar de Québec solidaire, fussent-ils visiblement favorables aux Autochtones, n’en considèrent pas moins eux aussi le cas autochtone comme une question de politique étrangère, du moins dans les termes qu’ils emploient. Ainsi, Québec solidaire estime que le projet C-45 est un « affront à la souveraineté des peuples autochtones ». Plus que la population d’un Etat fédéré, les Autochtones sont distingués du reste des Canadiens, qu’ils soient d’origine européenne, asiatique, africaine ou autre.

Depuis l’origine des relations entre Européens et Amérindiens, les conflits se sont produits pour la plupart sur la question de l’extraction des ressources naturelles qu’entravaient les Autochtones. Aujourd’hui encore, le gouvernement canadien voit dans les Autochtones un obstacle à l’expansion économique du pays. La raison principale relève de la conception de la propriété des Amérindiens, qui n’a rien à voir avec celle des Occidentaux. Loin de concevoir la propriété comme un bien privé et individuel, les Amérindiens l’ont toujours considérée comme un bien commun et tribal. Et, de fait, les expropriations qu’ont connues les Amérindiens tout au long de leur histoire reposent sur l’idée, fondée par John Locke dans le Second Treatese of Government (1689), selon laquelle le concept de propriété est lié à celui de travail, repris par les Européens pour montrer que les Autochtones ne travaillaient pas assez bien la terre et, ainsi, pouvaient en être dépossédés.

Encore de nos jours, force est de constater que la position du Canada à l’égard des Autochtones n’a guère changé ; les Premières nations demeurent des étrangères. Et comment pourrait-il en être autrement ? Jamais une négociation n’a visé véritablement d’accord, mais inlassablement des « traités », lesquels relèvent par définition du droit international. La conquête de l’Ouest, version canadienne, a de beaux jours devant elle.
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