ANALYSES

Mali : le soldat et le diplomate

Tribune
5 février 2013
Le mal était connu, le remède inapplicable. L’ordre international suppose que chaque État affronte, en pleines souveraineté et volonté, l’une et l’autre ici mal assurées, les maux qui sont les siens, la communauté internationale apportant subsides (1) et conseils. Lorsque la fièvre monte, le thermomètre est cassé. En 2000, une étape du Paris Dakar est annulée en raison d’une menace terroriste avérée sur un bivouac. En 2008, c’est l’épreuve qui est annulée. En 2009, la compétition, dont on pouvait légitimement se demander si le cortège pétaradant et dispendieux était bien de mise sur l’un des continents les plus pauvres de la planète, migre en Amérique du Sud. Les avatars, parfois douloureux, du juteux marché des otages restent les seuls indicateurs d’alerte présentables aux opinions publiques pour justifier de rares fortes réponses, au milieu de nombreuses reculades.

C’est donc pour dénoncer les carences de l’État que le 22 mars 2012, le capitaine Sanogo s’empare du pouvoir, consacrant la faiblesse de l’État malien et l’excluant de la communauté internationale. Cette rébellion irrite la complaisance des donateurs qui suspendent leurs aides et secoue l’anomie des Nations Unies qui répondent par trois résolutions (RCSNU). La résolution n° 2056 du 5 juillet 2012, la résolution n° 2071 d’octobre 2012, puis la résolution n° 2085 de décembre 2012, rédigées et défendues par la France. Elles désignent clairement l’ennemi ‘ les groupes terroristes et réseaux criminels ‘, les dissocient des ‘ groupes rebelles maliens ‘ avec lesquels elles poussent le gouvernement malien à négocier. Le gouvernement de transition malien est également prié d’établir ‘ une feuille de route […] visant à rétablir pleinement l’ordre constitutionnel ‘ et ‘ engagé instamment […] à respecter le calendrier prévu ‘. Elles définissent les objectifs d’un aide internationale à la formation des armées maliennes, autorisent le déploiement de la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA) sous commandement africain, destinée, entre autres tâches, à aider l’armée malienne à reprendre le contrôle du pays, réclament un appui international pour cette MISMA, rappellent à chacun, et aussi au Mali, ses obligations en matière de droit international, définissent les procédures de financement et enfin demandent au secrétaire général de créer une mission des Nations unies pour assurer une ‘ présence multidisciplinaire des Nations Unies au Mali ‘.

Une stratégie, bien en phase avec les concepts actuels de gestion globale de crise : implication des acteurs locaux et régionaux, multilatéralisme et multidisciplinarité. Encore que les moyens et les champs d’action de la ‘ présence multidisciplinaire des Nations Unies au Mali ‘ ne sont même pas cités. Voilà qui doit nourrir une très forte inquiétude pour l’avenir.

Une stratégie qui nécessite aussi des délais, pour des raisons de complexité de mise sur pied et de conditions météorologiques pour la conduite des opérations militaires. L’article 11 de la RCSNU 2085 le souligne d’ailleurs : ‘ La planification militaire devra continuer d’être affinée avant le lancement des offensives ‘.

Une petite fenêtre d’opportunité pour tenter de contrôler la totalité du Mali, reste alors ouverte pour les ‘ groupes terroristes ‘, maîtres de tout le Nord du pays après avoir vaincu l’armée malienne et réussi à régler leurs problèmes de cohabitation avec les groupes rebelles maliens. L’offensive vers le sud reprend début janvier 2013, bousculant les restes des bataillons maliens et tendant la main vers des sympathisants vivants dans Bamako.

Après une concertation triangulaire Bamako, Paris, siège de l’ONU, le gouvernement français lance l’opération Serval à plus de 4000 kilomètres de la France. La bataille pour Bamako commence. Le terrain montre qu’elle doit se terminer sur l’axe Diabali, Tombouctou, Gao pour contrôler les passages du Niger, disposer à son nord d’aérodromes et avoir ainsi une solide base de départ à livrer aux forces de la CEDEAO chargées de l’offensive vers le nord.
La guerre arrive et, avec elle, le militaire ouvre les pré-conditions du dialogue de recherche de la paix pour le diplomate.

En effet, la menace patente de voir la capitale Bamako investie par les groupes terroristes, sa population, et notamment les 6000 Européens qui y résident, utilisés comme boucliers humains ou otages disparait.

Le gouvernement de transition est sauvé et se met au travail pour rédiger sa feuille de route, la capitaine Sanogo et les Bérets rouges sont discrédités par le dialogue franco-malien, la communauté internationale, les institutions internationales, la Cour pénale internationale, les États et les ONG peuvent reprendre leurs activités ; la MISMA trouve dans le Sud un espace sécurisé pour organiser en sûreté son déploiement ; le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) et autres factions maliennes rebelles s’avancent à pas mesurés vers les tables de négociation.

Le dialogue pour la paix interne au Mali peut commencer. Il sera long et difficile, et c’est autant dans ce processus que dans les combats contre les groupes terroristes que résident les risques d’enlisement.

La France restera militairement sur le terrain parce qu’elle est nation-cadre pour l’opération de formation de l’armée malienne confiée à l’Union européenne, parce qu’elle doit tenir la base d’assaut de la MISMA, parce qu’elle est en place et sera quasiment seule à fournir les appuis en moyens de renseignement, de frappes aériennes, d’aérocombat, de forces spéciales et une capacité de contre attaque puissante aux forces africaines. Elle fera tout pour partager la visibilité des opérations avec ces dernières en accord avec les RCSNU.

Le militaire tient à distance les groupes terroristes, et c’est son rôle, mais le diplomate devra gagner la paix.

Il devra surtout pousser les feux des lignes d’action politiques et civiles afin de pouvoir se désengager militairement. Là, les enjeux sont énormes : ouvrir et conduire à son terme un dialogue nord-sud éreinté par des décennies d’affrontement et dont la situation dans le nord durant l’année 2012 a exacerbé les passions multiséculaires ; favoriser l’installation à Bamako d’un gouvernement légitime et respecté ; coordonner et cibler l’aide internationale sur les besoins vitaux des populations ; trouver les justes équilibres dans la répartition de cette aide entre le Nord et le Sud ; remettre sur pied et former non seulement l’armée malienne mais aussi toute la fonction publique ; instaurer sécurité et état de droit au Mali pour interdire tout retour des trafics qui semblent temporairement déviés et sécuriser un dialogue de réconciliation nationale.

Pour cela, l’ONU est seule légitime à impulser la dynamique et à coordonner les initiatives et nous n’en connaissons pas son plan d’opération. L’Union européenne doit aussi aller plus loin qu’une maigre mission de formation de l’armée malienne et plus vite. Elle doit offrir à l’ONU ses capacités de gestion civile des crises pour l’aider à bâtir des actions de développement proches des populations, avec pour premier objectif la satisfaction des besoins élémentaires de façon pérenne et homogène sur tout le territoire du Mali. Une urgence absolue car, si l’occupation des groupes islamistes dans le Nord sert encore actuellement de repoussoir, l’absence de résultat de la communauté internationale pour soulager la misère des populations pourra ouvrir la voie à un renversement des opinions publiques et à une contestation que pourra exploiter l’extrémisme islamiste.

En effet, pour ce qui est des groupes terroristes, ils se sont, sans surprise, vite retirés devant les troupes françaises. Depuis Mao Tsé Toung, toute guérilla sait que la retraite stratégique est le point de départ indispensable pour se constituer une capacité de contre offensive. Reste à savoir quelle forme elle peut revêtir.

Se terrer dans le massif des Ifoghas, avec ou sans les otages, en se ménageant une capacité d’exfiltration vers l’Algérie, comme Ben Laden l’a fait dans le massif de Tora Bora? Une possibilité, les groupes terroristes faisant l’hypothèse que les moyens des Français, et de la coalition africaine qui devrait être en première ligne, ne sont pas aussi puissants que ceux des forces américaines.

Ou disparaître du Mali et se disperser sur l’ensemble de leur zone de nomadisation (Mauritanie et Polisario, Algérie, Niger, Libye), tablant, pour se protéger, sur les frontières et l’absence d’accord politique entre ces pays pour des opérations militaires concertées.

Mais surtout, dans les deux cas, compléter leur stratégie par une exploitation psychologique de leurs succès de 2012, avec des relais au sein des populations, tant au Mali que dans les diasporas en Europe. Toute guérilla a besoin de mythes, de héros et de sanctuaires.

La bataille pour Bamako s’imposait, elle est gagnée. Mais la bataille pour la paix ne fait que commencer.


(1) Pour le montant et la provenance des aides sur la période 2007-2012 voir http://www.izf.net/pages/aide/5920/
Sur la même thématique